1968, l'explosion. Les étudiants s'agitent plus ou moins proprement, avec plus ou moins de convictions chevillées à ce corps que l'on veut libérer. On gueule, on exulte, on veut faire table rase du passé, des hypocrisies, du carcan bourgeois, des papas, de la nation et du contingent qui a envoyé les grands frères dans l'enfer algérien. La compilation "Mobilisation Générale" parue récemment chez Born Bad raconte cette époque.

A Paris les gamins érigent des barricades, dans les campagnes certains qui écoutent la radio se retournent vers leurs parents et crachent leur vérité. Famille je te hais et de toute façon les Maos ils vont tout vous bouffer. Le mouvement prend de l’ampleur, les syndicats et le PCF prennent mollement le train en marche, c’est le temps des occupations d’usines, les rouges croient au grand soir. Dans les AG on sort les guitares pour épater les nénettes. Ce soir, on va peut être baiser. De Gaulle part secrètement serrer la pogne du Général Massu à Baden Baden et revient regonflé à bloc. « La récréation est finie ». Et après ? Après ben c’est la récup’, de toute façon les accords de Grenelle négociés en sous main par Chirac ont déjà plus ou moins enterré le mouvement. Au fond, la grande majorité des Français s’en cogne de la révolution, la croissance est là, on n’a jamais aussi bien bouffé, la guerre est derrière nous et puis il faut bien que jeunesse se passe.

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L’école est finie

Côté musique, on connait la chanson c’est la grande régalade. Psyché, rock, soul, folk, la sono anglo-saxonne ne manque pas d’étendards révolutionnaires. En France le post 68 pour la majorité des gens c’est encore la musique héritière du cabaret (Brel Brassens, Ferré, Ferrat, Barbara) certes impertinente mais vieillissante et c’est surtout le corset bien serré de la varièt avariée. Cloclo, et ses resucées gerbantes de tubes d’outre Atlantique, Julien Clerc « dans le coup » (on a la France qu’on mérite) qui bêle chez Guy Lux et l’autre pitre de Jojo qui après avoir chanté cheveux longs et idées courtes s’en va se laisser pousser les tifs et s’acheter la panoplie du gentil révolutionnaire avec un collier de fleurs en prime. Baba comme on disait à l’époque. Mais oui, mais oui l’école est finie, aux débuts des seventies, il est temps d’aller chercher un bon boulot bien abrutissant et de coller deux mouflets à Gisèle. C’est la France du progrès, la France du béton, des premiers bouchons, de l’auto, du crédit pour la caravane, du cap d’Agde et de la Grande Motte, du confort moderne, du RER, de Dupont Lajoie et son racisme ordinaire, des cités pas trop radieuses où l’on entend ses voisins baiser mollement le 14 juillet à travers les cloisons et s’engueuler sur le programme commun de la gauche le soir du réveillon de 74.

De l’autre côté du spectre, il y a la minorité underground, ceux qui n’ont pas lâché. Les engagés, les enragés, les improductifs, les objecteurs de conscience, les intellos de gôche, les défoncés, les écolos, les routards et tous ceux qui reste dans le sillage de l’onde de choc soixante huitarde.
Des « évènements » naitront une génération de musiciens engagés et politisés à divers degrés. Il y a ceux qui sont de « tous les combats » comme Catherine Ribeiro ou François Béranger qui participent aux concerts anti franquistes ou pour les prisonniers du Chili, il y a les régionalistes et les folkeux de tous poils qui répondent aux Anglais de Fairport Convention dans le genre de Malicorne qui dépoussièrent la cornemuse et la vielle à roue tombés en désuétude. Et puis il y a les jazzeux qui se réclament du peuple. Se plonger dans la compilation « Mobilisation générale », c’est un peu retrouver la Bo jazz oubliée de ces luttes rouges Mao, ces refus noirs anar, ces joies du sexe débridé, ces difficultés du retour âpre à la terre, ces autogestions d’usines, ces utopies poétiques et finalement ces égarements qui seront laminés par la première crise pétrolière et son giscardisme à la barre.

Saxos en plastoque

Areski-Fontaine-130911-0006WPAujourd’hui, qui en France s’intéresse au jazz ? Quelques musiciens perdus dans leurs gammes, quelques vieux qui bégaient leur langue musicale quasiment aussi morte que le Latin dans nos écoles et une poignée de curieux qui viennent de la culture, parfois du hip hop. Pourtant notre beau pays a, plus qu’ailleurs, été une fantastique caisse de résonance de cette musique de « nègres » d’outre Atlantique. Il l’a légitimé intellectuellement et même fait entrer le bop, sans trop de heurt, dans les maisons bourgeoises. Et puis le style à glissé vers le Hard Bop puis le Free, pour s’affranchir de ses propres codes harmoniques et de sa structure classique de composition, de ses rythmes qui pouvaient désormais fluctuer selon le lead… Et pas mal de monde à décroché. Comme disait mon paternel bien réac « avec Coltrane, ça va au début mais après ça devient n’importe quoi et puis bon l’autre Ornette Coleman avec ses saxos en plastoque …».

