© Corbay

À l’heure de l’uberisation de l’industrie musicale, dur de trouver des initiatives musicales qui dessinent un chemin où chacun se tiendrait main dans la main comme dans un rêve de hippie sous champi’. Pourtant, dans la ville la plus individualiste de France, deux résidents de la Station-Gare des mines cherchent à joindre l’artistique au social, le plaisir a l’utilité civile en lançant un label (Megattera) dont le projet serait de faire du blé pour aider des collectifs d’aide aux migrants. Oui oui vous avez bien lu. Ils montent un label pour faire du pognon. Et encore plus taré, ils ne garderont pas l’argent.

Baptiste, la moitié de Bracco, et Juliette, qui gère « Station Station » nous expliquent cet anti-business plan.

C’est quoi le projet Megattera ?

Baptiste : C’est un petit label. L’originalité part du principe qu’on peut créer une richesse même si elle est minime avec la musique dite underground ou indépendante. On fait ça avec la Station Gare des mines qui s’est toujours inscrite dans cette logique, par sa géographie, avec pour but d’aider les gens qu’ils voient galérer. Quand tu vas à la Station, tu vois toujours des gens en galère. C’est impossible de ne pas les remarquer et de ne pas être touché. Et le but c’est de rassembler de l’argent pour des assos qui aident ces personnes. Parce que l’on fait partie du même monde. Et l’autre truc, c’est le côté artistique. De trouver une manière originale de produire de la musique. Parce que parmi nos potes, tout le monde est musicien, et ils ont plein de trucs super qui sont mis de côté; c’est dommage que personne ne puisse les écouter. C’est parti d’un truc comme ça en soirée où Juliette m’a fait écouter des sons de Paul Ramon (Bryan’s Magic Tears) qu’il fait depuis des années dans sa chambre. Et je me suis dit, qu’il fallait absolument le mettre sur un support que ce soit « vendu » et diffusé surtout.

Juliette : La plupart des musiciens qu’on produit sur le label, ce sont des gens qui tournent autour de la Station et qui sont aussi touchés par le fait qu’il y ait autant de migrants et de crackheads dans le coin. Et quand on leur a parlé du projet, ils ont voulu s’impliquer en produisant de la musique ou en nous filant des morceaux qu’ils avaient de côté, qui ne sont jamais sortis sur leur label ou celui qui les produit habituellement. Et c’était une manière de s’impliquer pour aider ces populations.

Baptiste : Un label, il édite surtout de la musique. Il n’a pas toujours accès aux canaux de production d’enregistrement. Et là, vu qu’on le fait à la Station et qu’il y a les locaux et le matériel, on peut vraiment le faire. Là pour Paul on peut vraiment lancer son truc en se disant : « tiens on va te mettre en résidence. Tu vas répéter avec tes potes, tu vas faire un groupe. Tu vas faire un concert. »  Avec Antonio (Villejuif Underground), qui fait Danse avec les Shlags, c’était pareil. On a prévu de faire une semaine de résidence, il va faire un feat qu’il enregistrera après. Ça nous donne quand même une source technique qui est inestimable. C’est là où la Station est vraiment importante pour le projet.

Donc la Station, c’est le point de départ ?

Baptiste : On développe le projet nous-même mais le lieu qui est aussi un lieu de vie et de rencontre a créé ce truc-la. En soi, ce n’est pas un support financier… mais c’est un support de vie. C’est aussi l’utilité d’un endroit où il y a des concerts, participer à la vie artistique en générale. C’est à la Station que l’on s’est rencontré avec Juliette et d’autres gens. C’est là que ça se joue.

