Il aura fallu attendre 15 ans pour qu’un petit label de canards ambulants (WeWant2Wecord) ne ressorte »Fugu 1″, premier album de Medhi initialement sorti chez Ici d’Ailleurs, dans son plus bel enrobage. Edition limitée, évidemment… Comme si la beauté de ce disque n’était réservée qu’à un petit cercle d’initiés ou à d’heureux chanceux. Wrong time, wrong place ? Un peu trop en avance sur le retour de la pop française de qualité (La Souterraine, Aquaserge, Forever Pavot) ? Il fallait tenter de réparer l’injustice Zannad et remettre les pendules à l’heure de cette carrière en complet décalage avec l’époque. Interview spécial les derniers seront les premiers.
Quelle est ta formation de base ? Tu as fait le conservatoire, il me semble.
Oui j’ai commencé la musique très jeune, dès l’âge de 6 ans, puis conservatoire de piano à l’adolescence.
Cela a-t-il développé chez toi ce sens de la mélodie et des arrangements, ou était-ce un simple bagage technique?
Non c’est surtout le fait d’avoir assisté à certains moments de chorale ou d’orchestre. Je voyais bien que c’était un monde où il y avait pleins de possibilités tonales, harmoniques et où les instruments donnaient envie d’être touchés… Je n’étais pas particulièrement doué techniquement, mais j’étais fasciné par l’orchestre.
Puis tu t’embarques dans des études d’architecture.
J’ai arrêté le conservatoire quand je suis rentré au lycée et j’ai découvert l’architecture, certes, mais entre-temps j’ai découvert les Beatles et je me suis mis à écrire. Du coup ces moments se sont chevauchés, mais en fait tout est lié à la médiathèque. A cette période j’écoutais en boucle les Kinks, les Small Faces, des disques que j’allais emprunter là bas. Je me suis construit une culture des années 60 un peu en piochant au hasard, à l’oreille, en reconnaissant ce qui valait le coup ou pas. Je me rendais bien compte qu’il y avait des décennies avec des différences. Enfin bref, j’étais naïf à l’époque, mais je m’en rendais compte grâce à mon oreille formée par le conservatoire. Je pense que ce qui fait la qualité d’interprétation de ces disques là, c’est que c’était joué ou accompagné par des gens qui venaient du classique, justement. Et ce truc me parlait vachement, chez les Beatles notamment, je me suis aperçu qu’on pouvait faire de la musique avec un savoir classique et l’utiliser de façon moderne.
Comment s’est passé ta rencontre avec Sean O’Hagan et Laetitia Sadier, à Londres ?
C’était un moment bien particulier, j’étais dans mes études d’architecture à Nancy et dans mon entourage aucun n’écoutaient les groupes que j’aimais, comme les Beach Boys etc. J’ai donc décidé de partir en ERASMUS à Newcastle en espérant décrocher un contrat de musique, en parallèle de ma quatrième année. Et j’ai fait une première démo qui a été remarquée par un tout petit label de Liverpool qui s’appelle Sugarfrost Records. Qui m’a proposé d’enregistrer un 45t. Je suis donc aller en studio et vu qu’il n’y avait pas de musiciens, je me suis retrouvé à jouer tous les instruments. J’ai tout fait en une journée.
C’est donc sorti exclusivement en Angleterre ?
Oui voilà. C’est un moment assez décisif pour moi, un basculement. Ce petit label, formé par un couple anglo-japonais, m’a proposé de sortir ce deux titres car mes démos leur faisaient penser à Harpers Bizarre, un groupe que je ne connaissais pas du tout, et au morceau Witchi Tai To plus particulièrement.
