Il fait partie de la mafia des nouveaux punks aux côtés d’Ivan Smagghe, Red Axes ou Optimo. Véritable artisan réalisant des disques de new wave insensés en toute modestie, le DJ-Producteur lituanien Manfredas aime entretenir le mystère. Sa vie, ses disques de Metallica et sa moustache : portrait d’un mec qui vient du froid.
Si je vous dis « Vilnius en Lituanie », vous pensez à quoi ? Bertrand Cantat et le drame de Marie Trintignant ? Oui, probablement. Cependant avec notre héros du jour – le DJ-producteur, Manfredas – vous aurez peut-être l’occasion de voir cette ville et ce pays autrement.
Manfredas n’a rien à vendre, pas d’album ni de véritable actualité. C’est surtout l’occasion d’en savoir plus sur un DJ-producteur européen incontournable depuis plusieurs années. De ses débuts dans l’underground lituanien jusqu’à aujourd’hui, Manfredas semble avoir coché toutes les bonnes cases: adoubé par Andrew Weatherall ou Red Axes, des disques magnifiques sortis sur le label d’Ivan Smagghe, mixer pour une Boiler Room dans son pays, tenir une résidence sur la radio anglaise NTS ou encore avoir son nom en lettre d’or sur Resident Advisor. Comment diable en est-il arrivé là?
Back to the U.S.S.R
Manfredas n’est pas le même background artistique que nombre de ses pairs Dj-producteurs des autres capitales: il vient de Vilnius en Lituanie. Vous savez où se trouve la Lituanie? Oui? Ok, moi j’arrivais honteusement à situer « à peu près » ce pays sur la carte. C’est donc au nord de la Pologne, coincé entre la Lettonie et la Biélorussie. C’est géographiquement plus proche de Moscou que du Berghain de Berlin. C’est surtout culturellement et historiquement plus proche de la Russie : membre de l’union européenne depuis seulement 2004, le pays s’appelait République socialiste soviétique de Lituanie jusqu’à la chute de l’U.R.S.S en 1989. Je ne vais pas vous refaire Le Dessous des Cartes de Arte, mais si je prends le temps de parler de la Lituanie c’est parce que son histoire est liée au parcours et à la construction culturelle du jeune Manfredas et le fait que sa musique sonne différemment des autres artistes techno actuels.
Né en 1981, le jeune Manfredas Bajelis était un gamin normal avec « un costume de ninja et qui faisait du karaté » nous explique-t-il « j’adorais le skate, la musique et j’enregistrais des trucs bizarres sur des cassettes. Je n’aimais pas trop les bouquins, je regardais rarement la télé et je passais la plupart du temps dehors : j’étais toujours le dernier à rentrer à la maison! ».
Au sujet de la guerre froide et de l’hégémonie culturelle soviétique, il se souvient surtout que la culture occidentale circulait seulement sous le manteau et était une chose totalement étrangère. Manfredas aime se souvenir en riant « qu’à cette époque tout le monde possédait une version bootleg de la Lambada de Kaoma ». Quand je lui demande comment s’est passé la chute de l’U.R.S.S quand il a eu soudainement accès aux disques de Bruce Springsteen et Mariah Carey. Même s’il était gamin, il se souvient que « cela ne s’est pas fait en une nuit. Il y a eu tout un âge d’or de bootleg et d’enregistrements pirates sortis de façons totalement anarchiques et aléatoire. C’était le hasard de tomber sur des artistes anonymes dont on ne connaissait ni les noms ni les artistes. Des trucs enregistrés sur K7 de façon très très mauvais, avec un son horrible. Cela a pris pas mal de temps avant de mettre la main sur les bons trucs ».
Très jeune, ce gamin qui fait du skate dans les rues de Vilnius se prend d’adoration et de fascination pour la musique et la bande FM: « un jour j’ai découvert l’univers de la radio et j’ai commencé à y travailler très jeune, à la fin de l’adolescence, parce que j’ai senti que j’avais soudain trouvé quelques choses que je pouvais faire sérieusement de ma vie. Je parle de musique ». Il a à peine 13 ans quand il se retrouve à bosser dans une radio. D’abord en donnant des coups des mains, il arrive enfin, après plusieurs mois, à se retrouver derrière le micro de Zip FM. Qu’est-ce-qu’il retient de ces années en radio? « J’ai travaillé en radio pendant environ dix-neuf ans, c’est pas rien! Mais, honnêtement, je n’ai jamais réellement apprécié être présentateur. Je me suis retrouvé là car depuis le début, mon envie était de partager des programmes et de la musique. Sur ce que cela m’a appris, c’est surtout ces années passées sur mon travail d’editing et de maîtrise des outils de production qui me servent encore dans mon travail actuellement ».