Juliette : L’idée est née au moment où la Station s’interrogeait sur les populations. En sachant que la Station n’est pas à la base un lieu social mais de production de concerts et d’événements, mais qui a dû s’y confronter parce qu’il y a des migrants qui viennent squatter l’endroit. Et il y a eu des problèmes cet été puisque les migrants se faisaient virer. Et la Station a choisi de leur donner de l’eau… La Station voulait prendre la décision plus collectivement de leur implication. Ils ont alors commencé à faire des soirées où il récupérait de l’argent de la billetterie qu’ils donnaient au collectif « Wilson » qui donne des fournitures aux migrants. Cet hiver ils distribuaient des sacs de couchage, des sacs à dos, des petits déjeuners etc… C’est là qu’on s’est dit que nous aussi on pouvait récupérer de l’argent et le donner aux assos mais à notre manière donc en produisant de la musique. En gros aider avec ce que l’on sait faire et que l’on a envie de faire aussi.

Baptiste : Ça allie les deux. On se rend compte que même si c’est pour des tout petits trucs les gens sont archis réceptifs. Parce que même si eux ne le voient pas tous les jours forcément, ils sont au courant et de toute façon ils vont à la Station. T’as plein de gens qui ont envie d’aider et ça c’est cool.

C’est la responsabilité individuelle qui sensibilise le collectif ou qui a une visée sociétale…

Baptiste : En soi je pense que c’est plus ça l’utilité. Parce qu’en vrai, on ne va pas changer la vie du collectif. On ne va pas leur filer 3000 euros, jamais on ne va pouvoir créer autant d’argent. Mais déjà tu peux en créer un peu. On a fait nos petites prévisions. Sur 6 mois si tout va bien on peut leur filer 1000 balles, ce qui est cool. Mais surtout ça permet de sensibiliser les gens qui vont à la Station, les gens qui sont dans le quartier. Ça c’est le deuxième rôle et c’est aussi ce que la Station voulait faire. Cette année sans le faire complètement consciemment, il y avait quand même ce truc où ils essayaient de se politiser parce que ça ne peut pas être juste un lieu où il y a des concerts et des teufs. Eux de toute manière, ils ont toujours fait des actions culturelles et il y a plein de salles qui font des actions culturelles. T’as plein de SMACS qui sont obligées de le faire pour leurs subventions et là ce qui est cool c’est que c’est complètement gratos. La soirée tout le monde va bosser gratos.

Juliette : c’est vraiment un vrai projet bénévole. Ce n’est pas associatif parce qu’on n’a pas créé d’assos.

Baptiste : Il y a une partie de la soirée qui va servir à payer la sécu le fonctionnement du lieu un peu… Mais en soi c’est 10 personnes qui viennent bosser gratos au bar qui vont faire la billetterie etc… C’est ça qui est bien. Ça fait un peu Live Aids

Oui, vous allez reprendre We are the world.

Juliette : On a un peu peur de ça.

Baptiste : On a le souhait que le label soit un truc à part entière pour la musique, qu’il y ait un entête « quand vous achetez de la musique, ça va là » mais c’est tout. Le côté artistique reste indépendant. Le but c’est de mettre en avant les artistes pour ce qu’ils sont et ce qu’ils font. Que les gens aient envie de l’acheter parce que c’est bien et parce qu’ils ont envie d’écouter. Et qu’ils soient contents de le faire mais pas qu’il le fassent « parce que »… Dans ce cas là ils peuvent filer directement 10 balles aux associations.

Juliette : c’est une question que l’on s’est posée. Est-ce qu’on communique vraiment là-dessus ? c’était assez délicat, de ne pas se positionner comme des gens qui vont sauver le monde avec un micro label qui va pas engendrer beaucoup d’argent.

Baptiste : Mais c’est aussi pour ça qu’on essaye d’avoir une démarche artistique intéressante où on essaye de trouver un angle un peu original. Donc là les compiles, ce sont uniquement des face B. Il y a des sons de Bryan’s Magic Tears ou Strasbourg qui ne seront jamais sur disque et ce sont des groupes super chouettes et y a plein de gens qui aiment ces groupes. Ça permet de se dire « tiens je vais découvrir un morceau de ces groupes qui est inédit. »

J’ai l’impression que c’est une initiative civique et artistique plus qu’un label.

