Fait unique dans l’histoire de la pop culture : malgré ses 30 millions d’albums vendus, Michael Hutchence – le leader d’INXS – est la seule pop star a ne pas être devenue un mythe après son suicide. Scandale ou simple oubli ? Le nouveau documentaire Michael Hutchence, Mystify est là pour tenter de réparer cette injustice.
J’ai toujours rêvé d’avoir les mêmes cheveux que Michael Hutchence. Longue, d’un aspect onduleux satiné et d’une couleur légèrement cuivrée, sa coiffure était tellement parfaite que je pensais voir en Hutchence une sorte de héros pop sorti d’une bande dessinée. C’est donc du leader d’INXS qu’il est question ici via ce documentaire attendu depuis plusieurs années. Michael Hutchence, la star des années 80, le dieu des stades, le dieu du sexe, avec sa new wave-pop, ses cheveux parfaits, ses vestes en polyamide brillante, son Harley Davidson et sa moue boudeuse.
Le réalisateur de Mystify n’est pas un inconnu qui surfe sur la vague des documentaires pop successful: il s’agit de Richard Lowenstein, un vidéaste australien, véritable compagnon historique du groupe depuis ses début puisqu’il a réalisé pas loin de 22 vidéos clips pour INXS depuis 1985. En plus de cela, il a aussi réalisé le curieux long métrage Dogs In Space – avec Hutchence dans le premier rôle – en 1986. Bref, son attachement au groupe et sa connaissance de la matière première ne sont plus à prouver. Surtout, avec Mystify il peut prendre son temps pour déjouer l’intrigue du compte à rebours fatal du drame qui s’est joué mystérieusement dans la chambre 524 du Ritz-Carlton Hotel de Sydney en novembre 1997. Pour rappel, Hutchence y a été retrouvé mort pendu avec sa propre ceinture en cuir – à l’âge de 37 ans seulement. Une ceinture en peau de serpent. Un drame qui s’avère assez complexe, avec plusieurs paramètres en prendre en compte. Ce documentaire s’attarde plus sur la personnalité de Michael que sur la carrière d’INXS. Pas de chronologie ni de storytelling à base de disques d’or et de concerts dans les stades : tous ces éléments apparaissent intelligemment en toile de fond mais le premier plan est bien occupé par les tourments de l’Australien en pantalon vinyle.
Prenant la forme d’un récit intime, avec un montage nerveux s’appuyant sur des images d’archives conséquentes et étonnantes (Kylie Minogue, nue, dans les toilettes de l’Orient Express) – dû au fait que Hutchence possédait toujours un mini-caméscope VHS à portée de main et filmait énormément sa vie – Mystify laisse la parole aux proches. Les membres du groupe, sa famille, ses amis mais surtout : les femmes de sa vie. Et elles sont nombreuses : Kylie Minogue, Helena Christensen, Paula Yates, Virginia, Michele… Ce sont souvent elles qui l’ont mieux connu dans ses bons et mauvais moments.
On apprend que Hutchence était un jeune hipster qui roulait en Citroën CX, lisait Genet et Sartre.
Tout commence logiquement avec la jeunesse de Hutchence, sa relation compliquée avec son père et son frère, puis son immersion dans l’underground australien des années 80. Le monde a gardé cette image lisse du leader d’INXS en 1987, le reflet d’une époque fade, aseptisée et dégueulasse. Pourtant on apprend que Hutchence était un jeune hipster qui roulait en Citroën CX, lisait Genet et Sartre. Il faut le voir donner une interview au sommet de la gloire pour une chaîne italienne où il se met à parler de Jean Cocteau et…on se fout de sa gueule. Cela fait partie de la complexité de Michael : il a toujours été entre deux chaises, arty et underground au départ jusqu’à cette image lisse – qu’il a entretenu de lui-même : celle du mec qui sort avec des tops model en vogue, se produit dans les stades le torse nu et se retrouve en poster dans les chambres d’adolescentes fans de Duran Duran. C’est une grande histoire de la pop : celle d’un garçon très réservé à ses débuts qui se mue, sous les projecteurs et les hourras de la foule, en une sorte d’archange dionysiaque synthétique aux couleurs criardes.
C’est surtout un fabuleux rise & fall avec un virage (très) mal négocié au début des années 90 et une sortie de route qui a laissé Inxs dans le couloir poussiéreux des années 80. Exit les Tears For Fears ou autres Simple Minds : Hello Sonic Youth, Beastie Boys, Snoop Dogg ou Kurt Cobain. Hop ! Aux oubliettes, le vieux beau ténébreux et ses costumes en skaï brillant. Hutchence passe toutes ces années entre Paris et Roquefort-les-Pins, où il réside dans un domaine entouré d’oliviers y tenant des soirées mondaines, faites de mets délicieux, de vins moelleux, avec Helena Christensen et ses copines, Lenny Kravitz ou Bono. A partir de l’album « Welcome to Wherever You Are » en 1992, les albums d’Inxs sont assez affligeants et les choix de carrière discutables – un duo avec Mylène Farmer, je n’invente rien !