Pour ses tout débuts en radio, Manfredas n’est pas trop branché par l’électronique underground mais plutôt par le hip hop. Je lui demande comment il est passé d’artiste hip-hop au deejaying techno. « Le mot « artiste hip-hop » me parait un peu fort ici, ah ah ah ! Disons que mon émission de hip-hop disposait du pire créneau horaire possible dans une petite station de radio… Mais c’était un super endroit pour commencer. Je suis uniquement fasciné par les idées intéressantes sur le plan musical qui font bouger ta perception, quelques soit le genre ». Comment beaucoup de quadra, Manfredas voue un amour à la culture hip-hop mais s’il m’avoue ne plus trop suivre l’actualité du genre. « Je ne te cache que je reste sur mes classiques : A Tribe Called Quest, Gangstarr, Group Home, Jeru The Damaga, Nas, Mobb Deep, Boot Camp. Après avoir vu une série télé, je me suis remis dernièrement au Wu Tang Clan et au son « Chamber music »: j’ai réécouté un paquet de ces vieux trucs. RZA est un autre grand esprit dont tu peux explorer et apprendre ». C’est comme ça qu’il commence sa « carrière » dans le monde de la culture et de la musique à Vilnius. Comme la plupart des adolescents nés en 1981, Manfredas est un produit de son époque : dans les années 90, il suit les matchs de la NBA, rêve de porter des Reebok Pump et écoute en boucle « Master of Puppet » de Metallica et le disque « Use Your Illusion » des Guns’N’Roses (« le deuxième, celui qui est bleu », aime-t-il à préciser).
Lunette noire pour nuit blanche
Années 2000, Manfredas a 20 ans, les cheveux longs comme Kurt Cobain et il est cool même sans moustache. A force de sortir le soir, il se retrouve immergé et impliqué dans les nuits de Vilnius. Il passe de la musique dans un Bar-club du nom de Stereo 45 situé dans un sous-sol de la rue Jogailos avec des cds gravés le tout sur d’antiques platines Pioneer 100s – les premières platines CD sans sticks USB mais avec un jog sur le dessus. Manfredas semble y passer les disques branchés européens du moment: ceux du label DFA, Miss Kittin, le revival new wave de Tiga mais aussi des vieilleries signées Black Devil Disco Club ou encore Liaisons Dangereuses. Le Stereo 45 est un club où se presse une jeunesse aux goûts pointue et où l’on peut manger de la tarte au poulet tous les jours, jouer au domino le mardi et participer à des soirées de 200 personnes dans un club grand comme un appartement. En 2004, avec deux autres oiseaux de nuit, il forme le combo Metal on Metal – qui n’a de métal que le nom. Ce trio qui a fait connaissance dans les bars se met à produire de la musique ensemble, un mélange de Boys Noize avec des sons de Game Boy. Curieusement, le groupe marche pas trop mal: début 2000 leurs attitudes de jeunes skaters-branleurs armé de sampler et de disques des Beastie Boys trouve un écho. Leur morceau No Front Teeth se classe dans les charts du pays. Ensuite Metal On Metal commence à lorgner du côté de l’Europe: un timide premier (et unique) single est signé sur le label de Fat Boy Slim et ils se retrouvent même à remixer Data Rock ou Block Party. Une vague tournée des clubs avec quelques dates en Europe est aussi réalisé dans la foulée. Cela sent bon les années 2000, l’époque de Justice et de Myspace et tous ces trucs ont (très) mal vieilli. Cependant, Manfredas et ses amis de Metal On Metal ne manquaient pas d’humour en qualifiant à l’époque leur musique de « Bruce Lee sous acid » ou encore « la vie de Charles Bukowski condensé en 8 minutes ».