Tu te retrouves donc plongé en pleine Brit pop…
C’était au tout début de la Brit Pop en fait. Ce n’était pas évident, j’ai été déçu même en Angleterre de ne pas trouver des gens qui écoutaient cette musique-là. Et il s’est trouvé que ce label était à fond dans les années 60 et dans des groupes dont je n’avais jamais entendu parler, tous issus de la « sunshine pop ». Ça m’a complètement ouvert à des choses comme The Cyrkle (Turn Down Day) et quand je suis rentré en France j’ai tout de suite voulu repartir en Angleterre pour faire la rencontre de Sean O’Hagan et Laeticia Sadier car j’avais découvert entre temps ce qu’ils faisaient. Et j’entendais, plus particulièrement dans la musique de Stereolab, un hommage aux Beach Boys qui était très caché mais maîtrisé; contrairement à ce qui se passait chez Oasis qui se revendiquait des Beatles alors que je trouvais qu’il n’y avait absolument aucun point commun, aucune finesse, c’était vraiment du marketing. Du coup, j’ai décidé d’aller passer mon diplôme à Londres; un simple prétexte pour pouvoir les rencontrer et leur faire écouter ma musique. J’y suis aller au culot, c’était à un concert des High Llamas et Laeticia Sadier était dans la salle. Je leur ai donné une cassette et Laeticia Sadier m’a contacté quelques jours plus tard en me disant qu’ils voulaient me rencontrer. C’est devenu un projet de mini album qui devait être produit par Sean O’Hagan ; il venait de sortir « Hawaï » à l’époque…
https://youtu.be/yKOP0MBYhYM
Revenons sur la genèse de ton premier album, « Fugu 1 », la légende raconte que tu étais en Roumanie lorsque tu as écrit les morceaux.
Dès que je suis rentré d’Angleterre, j’ai dû me taper mon service militaire et je me suis retrouvé à Bucarest. Juste avant, j’avais sorti ce mini-album que j’ai finalement produit moi-même et je l’ai sorti car j’avais trouvé un distributeur, mais pas de label. Ce disque a eu un certain succès et s’est très bien vendu au Japon et aux Etats-Unis. Et dans cette boîte de production travaillait Stéphane Grégoire, qui venait de fonder le label Ici d’ailleurs ; il a décidé de me signer pour un album. J’ai appris ça juste avant de partir, du coup j’ai écrit ce disque petit à petit durant cette année d’exil.
D’après les notes de pochette de la réédition de 2014, l’enregistrement a été assez chaotique…
Pour échapper à l’horloge du studio, j’ai voulu qu’on loue un studio mobile et qu’on aille s’installer quelque part avec une acoustique. C’était chez une connaissance, par ailleurs batteur percussionniste. Donc j’ai fait d’une pierre d’un coup on a installé le studio chez lui.
Tu voulais vraiment prendre ton temps?
Oui c’était difficile de concevoir un album assez ambitieux dans un contexte de studio sans investir des millions. Je voulais avoir ce côté hyper riche, que le label ne voit pas ce que j’étais en train de fabriquer. Ils n’ont pas forcément apprécié car j’y avais passé trop de temps, il y avait trop d’orchestrations. Bon au final ils ont fini par apprécier…. Je voulais surtout avoir un maximum de temps et d’instruments, je m’étais acheté un clavecin et un Rhodes, que des claviers analogiques, tout ça avec la paye de l’armée.
Ça avait au moins ça de bon…
Oui ça a vraiment permis de financer la base du disque.
Pourtant la version finale de l’album ne te satisfait pas et il faudra attendre presque 15 ans pour qu’il soit réédité et remastérisé par Tony Lash à sa juste valeur. Ce qui coïncide avec une année assez riche en bon disque pop (le premier Julien Gasc, Dorian Pimpernel, Forever Pavot suivra…). Te sens-tu proche de ces musiciens ?
Ouais ouais j’aime beaucoup les gens que tu me cites.
D’ailleurs tu apparais dans le clip Alfafa de Dorian Pimpernel?
Oui, ils ont aussi repris un de mes morceaux (Variations Fitzwilliam), j’étais très heureux de ça.
https://youtu.be/WEsobQo5nCw
La scène actuelle, avec notamment le travail de La Souterraine, te semble-t-il plus propice à comprendre ta musique qu’il y a 15 ou 20 ans ?
Le contexte est plus amical, ça veut dire qu’il y a plus de gens qui comprennent ce genre de démarche, les instruments analogiques, les harmonies vocales… Il y a quinze ans je devais convaincre les gens de tout : mettre des draps sur des toms de batterie, faire différentes prises de chant… c’était un vrai combat. C’était très pénible. Quand le disque est sorti, c’est passé pour un truc lo-fi alors que c’était un disque orchestral. Enfin il y avait pleins de malentendus qu’aujourd’hui il n’y aurait plus.