Comment vous avez recruté ou pitché les groupes ?

Baptiste : Le fondement ça a été Paul (Bryan’s Magic Tears) avec Pleasure Principle. C’est à ce moment-là que l’on s’est dit que ce serait cool de faire un label. Parce qu’on adorait les trucs qu’il faisait dans son coin et qu’on aimerait bien étayer ce côté-là.

Juliette : Pour les compiles, c’est en parlant du projet volontairement à des artistes qu’on aime bien. A des labels aussi. On en a parlé à Froos de Teenage Menopause, à Demord, à Charles du Turc Mécanique. Ils sont prêts à nous filer un coup de main à proposer à leurs artistes s’ils ont des morceaux qui ne seraient pas sortis sur leur label et de nous les filer. Tout le monde était hyper réceptif au projet.

Baptiste : Le pitch est assez simple : c’est de déterrer des trucs mis de côté. Ou comme pour Antonio (VU) de Danse avec les Shlags, c’est de faire une résidence à la Station et il va faire des inédits avec des potes. Comme il y a déjà plein de labels et de trucs existants, c’est d’essayer que le label soit un outil de production et pas seulement un outil d’édition. Dans le fond on ne se pense pas comme un label. On ne le prend pas comme une labellisation ou comme une manière de créer une marque. Forcément on édite, puisqu’on met sur cassette ou sur vinyle mais on a plus envie d’accompagner des potes et de les aider à créer plutôt que de rentrer dans un… « game ». Plutôt que de rentrer dans un marché où t’as un label et tu vends. Nous ce qu’on vend, ça va directement pour une asso. On n’a pas du tout la même approche. J’ai l’impression que c’est une initiative civique et artistique plus qu’un label.

Juliette : On a quand même cet aspect. Là on a une compile qui sort qui va s’appeler « Primavera » et on a prévu d’en faire quatre comme les saisons. Donc il y a quand même ce truc là qui va devenir un coffret. Il va y avoir des sorties récurrentes et on a des idées assez définies. On n’a pas défini de ligne éditoriale mais toute la musique qu’on sort reste dans le même genre musical. Dans la compilation, il y a quelques artistes qui sont connus mais il y a aussi des artistes complètement émergents et qui commencent tout juste à faire de la musique. C’est aussi l’idée de propulser des artistes à notre petit niveau.

L’initiative appelle l’initiative.

Est-ce que l’idée du label change leur manière de créer ?

Baptiste : je pense que le fait qu’ils se disent qu’il y a un label qui bosse avec eux, ça rend le truc concret… Paul nous disait que si on ne lui avait pas proposé, il ne l’aurait pas fait tout seul. L’initiative appelle l’initiative.

Juliette : oui et on leur fait confiance parce qu’on leur dit « voilà on t’offre une semaine de résidence de création et à la fin on sort ton projet » alors qu’on ne sait même pas ce que ça va donner. On fait confiance parce qu’on sait de quoi ils sont capables. Du coup ça pousse vachement. Quand t’as des gens derrière toi qui te font confiance et te donne la possibilité et les moyens techniques et financiers de réaliser des choses, ça te donne envie de créer. Antonio va créer spécialement cette cassette un peu sur commande mais parce qu’on lui a demandé de le faire ça l’a motivé à le faire. Dans la compile, il y a des morceaux qui ont été fait par des potes qui ont dit « moi aussi je veux mettre un morceau. J’ai pas d’inédit mais c’est pas grave je t’en fais un, donne moi une deadline… »

Est-ce que l’objectif donne plus de sens à la création ?

Baptiste : C’est débile à dire mais c’est un peu l’art au service du peuple. Quand tu fais de la musique, tu le fais pour toi. Si tu fais un concert tu le fais pour toi ça te flatte et c’est super. Là, que ce soit assumé ou pas, même si tu le fais pour toi tu le fais quand même pour d’autre gens, tu ne peux pas trop mettre ta gueule en avant. T’es obligé d’avoir ça en tête et c’est ça qui est chouette. Ça donne une valeur un peu sainte au projet. Personne ne pourra dire que c’est naze. Tu fais de la musique pour aider des pauvres dans la dèche. Personne ne te reprendra.