La spirale négative ne s’arrête pas là : il y a aussi cette histoire méconnue d’accident. Suite à une agression, Hutchence s’en sort avec un traumatisme crânien qui lui fait perdre les sens du goût et de l’odorat. Après cette épreuve, tous ses proches s’accordent à dire que plus rien ne sera comme avant : le bel Australien va plonger encore plus bas. Même sa coupe de cheveux ne s’en remet pas : il a fait un vilain défrisage.
Certains vomissent INXS, car il représente LE MAL, à savoir les années 80 et leurs superficialités érigées comme nouveau nihilisme sur les cendres du mouvement punk à bière.
Puis, le coup de grâce arrive grâce à Oasis – et Noël Gallagher plus particulièrement – qui se permet de l’humilier en direct devant des millions de spectateurs en 1996. Officiellement déclaré has been, à moitié ruiné, bipolaire, il se noie petit à petit dans l’alcool et les mondanités pour oublier un divorce sans fin et coûteux avec Paula Yates contre qui il se bat pour obtenir la garde de ses enfants, sous les yeux avides des tabloïds et autres paparazzis qui campent devant chez lui.
C’est tout ce drame shakespearien que nous raconte méticuleusement, et avec beaucoup d’empathie, ce documentaire. La légende dit que ceux qui ont découvert son cadavre l’ont trouvé beau : il avait les yeux fermés et semblait enfin en paix avec lui-même. Surtout, il avait toujours une coupe de cheveux splendide.
Voilà. C’est tout ?
Non, attendez ! Je n’en ai pas totalement fini avec le cas Hutchence ! A une époque où chaque décès d’artiste qui a vaguement flirté avec la célébrité par le passé a droit à son cortège triomphal de RIP, le cas Michael Hutchence pose question. Pourquoi le chanteur australien n’a jamais eu droit à une garde d’honneur digne de ce nom pour ses funérailles ? Pire : pourquoi se préoccuper d’un groupe ringard comme INXS ?
Certains vomissent INXS car il représente LE MAL, à savoir les années 80 et leurs superficialités érigées comme nouveau nihilisme sur les cendres du mouvement punk à bière. Mais c’est peut-être dans ce qu’elles ont de pire, que ces années 80 en sont passionnantes. Comme un instantané de ce que l’humanité a créé de plus…bizarre. INXS n’est pas le produit de mai 68, il n’apparaît pas dans le One+ One de Godard, ne sent pas le swinging London, les pochettes de Pink Floyd, les chemises à jabot ou les Chelsea Boots. Le groupe appartient à cette décennie décadente, de l’argent-roi, de l’égoïsme, des Lamborghini RT 45 roses et des mocassins sans chaussettes. Ce n’est pas anodin si Bret Easton Ellis cite INXS et son splendide New Sensation dans son brûlot anti-yuppie American Psycho. On se prend souvent à rêver des 60’s comme la période idéale pour parler de libération sexuelle mais, en définitive, quoi de mieux que les années 80 pour parler de SEXE. Ces eighties remplis de vide, de cocaïne blanche anesthésiante, d’attitude mondaine détaché de tout à l’abri d’une paire de Ray-Ban Wayfarer. Hutchence y a développé une dimension de maturité sexuelle qui le range dans le cas unique des méta-stars sexuelles qui doivent leur carrière à leur charisme. On peut dire qu’Inxs est un petit peu la version new wave, plus pop, de Motley Crue et Hutchence un genre de Brett Michael en pantalon Fiorucci. Une version glam FM de la pop mainstream. Quand la new-wave rejette l’idée de révolte et trouve d’autres moyens de t’ouvrir les yeux sur le monde. C’est en prenant en compte ce contexte qu’il faut voir le destin tragique de Hutchence. Ne pas faire comme si cela n’avait pas existé mais, au contraire, se confronter avec cette réalité.
I need you tonight
Avec le recul, INXS a sorti plus de très bons morceaux que de bons albums (seulement « Kick », « X » ou le sous-estimé « Welcome to Wherever You Are »). L’apport des Australiens n’est pas sur le terrain des disques mais apparaît donc sur cet autre front, plus esthétique et symbolique : la sexualité. Qu’il l’ai volontairement choisi ou pas, Michael Hutchence est devenu une icône pop sexuelle. Peut-être, la pop star la plus ouvertement sexuelle, avec Prince, Elvis ou la toison soyeuse de Jon Bon Jovi. Le sexe moite est très souvent célébré chez les Australiens, comme sur cet I Need You Tonight susurré. : « J’ai besoin de toi cette nuit, il y a quelque chose en toi, girl, qui me fait transpirer ».