Ensuite, comme avec tous ces groupes électro-turbine qui ne faisait pas dans la dentelle : c’est la fin de la récré et les Lituaniens de Metal On Metal sortent aussi du radar. Manfredas se trouve un boulot d’éditeur et monteur pour MTV Lituania et continue de mixer dans les clubs en majorité pour la jeunesse étudiante. A cette même époque il réalise sous pseudonyme une reprise techno lituanienne de Vamos A La Playa qui s’est retrouvé dans les charts en lituanie et en fond sonore des supermarchés. Sur ce sujet, Manfredas rappelle que « cela atteint le numéro 19 dans les charts nationaux. Heureusement, personne ne sait que c’était moi derrière ! ».
Nous ne sommes pas encore à l’époque où Manfredas partage les platines avec Andrew Weatherall ou les israéliens de Red Axes. Le virage techno-racé va se concrétiser grâce à une rencontre.
Opium du peuple
Le temps passe et Manfredas aiguise son appétit des disques dans l’ombre. Il porte désormais une large et reconnaissable moustache qui semble lui donner 10 ans de plus et des airs de philosophe d’Europe de l’est des années 70. Il réalise des productions dans son coin. Sur ce point de l’évolution musical il me confie: « C’est seulement devenu un truc de nerd musical pendant environ vingt-cinq années de ma vie. Une fois que tu as entendu tous les morceaux du monde, cela ne paraissait pas trop difficile d’essayer d’en faire de simples toi-même dans ton coin ».
Après avoir fait ses armes dans la cave bordélique du Stereo 45 il est désormais résident d’une discothèque – L’Opium – situé dans le centre-ville. « On a tout d’abord commencé par monter des soirée electro-clash de façon très discrète. Puis ces soirées ont très vite décollé, en grande partie parce qu’elles étaient beaucoup plus radicales que ce qui se faisait ailleurs ». Ce club, et particulièrement les soirée appelées Smala qu’il anime, devienne petit à petit le point de fixation en Europe de l’est de tous les acteurs européen et mondiale d’une certaine techno moite et déviante. Des noms comme Thomass Jackson, Red Axes, les Ecossais d’Optimo ou le maître Yoda Andrew Weatherall y font escale avec leurs disques maléfiques. Sous l’impulsion du DJ moustachu et son équipe, ces soirées inscrivent la Lituanie sur la carte des endroits où il se passe désormais quelque chose. Au sujet du club Opium, et son succès, Manfredas continue : « la chose la plus importante, c’est que c’est un club qui est conduit par une équipe passionnée et professionnelle. Il y a beaucoup d’amour et c’est ce qui est apprécié par les gens qui fréquentent ce club. C’est un bon mode de fonctionnement où le concept abstrait d’énergie humaine y est très présent et cela n’existe nulle part ailleurs. C’est un sentiment très tribal: de par mon travail de DJ, j’ai vu pas mal de clubs dans le monde et, en toute honnêteté, Opium Club est l’un des meilleurs ».
« Honnêtement, c’est un véritable mystère pour moi que les gens arrivent à reconnaître « mon son, la plupart du temps mon son ne sonne pas « professionnel ».
C’est durant une de ces soirées où un certain Ivan Smagghe est programmé que le déclic va se réaliser et faire sortir Manfredas de l’underground lituanien. A propos de cette rencontre, voici ce que disait Smagghe dans une interview pour Vice: « alors Manfredas, c’est le coup classique du DJ résident que tu peux rater. Durant une soirée à la Smala, super soirée à Vilnius, c’est le mec qui te file une clef USB et te dit « ce sont mes premiers morceaux blah blah ». Bref, j’ai retrouvé la clef quinze jours après dans une poche de jean sale et puis j’ai écouté »… Le résultat c’est un premier maxi pour le Lituanien sur le tout nouveau label d’Ivan Smagghe. Ce maxi s’appelle « Pink Industry » et fait l’effet d’une bombe. Manfredas est d’un coup très demandé et depuis quatre ans il n’arrête jamais de mixer aux quatre coins de la planète. Ce qui est plutôt surprenant c’est qu’au niveau disques et productions, notre moustachu est assez rare.