Deuxième album : « As Found » en 2005. Peux-tu nous en dire plus sur ta collaboration avec Xavier Boyer (Tahiti 80) ?
Entre-temps il y a eu la rencontre avec John Cunningham, qui a influencé l’écriture du disque grâce à cette technique de composition qui se rapproche de « petits opéras » à la Beach Boys. Il m’a fait écouter pas mal de choses dont le morceau The Loner de Neil Young, qui m’a marqué. J’ai aussi découvert Todd Rundgren durant la tournée, du coup je me suis dit : il faut vraiment que tu fasses un disque où on sente qu’il y a un groupe derrière. J’ai d’abord fait une maquette de l’album en jouant tous les instruments, seul dans ma chambre. Avec Xavier Boyer, on se connaissait depuis la sortie de « Fugu 1 » et on s’appréciait mutuellement. Du coup je lui ai fait écouter mes maquettes et il m’a dit : « ok on sera le groupe qui joue derrière toi« . On a ainsi repensé mes maquettes comme jouées en live du coup c’est beaucoup moins chargé et plus dynamique. J’adorais la pop bubblegum aussi à ce moment-là…
Tu travailles ensuite avec le réalisateur Serge Bozon (réalisateur entre autre des films La France et Mods) qui signe d’ailleurs des textes sur ton troisième album. Vous êtes tous les deux de grand fan des sixties, non ?
Oui, lui plus de Northern Soul, mais il y a beaucoup de choses qu’on s’est fait découvrir mutuellement. J’ai travaillé sur une autre B.O. devrait sortir fin avril pour L’Architecte de Saint Gaudens, sur le label Entreprise. C’est pas de la musique de fond, plus des moments chantés par des acteurs avec qui j’ai travaillé.
Puis vient « Fugue », ton troisième album où tu assume pleinement ton côté francophone…
A la base, ce troisième album était prêt à être enregistré en anglais. Il y avait un tournant à prendre à ce moment-là pour se renouveler. Suite à la collaboration avec Serge [Bozon], je lui ai donné mes morceaux en anglais, il a compté le nombre de syllabes et a fait rentrer des mots en français à l’intérieur. Et comme il n’est pas auteur, il a fait rentrer des choses bizarres à l’intérieur, comme dans La France. C’était une espèce de retournement entre l’anglais et le français. Là je devenais un interprète, j’étais dans un rôle différent.
On le sait peu, à tu dessines aussi. Peux-tu nous en dire un peu plus sur ta pratique que beaucoup de gens ignorent ?
En fait pour moi, la musique va de « Fugu 1 » à « Fugue ». Après ça, et la tournée qui a suivi ce dernier disque qui n’a pas forcément bien marché, je me suis remis au dessin. Il se trouve que depuis quelques années, on ne dessine plus en école d’architecture, tout le monde est passé à l’image de synthèse. A l’inverse je suis convaincu qu’on peut toujours dessiner. Je me mets un peu dans la même position que lorsque j’ai enregistré mes premiers morceaux, en plus décomplexé…
Ce sont essentiellement des croquis, non?
Oui c’est ça des croquis, du dessin d’observation, c’est vraiment du dessin analogique. En simplifiant, c’est comme si tout le monde était passé au numérique, au DX7 et que moi je savais qu’il fallait garder son vieux piano Wurlitzer. Et ça, c’est la musique qui me l’a appris.
Tu disais à l’instant que tu avais arrêté la musique après « Fugue ». Pas de nouveau projet musical donc ?
En fait, si. Il y a deux projets en cours dont un EP avec une chanteuse New-Yorkaise, A Girl Called Eddy, qui a sorti un album avec Richard Hawley en 2004, et qui est prêt. Mais je n’ai pas encore trouvé de maison de disque pour le sortir… à bon entendeur !
Et il y a l’album que je produis depuis quatre ans avec April March. J’ai écrit l’album pour elle, et je le réalise aussi. C’est un projet au long cours avec Tony Allen à la batterie et pas mal de musiciens additionnels… C’est presque terminé !
« Fugu 1 », réédition chez WeWant2Records
http://bandcamp.ww2w.fr/album/10-wecord-fugu-1
Exposition de dessins de Medhi Zannad, Fantômes de villes, à la galerie Histoire de l’oeil à Marseille.