Autre point important pour bien comprendre le malaise lié au cas Hutchence, c’est l’idée même de sa mort. Peu de temps après la disparition du chanteur, la cause de sa mort était relatée dans les médias de l’époque comme résultant d’un «jeu sexuel » ayant mal tourné. Ici, c’est encore la réputation de Hutchence en tant que Monsieur SEX qui revient sur le tapis. Avec le recul, c’est comme si on lui avait refusé le « droit » de s’être suicidé. Dans ce vacarme de fausses rumeurs, on n’a pas beaucoup entendu les médecins légistes confirmer le suicide, vu les traces d’alcool et d’antidépresseurs dans son corps ainsi que les brûlures de cigarettes sur sa main. Comme si la mort de ce personnage extravagant, reflet d’une époque dégueulasse faite de tops model, de hit au top 50, de soirées sur des yachts et de coke sur des plateaux en argent, ne cadrait pas dans le paysage. Il n’était pas dans le bon schéma ? Concernant la mort dans la pop culture, elle est très souvent utilisée à des fins idéologiques avec un storytelling manichéen qui nous arrange : l’idée de l’artiste bohème mort en pause christique. La figure liturgique de l’artiste qui a souffert, qui offre ses souffrances et ses plaies sur l’autel du consumérisme. La mort de l’artiste maudit et taciturne, trop intègre ou trop fragile pour suivre les règles du jeu proposé par ce monde, nous renvoie peut-être à notre propre rôle dans la société.
Que ce soit du rock alternatif dépressif (Cobain), du post punk nihiliste (Ian Curtis), ces décès indie entrent dans ce modèle simpliste de personnages charismatiques aux idéaux forts et prônant une intégrité artistique. Le suicide comme idée romantique. Celui d’Hutchence est donc bien loin de cela.
Avec INXS, on est en face d’un cas à part et qui devrait davantage nous interroger. Ici il n’est pas – en apparence – question de mal-être, de tortures mentales ni de compromis artistique. Car INXS, à l’inverse, était la bande-son parfaite d’une jeunesse reaganienne qui voulait juste s’éclater avec un pull Chevignon sur les épaules. Pour lui : Les saladiers de coke, des groupies devant sa loge, les numéros 1 au top 50 japonais, les limousines, les apparitions en playback dans des émissions berlusconiennes aux décors colorés. Est-ce que cette vision de droite conquérante n’a pas montré ses limites ? C’est peut-être aussi sa prise de conscience d’une situation d’échec devant ce système absurde des années 80 – dont il faisait partie prenante, jusqu’à en incarner lui-même l’esthétique – qui l’a fait, lui le lecteur de Cocteau et Sartre, se serrer une ceinture autour du cou. Il reste tout de même sa coiffure pour la postérité. Et en un sens, la pop music, ce n’est que cela, au fond : une histoire de coupe de cheveux.
Mystify Michael Hutchence (Richard Lowenstein), 2019
https://www.mystifymovie.com/
A relire : l’incroyable portrait de Hutchence par Lelo Jimmy Batista dans le numéro 29 de Gonzaï.
12 commentaires
? On dit ? croches pieds ou sous cloche ?
Antoine / sfit / VEGANS /
Baisé-es qu’ils se font faites par J.gasc, Usé & celui qui croit ressembler @ f Chichon, Baisés :!
La Pariseinne de Banlioux , pas vers le centre ville du Villejuif u , non @ l’opposé du pestisside r.i.p.
un docu passionnant.
un docu PASSIONNANT.
un docu PASSIONNANT.
On se pince ou on chiale un bon coup ?
balais de chiottes
Merci pour votre article : c’est toujours un plaisir de lire quelque chose sur le regretté et oublié (du moins, en France) Michael Hutchence.
J’ai le sentiment qu’il a mal vécu ce que beaucoup de stars féminines vivent : la sexualisation de leur image, le « sois-belle et tais-toi ».
Le dvd sortira en France le 3 mars.
Uff un peu fatiguant j’avoue, mais je comme même tenue le coup. Tu sais, en live je prefere, vouloir bien écrire en se regardent dans un miroir peut finir dans les marais
Enfin un bon article sur internet, bien écrit. Merci.
Merci pour cet article très intéressant et bien écrit.
Je vous rejoins sur la qualité indéniable de l’album » Welcome to Wherever You Are ».
Alors Michael Hutchence n’a jamais été marié et il a UNE fille avec Paula Yates avec qui il était encore couple au moment de sa mort. Pourquoi ? il n’est pas devenu une légende après sa mort ? parce que juste avant les médias avaient décidé de le démolir.
Michael marié et en instance de divorce, c’est à se tordre de rire. Se permettre de juger et d’écrire un article sur une personne dont on ignore visiblement toute la vie… 🤯🤮🤮pauvre gratte papier