A la différence de beaucoup de labels « indés » campant sur leurs valeurs comme des auto-stoppeurs au milieu du désert, le label parisien du Turc Mécanique joue depuis 7 ans à la roulette russe au point qu’on ne sait plus vraiment s’il s’agit d’une discographie proto-punk, post-clubbing ou simplement néo-n’importe-quoi. Il en est de même pour cet anniversaire parfaitement désorganisé dont le feu d’artifice final est prévu le samedi 16 février à la Station. Les deux « in-dirigeants » derrière les signatures de Jardin, Colombey ou encore Sida ont pris le temps de nous expliquer tout ça. Enfin, de tenter de nous expliquer tout ça.

L’interview a été calée à 18h00. Attendez, c’était peut-être 17h00. Tout cela pour dire qu’il est 18h35, et que toujours personne au lieu de rendez-vous – nos bureaux. En temps normal, on aurait été tenté de passer un coup de fil, mais la vérité, c’est que Charles Crost – fondateur du Turc Mécanique en 2012 – et son acolyte Thomas – assistant social, teneur de briquet en after et surtout pilier mental et logistique du label depuis 2016 – sont en avance. Mentalement, dans leurs têtes, les mecs sont en avance.
En sept ans, combien ont-ils sorti de disques ? Combien de fric ont-ils foutu par la fenêtre (même pas sûr qu’ils en aient une) ? Et des albums vendus sur Bandcamp ? Le best seller du catalogue qui avoisine les 50 références ? Plutôt before ou after ? Konbini ou la mort ? XTC ou ecstasy ? Bon franchement, autant vous spoiler l’affaire tout de suite : l’interview qui suit ne vous donnera aucune réponse. Tout au plus arriverez-vous à percevoir le chaos mental qui règne dans les têtes de ces deux zinzins habités par une seule idée : sortir des disques, encore et encore, jusqu’à ce que mort s’en suive. A ce niveau là, on est proche du coma : depuis 2012, le Turc Mécanique a publié des disques mémorables de Bajram Bili, Delacave, 69, Jardin, et plein d’autres artistes exotiques dont le seul objectif consiste à dissimuler leurs mal de vivre en criant simplement plus fort que les autres.

Ah, 18h37 : Charles Crost pousse la porte avec un sandwich. Dans sa tête à lui, il est midi. Dans la notre, il est surtout l’heure de remonter le temps pour comprendre comment un label que tout condamnait à vieillir avec ses jeunes artistes punk à la con a réussi le 360° parfait en imposant la danse, la sueur et le rythme des nuits sans fin dans son ADN de startupper niqué au RedBull.

Afin de préserver votre santé mentale, toutes les digressions et autres saloperies sur la concurrence ont été filtrées, et ce afin que vous conserviez de ces deux animals le plus important : inutile de réfléchir trop fort pour gérer un label, ni de se prendre trop au sérieux. C’est peut-être ça la clef de la réussite, quand on n’a rien à perdre.

A gauche, Thomas, à droite, Charles.

Bon alors les mecs, pourquoi vouloir fêter cet anniversaire ?

Charles Crost : parce que 7 ans, ça porte malheur ou bonheur. Et puis ça tombe à un moment où l’on relance la machine, après une année un peu plus lent, moins de sorties, moins de motivation pour moi. J’étais tiraillé entre plein de choses et donc moins focus sur le label. C’est à ce moment là que Thomas a pris le relai.

Thomas, tu es arrivé à quel moment chez Le Turc ?

Thomas : En septembre 2016, au moment de la sortie de Super Bravo, Monsieur Crane…

Charles : ça tu vois, c’était un peu le peak time.

Charles, tu parles d’un peak time. Un terme plutôt clubbing. Est-ce que justement la naissance de Pasteur Charles [le nom de scène de Charles Crost en tant que Dj, Ndr] n’a pas pris un peu le pas sur l’activité label ?

Charles : c’est sûr. C’est une activité qui m’occupe de plus en plus, mais c’est aussi une ressource qui permet d’alimenter le label. Ca coïncide également avec une crise d’identité personnelle, savoir qui j’étais, ce que je foutais là, et pour quelles raisons. Une période un peu dépressive, pour résumer. Dont j’essaie de sortir… comme des excès. C’est aussi l’époque où je m’occupais de la radio de la Station [Station Station, Ndr]. Mais désormais, je ne me sens plus obligé de me justifier de jouer de la dance alors que je viens du punk.

« Il y a toujours eu cette intention de faire se rencontrer les punks à chien et le techno kid ».

N’as-tu pas vécu, aussi, l’overdose d’un trop plein de disques sortis sur LTM ?

Charles : certainement. Ca faisait déjà 5 ou 6 ans, non stop.

Thomas : et puis cela correspond aussi à une période de creux, artistiquement.

