Connu du « grand public » comme l’architecte derrière « Plantasia », chef d’œuvre de 1976 considéré comme l’un des premiers albums écologiques porté par mélodies bien plus naïves qu’un discours de Nicolas Hulot, Mort Garson a fini par manger les racines. C’était en 2008. Mais c’était sans compter sur sa fille, Day, à l’origine d’une vague de rééditions chez Sacred Bones d’une partie du catalogue de cet obsédé des Moog, trop longtemps resté coincé du mauvais côté du rideau.

« Too far, too early ». Ca aurait presque pu être l’épitaphe de Mort Garson, légendaire compositeur canadien dont la vie changea après une rencontre avec Bob Moog, et qui fut entre autre missionné par la NASA pour écrire la musique d’un documentaire sur CBS illustrant le voyage de la mission Apollo, en 1969. Notre homme avait dès le départ, comme on dit sur LinkedIn, un CV qui parle pour lui. Et puis peu à peu, les choses se gâtent. Enfin, disons que le capitaine décide d’emmener son vaisseau très très loin.
Pendant un peu moins de dix ans, Mort Garson publie des albums expérimentaux à écouter comme autant de tubes à essai envoyés dans l’espace. Un disque complet sur les projections astrales (« Ataraxia »), un autre conçu comme l’une des premières B.O. intégralement électroniques (« Didn’t you hear », de Skip Sherwood), encore un sur l’exorcisme par les synthétiseurs (« Black Mass » sous le pseudo… Lucifer) et puis le chef d’œuvre, « Plantasia » écrit sur commande pour Mother Earth Plant, une boutique de fleurs de Los Angeles qui ira jusqu’à le vendre aux clients en prétextant que l’album aidait les plantes à pousser.

Le lien entre tous ces albums ? Un amas de trouvailles novatrices pour l’époque, aucun son de guitare et du Moog à toutes les sauces ; de quoi permettre à Garson de se tailler un solide nom chez les puristes, mais de quoi le condamner à la célébrité post-mortem – ce que son prénom suggérait dès le début. Douze ans après sa mort, Sacred Bones a réédité une partie du luxuriant catalogue avec l’aide de sa fille, Day, aussi peu bavarde que ce que son père était prolixe niveau « ZWIIIIIIM » et « BZZZZZZZ ». Extrait de ma tentative de discussion avec la principale intéressée :

– « Rééditer tous ces albums, ça n’a pas dû être facile, je suppose ?
– Pas vraiment. J’étais juste passé à côté.
– Pourquoi tout cela est-il arrivé en 2020 ?
– Ca semblait être le bon moment».

OKAY. Je vous épargne la suite des réponses monosyllabiques ; on se contentera de dire que Day Garson trouvait la musique trop belle pour être enterrée. A l’image de Julie Estardy vis-à-vis de l’œuvre de son père, Bernard, il est donc ici question d’héritage (musical, et pas financier) à transmettre. A l’écoute des albums réédités, on pense aussi également à la non-carrière de Black Devil Disco Club, qui dû longtemps pédaler dans le vide, tout au long des années 70, pour s’imposer au finish dans la soixantaine.

« Pour mon père, la seule injustice aurait été d’être privé de clavier, de stylo et de partitions pour écrire la musique qu’il avait en tête »

« Mon père était tout simplement un passionné qui a dédié sa vie entière à la musique explique tout de même Day, il avait deux studios, un à la maison, un autre en ville, et c’est ce qui lui a permis d’explorer toutes les facettes de ce qui allait devenir la musique électronique. A l’époque, on sentait comme une excitation dans l’air […] Le grand public n’était pas encore prêt pour sa musique, il a fallu attendre que la génération suivante s’y intéresse. Est-ce qu’on peut parler d’injustice ? Pas sûr. Pour mon père, la seule injustice aurait été d’être privé de clavier, de stylo et de partitions pour écrire la musique qu’il avait en tête ».

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La musique, puisque c’est de cela dont on parle, est notamment intéressante pour l’album « Music from Patch Cord Productions », une espèce de compilations des sons les plus spatiaux composés par le Canadien. Des musiques pour la pub (du genre qu’on passerait sur Pluton à 32H73), des titres dont le seul nom suffit à résumer ce qu’on y entend (Son of Blob theme, dans la veine François de Roubaix époque Chapi Chapo) et d’autres démos de « Plantasia » (Rhapsody in green… le garçon avait de l’humour) ; c’est un joyeux bordel dans lequel on plonge, médusé devant tant de créativité, trop peut-être, pour un seul homme.

La suite ? Typique, parce que tragique. Après le climax de « Plantasia », publié dans l’indifférence générale en 1976, Mort Garson, sur la jante, cesse peu à peu d’écrire pour l’espace. La perte d’un fils – le frère de Day – aura raison du peu d’utopie qui restait coincé entre les touches.

Aujourd’hui, le travail entrepris par Sacred Bones, via son fondateur Caleb Braaten et l’ingénieur du son Josh Bonati, permet de redécouvrir ce qui ressemble à une ancienne vision du futur, avec autant de planètes disparues sur laquelle la vie extraterrestre fut possible. Day, dans un ultime effort, explique avoir encore en sa possession des boites et des boites d’enregistrements et de morceaux écrits mais jamais publiés. « Mais hélas, comme je ne sais pas lire la musique, il me faudrait l’aide de quelqu’un pour tout retranscrire ». A bon entendeur…

Quand on lui demande si ce n’était pas un peu effrayant d’avoir un père capable de sortir un album d’électronique occulte – limite raélien – sous le nom de Lucifer, la fille semble se marrer derrière son clavier en apportant la touche finale à ce papier : « ce n’est clairement pas étrange, c’était les années 70 et tout le monde aimait explorer simultanément l’obscurité et la lumière. C’était une époque sans jugement ».

Mort Garson // Rééditions vinyles et digitales de Didn’t You Hear (BO), Black Mass (Lucifer), The Unexplained (Ataraxia) & la compilation Patch Cord Productions chez Sacred Bones Records

https://sacredbonesrecords.bandcamp.com/

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6 commentaires

  1. A quand une chronique sur, oui j’ose le dire, le génial Raymond Scott qui pour le coup avait fait des disques de musiques électronique pour les nourrissons (entre autre).

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