Oui mais justement est-ce que c’est la fonction de l’art d’être au service des gens pour que la société soit plus saine ?

Baptiste : C’est une question intéressante. C’est ce que pensait Victor Hugo et aussi toute la contre-culture, d’avoir un discours social et politique. Et ça s’est perdu parce que ça s’est structuré économiquement. Et maintenant les labels indépendants sont même plus des labels indépendants, ce sont de labels subventionnés et où les vrais labels indépendants sont vraiment en galère et ils produisent des groupes qui jouent pour leur gueule. Et il n’y a pas forcément de discours. On dit juste que c’est underground parce que cela emprunte à une esthétique de musique underground antérieure. Du coup, ce qui est cool c’est que ça replace un peu ça. De la musique souterraine qui revient à une forme d’art et de discours. A la base dans le hip hop, le punk, les musiques électroniques, il y avait un discours derrière. Le hip hop c’était des fêtes dans des squats et on voulait s’amuser. C’étaient des pauvres qui n’avaient rien d’autres et du coup il y avait un discours. Le truc c’est que maintenant la musique souterraine et underground est faite par des gens qui ne sont pas non plus aisés, faut pas déconner non plus. Mais ce sont des blancs qui ont un niveau de culture…

Juliette : C’est de l’hédonisme.

Baptiste : Oui voila. Bon après. Je ne suis pas noir. Mais ça replace ce discours d’utilité dans l’art dit underground même si c’est minuscule. Mais ça s’est perdu.

Juliette : Il vient de dégommer tout le monde, ah ah.

Baptiste : Bon je viens de te faire un speech mais en vrai on ne le sent pas comme ça. On se dit juste que c’est un truc chouette et utile. Les artistes le voient pareil. On n’est pas militant, ce n’est pas un engagement politique. On ne veut pas avoir ce rôle et que les gens pensent qu’on est engagés. Tout le monde le voit un peu de la même manière parce que tout le monde est touché par ça. On le voit au niveau de la soirée. Tout le monde a envie d’aider.

La release ça va se passer comment ?

Baptiste : Tout le monde joue gratos. A part Volage, Tout le monde vit à Paris. Tout le monde a accepté de jouer gratos avec plaisir. Ça te donne une autre vision de comment marche l’économie d’un lieu. Tu vois comment c’est galère pour les lieux et les labels. Tu vois que c’est impossible de faire de l’argent. Je pensais que ce serait plus faisable que ça. Je me disais « je suis sûr que tu peux faire de la thune » mais en vrai s’il n’y avait pas le bénévolat, ce serait impossible. Sur la soirée, l’objectif c’est de faire 120 entrées ça nous permettrait de filer 500 balles à l’asso mais à côté de ça les gens bossent et jouent gratos.

Vous espérez rapporter combien avec les disques ?

Baptiste : 50 compiles et 40 cassettes de Paul en général vendues 7 euros… les vinyles c’est 100 exemplaires, vendus 8 euros.

Juliette : …pour l’instant. Si rupture de stock, on accepte les commandes et on en refait.

Baptiste : Comme on n’est pas un label normal, il vaut mieux produire peu de choses et tout vendre pour donner l’argent à l’asso. Plutôt que trop faire et les vendre que dans deux ans. Ça sert à rien. Sachant qu’un vinyle nous coûte 6 euros pièce si on les vend tous on peut donner 200 euros. Et sur les cassettes si on vend tout on peut donner 400 euros, avec la soirée, ça fait 1000 euros. Tu pourras les trouver à la soirée ou les trouver sur le Bandcamp, après si c’est possible on passera dans les shops pour déposer et à la Station. On espère vendre tout pendant la soirée.

Release party le 11 avril à La Station-Gare des Mines.
Event : ICI

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