Charles : c’est pas comme si on avait un Rone [un artiste rentable qui remplit les salles subventionnées, Ndr] pour rentabiliser tout ce qu’on sort. Au peak time, donc, Le Turc Mécanique c’était 1 à 2 disques sortis tous les mois. Période de surchauffe ! Et cela commençait à poser un problème de stockage, grosse fatigue donc. C’est là que Thomas est arrivé, et le label n’aurait certainement pas tenu sans lui.

C’est quoi ton rôle dans l’affaire, Thomas ?

Thomas : charpentier ?

Charles : c’est un peu ça, complètement même. Imagine que je sois un gros clochard avec ma tente posée devant la Station ; Thomas c’est le mec qui est venu pour placer des poutres sur tout le bordel.

Thomas : non seulement désormais la maison tient, et c’est reparti depuis fin 2018, solide sur les appuis, avec des super sorties, des bons résultats.

Charles : on est hyper fiers, par exemples, du 3 titres de Bracco, sorti digitalement l’année dernière. Juste avant, il y a eu le maxi de Bajram Bili, qui a fait un sacré virage depuis le début. Maintenant on assume la musique de club sur le label. Il y a toujours eu cette intention de faire se rencontrer les punks à chien et le techno kid.

Charles aka Pasteur Charles

Tu te souviens de la première référence du Turc ?

Charles : oui, une compile. Une compile ratée. Une sorte de manifeste foiré avec des artistes internationaux. Le premier vrai 12 pouces, c’était Strasbourg et le premier album, c’était euh… Last Night. En K7.

Entre Last Night et le dernier Oktober Lieber, vous arrivez encore à voir la logique artistique ?

Charles : oui. Ce sont tous des gens qui ne sont pas contents, pas contents du monde dans lequel ils évoluent. Idem pour Balladur. Qu’on soit dans la pop ou la dance, il y a toujours un mécontentement, un truc à revendiquer, un peu désabusé.

Thomas : pour relativiser ce propos, je dirais qu’il reste un lien critique qui unit tous nos artistes ; on va dire un état d’esprit inadapté chez tous les artistes du label. On ne peut pas dire qu’un groupe comme Tôle Froide soit content, foncièrement. C’est un disque dans la revendication.

Charles : idem chez Oktober Lieber, qui conteste à sa manière ; dans la manière qu’ont ces filles de se battre à leur manière.

Thomas : LTM, ce n’est pas un label de gens qui dépriment, mais des gens qui utilisent la musique pour exprimer des sentiments loin loin du chemin balisé. C’est pour ça qu’on a encore pas mal de matière, on va dire même, un avenir. C’est brut, spontané, généralement bien écrit.

Est-ce qu’on peut dire que la « cassure » artistique, c’est au moment de la sortie du Jardin ?

Charles : peut-être oui. J’ai écouté ça en boucle, sans savoir si j’avais le droit de sortir de la musique de club. Ca a été ça le déclic, oui.

En fait, tu es un peu le Jean-François Copé du post-punk français : tu milites pour un clubbing décomplexé.

Thomas : quand tu y es réfléchis, c’est pas complètement con. Pas ta vanne sur Copé hein, mais le fait que la culture club s’est complètement démocratisée.

En même temps, la culture rock, elle, est devenue complètement chiante.

Charles : oui, on l’a vécu. Les concerts de rock sont devenus terriblement nuls.

Thomas : j’ai bossé pendant 1 an et demi en maison de disques [chez PIAS, Ndr] et où les seuls kifs que tu prenais, c’était en live avec Fat White Family. Pour moi, le punk est beaucoup plus global que le rock, surtout.

Charles : le punk comprend la techno, oui, alors que le rock, non.

Thomas : avec le punk, tu peux même raccrocher le rap par exemple. C’est utiliser des codes qui ne sont pas les tiens pour sortir un message.

« On n’est pas très triomphe »

Parenthèse promo : c’est quoi le programme 2019 du Turc Mécanique ?

Charles : Pour l’instant, des albums ou maxis de Bracco, Teknomom, Strasbourg et Balladur. Y’a une certaine fidélité avec tous nos groupes.

Un regret en 7 ans ?

Charles : aucun regret. Il est déjà arrivé qu’on pédale dans la semoule, mais aucune vraie plantade. Mais à l’inverse, on n’a jamais eu de vrai triomphe. « On n’est pas très triomphe », c’est pas mal comme punchline, non ? Ce dont on est sûr, c’est que tant qu’il y aura des cas sociaux, y’aura des disques à sortir.

https://leturcmecanique.bandcamp.com/

Grosse fiesta prévu pour les 7 ans à la Station (Paris) le 16 février avec l’amrée des bras cassés du label (Télédetente 666, Balladur, Oktober Lieber, Bajram Bili, etc). Toutes les infos ici.

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