Il a cependant réalisé des remixes par dizaines. Au sujet de ces derniers, Manfredas a un avis tranché : « tout cela ce sont des heures de pratiques et de production. Je vois aussi ces remixes comme une extension de ma production: à la différence que je partage les crédits de compositions. Il s’agit juste de diffuser des idées ». Dernièrement le Super Mario des platines est en grande forme comme en atteste ce morceau splendide, Mind Machine, avec un featuring vocal signé Bozzwell. Une track passée inaperçue – car sortie sur le petit label Microdosing – mais qui ose mélange l’âpreté d’une ambiance house-progressive de mega-club de Dubaï à la new wave 80’s la plus insalubre et dégradante. Manfredas a réalisé d’autres remixes magnifique dernièrement que je vous recommande, notamment pour Andrew Weatherall, C.A.R, Eyes Of Others ou encore Shari Vari (ce dernier est une relecture purement kraut de 8 minutes).
Don’t believe the hype
La patte sonore de Manfredas est assez unique car ce sont des sonorités assez bancales, aux influences clairement rock et aux tics de production légèrement lo-fi qui lui donne ces textures chaleureuses et peut-être plus humaines que les autres productions du genre. Quand je lui en demande ce qui fait la particularité de sa griffe sonore, Manfredas tente de ne pas casser la magie: « Je dirais que la plupart des fois cela ne sonne pas « professionnel ». Honnêtement, c’est un véritable mystère pour moi que les gens arrivent à reconnaître « mon son » ou ma patte sonore. Parce qu’au lieu d’en créer une, j’essaie constamment d’aller dans dans le sens opposé. Ce qui fait que cela donne quelque chose de différent à chaque fois. Mais, bien sur, tu peux reconnaître un artiste que tu n’apprécies pas nécessairement dans la façon dont il se sert de la compression, de tics de production ou de certains instruments. Mais cela peut passer par des motifs d’idées et c’est ce qui est plus ou moin mon cas ».
Comme d’autre artistes érudits, il doit aussi jongler avec les jeux des influences solubles dans sa musique. « Je ne m’assois jamais d’un coup à mon bureau pour composer de la musique dans sa forme générique », m’explique-t-il, « c’est toujours un arrangement de différentes influences qui m’y poussent. D’habitude je me sers de différentes références musicales seulement pour me mettre dans un certain état d’esprit. Toutes les musiques sont liées d’une manière ou d’une autre et je réalise mes propres versions de cela, basé sur un sens contemporain. Et quelques fois, avec l’intention de faire danser les gens ».
Même s’il reconnaît qu’il est très demandé et qu’il fait désormais partie de l’écurie des Djs pointus mondialistes, il aime à rappeler : « Je suis là depuis un moment et je n’ai un peu rien à faire des histoires de mode ou d’explosion d’une scène : les étiquettes musicales, c’est chiant ».
Pour la suite il me confie qu’il travaille à un projet d’album – « je suis dessus, actuellement ». En attendant de le voir mixer en chair et en os, peut-être profiter du GRAND CONFINEMENT pour écouter les productions de ces Dj-producteurs occultes, comme Manfredas. Je me rends compte en parlant avec ces derniers qu’ils ont peu de retours sur leurs productions de la part public. Eh ouais, ls gens qui viennent les voir jouer lors de soirées pour passer « un bon moment » n’écoutent que rarement leurs boulots. Souvent pensés comme des œuvres à part, ces disques peuvent prendre une forme plus pop et trouver une écoute domestique. En attendant de pouvoir se rendre à Vilnius, Lituanie ?
Ransom Note presents Pen Pals // Ransom Note Records
A noter : Manfredas participe à la compilation « Pen Pals », des collaborations inédites en soutien aux artistes ainsi qu’à nos confrères anglais du magazine Ransom Note. On y retrouve aussi Ivan Smagghe, Autarkic, un frenchie du groupe Vox Low, etc…
5 commentaires
he comes to my choppe & he ‘robbering’ few serge Gainsbourg… recroisé le soir avec Téki L & de bonnes bouteilles….
J’l’ai croisé chez François Mitterrand un soir d’octobre ; il sortait de chez Oberlé avec les Caractères de La Bruyère. Dégusté un Neisson hors-d’âge qui fit dire au Roi François : « c’est top ! ».
pas les mêmes valeurs d’enculer ?
Que tu crois.
non j’ean n’ai la preuve sur les poches arrierres de mes JEANS