A la fin des sixties Pharoah Sanders, Archie Shepp, Sun Ra, Charles Mingus, Albert Ayler et consorts entrent dans une période où l’engagement, la quête de sens mystique et le retour à la source africaine s’expriment à travers une musique de transe, débridée et sauvage. Le flux de notes dissonantes est une agression pour l’oreille profane, une révolution en soi.
Mais surtout les jazzmen noirs américains ouvrent leurs gueules, ne parlent plus comme des gentilles victimes de la ségrégation. Après le pacifisme de Luther King et de la réconciliation avec les blancs, est venu le temps où les idées de la Muslim nation d’Elijah Muhammad, de Malcom X puis des Blacks Panthers ont séduit dans les milieux jazz et fait écho aux questionnements politiques de la jeunesse de gauche française et américaine. Le Jazz est politique.

En France, comme partout dans le monde occidental, la puissance du rock anglais et américain ont bien sûr changé la donne mais on oublie souvent que, plus qu’ailleurs, le nouveau jazz (pas encore considéré rock ou progressif) a considérablement bouleversé les mentalités françaises de l’époque. Pour vous donner la température au thermomètre de la distillation du néo jazz en 1970, Léo Ferré tente l’aventure avec Zoo, Gong est un groupe australo-français qui enregistre Magick brother, Magma sort son premier album et tourne dans les MJC, Pop2 retransmet à la Tv le triomphe de Soft Machine à l’Olympia et Brigitte Fontaine sort Comme à la radio accompagné par l’Art ensemble of Chicago. L’underground français est alors biberonné aux sorties de Saravah, le label de Pierre Barouh et BYG celui de Jean Karakos qui fait enregistrer les jazzmen américains de passage à Paris. Tout ce petit monde underground, plus ou moins en lutte trouve des infos pratiques dans le magazine Actuel où l’on trouve des annonces du genre de celle-ci publiée en mars 1972 : « Groupe résolument post situationniste désirant acheter un important village dans la Drôme, cherche jeunes hommes, jeunes filles ayant goût et aptitudes à se refaire une cohérence dans expérience d’avant garde. Incapables, militants, fantasmeurs (sic) s’abstenir ».

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Jazz politique

C’est cette génération musicale oubliée que l’on retrouve sur cette compilation d’introuvables (si on excepte le titre d’Areski et Fontaine, C’est normal). Ce sont ces musiciens anars ou gauchistes qui voulaient ramener le jazz au peuple avec des textes réalistes ou néo poétiques qui font souvent sourire aujourd’hui. Des diatribes anti militariste avec Nous ouvrirons les casernes de Mahjun, des appels à prendre la route sur De l’orient à l’Orion ou des luttes ouvrières des employés de Citroën qui groovent comme une afro beat endiablé sur Nous allons vous raconter de François Tusques. Ce sont ces musiciens véritbalement anti-système qui refusaient catégoriquement le show bizz et la célébrité. Des inconnus du grand public qui se retrouvaient à jouer dans des théâtres alternatifs, devant des usines en grèves, dans des communautés en pleine campagne, juste pour la bonne cause. C’est le temps des Métallos de Cazeneuve à la Plaine St Denis, du Larzac, de l’utopie autogestionnaire des Lip qui dura six ans et fit trembler le gouvernement, des anti nuclaires, des pro avortements, des féministes, du droit des Pédés, de la défense des travailleurs immigrés et de la lutte pour l’abolition de la peine de mort. C’est un collusion improbable entre un art considéré complexe et la lutte finale du « petit peuple » mené par de jeunes utopistes qui disparaitront des sonars underground comme leur musique avant la fin de la décennie 70.

Dès lors, la musique se fait plus synthétique et si on chante toujours l’aliénation du béton ce n’est certainement plus dans le but d’emplafonner le grand capital ou d’aller se réfugier dans une communauté en cambrousse pour élever des chèvres et changer le monde paysan. Écouter cette compilation quarante ans après, c’est se plonger dans un monde disparu dont il ne reste que de vagues effluves sonores surannées, parfois improbables que JB Wizz de Born bad exhume et remet en lumière grâce à un boulot de fourmis. Et si tous ces discours vous paraissent franchement dénués de sens, voire pathétiques, vous pouvez toujours vous poser une question bien chiante comme à l’époque : Et toi tu as fait quoi pour changer le monde aujourd’hui ? Euh…

Compilation Mobilisation Générale // Born Bad (dispo en vinyle/Cd)
http://shop.bornbadrecords.net/album/mobilisation-generale-protest-and-spirit-jazz-from-france-1970-1976

8 commentaires

  1. Salut les illettrés,
    Alors on aime pas les hippies ?
    Jiji on a ton nom et ton adresse les hippies débarquent dans ta ville gros dégéré …

  2. Salut les illettrés,
    Alors on aime pas les hippies ?
    Jiji on a ton nom et ton adresse les hippies débarquent dans ta ville gros dégénéré …

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