Clément Braun-Villeneuve est féru d’alt-lit (pour alternative literature), le « chaînon manquant entre Melrose Place et David Foster Wallace », comme il le résume si bien. Le corpus étant le plus souvent introuvable en France, il a monté sa maison d’édition afin de traduire les meilleurs textes du genre.

On aurait pu commencer cette intro avec une petite phrase sarcastique sur une littérature contemporaine toujours plus éloignée du lecteur. Mais voilà, c’eût été contre le projet même de l’alt-lit. Celle-ci veut justement se débarrasser de l’omniprésente ironie, devenue le bouclier pratique de nos interactions sociales et numériques.

Résultat de recherche d'images pour "editions premier degré"Si vous n’avez jamais entendu parler de l’alt-lit, c’est normal. Celle-ci n’existe principalement qu’au USA à travers un réseau de blogs spécialisés, comptes Twitter, revues à petit tirage et micro-édition. Clément Braun-Villeneuve, attaché de presse dans une maison d’édition parisienne ayant pignon sur rue, s’en est improvisé le VRP. Il vient de monter sa propre maison, baptisée Premier Degré, et de publier deux premiers textes : Personne de Sam Pink, récit nihiliste d’un magnifique loser et Une famille contemporaine de Socrates Adams, joyeuse satire sociale d’une famille anglaise. 

Allons directement à la ligne : c’est quoi l’alt-lit ?

Clément Braun-Villeneuve : Vaste question. À la base, c’est un troupeau de mecs, entre le nouveau punk, le nerd et le brooklynite, qui s’est rassemblé via internet au début des années 2000 autour des auteurs Tao Lin et Megan Boyle, sa femme pendant un temps assez court. L’alt-lit, c’est surtout une esthétique littéraire influencée par Internet, notamment le microblogging, et brassant une série de thématiques symptomatiques d’Internet : la culture de masse, le sentiment d’isolement, ou les questions de conscience réflective ; il s’agit de retrouver une certaine forme d’authenticité dans un monde parasité par la mise en scène de soi. Les auteurs de ce genre ont une parfaite connaissance de leur histoire de la littérature, mais ils refusent toute littérature savante. C’est la réconciliation du populaire et du lettré. On peut dire que l’alt-lit est le chaînon manquant entre Melrose Place et David Foster Wallace.

Et qu’est-ce qui te plaît tant dans l’alt-lit ?

Clément Braun-Villeneuve : C’est une littérature enfin contemporaine. En matière de contemporanéité, la littérature est souvent en retard face à d’autres médias qui expriment mieux le Zeitgeist, comme par exemple les films d’Harmony Korine ou Melodrama de Lorde qui attrape une certaine forme de mélancolie du jeune adulte coincé par le primat de l’ironie et qui a du mal à entrer en contact avec autrui de manière franche. On est souvent dans un discours littéraire plus daté qui fait assez peu de place à ces nouvelles préoccupations 2.0.

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Comment as-tu découvert ça ?

Clément Braun-Villeneuve : Avec Richard Yates de Tao Lin. Ce livre a bien marché aux USA et été traduit par Le Diable Vauvert. J’ai voulu trouver des textes similaires. Il y avait d’autres mecs un peu traduits en France qui soutenaient le genre, comme Dennis Cooper chez P.O.L., mais je ne trouvais pas grand-chose. Au États-Unis, c’est assez peu connu, ce sont des gens qui restent très indépendants.

Je ne devais pas être le seul pékin à vouloir lire ce genre de truc.

Alors tu t’es dit « je vais lancer ma maison d’édition » ?

Clément Braun-Villeneuve : Je ne devais pas être le seul pékin à vouloir lire ce genre de truc. De manière absurde, je me suis dit que j’étais le mieux placé pour le faire, car je travaille déjà dans l’édition. Je pouvais donc m’y coller sur mes week-ends sans exigence de rentabilité. Je m’occupe de quasiment tout : traduction, session de droit, suivi avec les libraires. Les bénéfices seront réinvestis dans les prochains textes.

Pourquoi avoir appelé ta maison d’édition Premier Degré ?

Clément Braun-Villeneuve : Pour moi, ça résume assez clairement le grand problème de cette littérature : comment retrouver un peu de naturel et de spontanéité dans un monde qui les nie. Le truc marrant et tragique avec le premier degré, c’est que dès que tu sais qu’il existe et que tu l’exprimes, tu perds déjà une part d’innocence.

Il y a quelques années, le petit milieu de l’alt lit s’est pris un sévère #balancetonporc dans la face et depuis le genre est régulièrement déclaré moribond. Qu’en penses-tu ?

Clément Braun-Villeneuve : C’est aller un peu vite en besogne. Quelques ayatollahs du mouvement ont effectivement eu des comportements condamnables. Ils ont pour la plupart été sanctionnés publiquement et ont disparu de la planète alt-lit. Ça n’a pas été un coup d’arrêt, plutôt un assainissement. Le genre est toujours bien vivant et il y a de quoi défricher. Beaucoup de voix de femmes ont émergé de ce sérail. Le prochain et troisième livre de Premier Degré sera justement celui d’une toute jeune vingtenaire qui traite des questions de patriarcat, de politique des genres et de travail sexuel. Vu la proportion globalement faible de femmes dans le paysage éditorial mondial, ça me semblait important de donner une place aux voix féminines et féministes.

En savoir (et en lire) plus : https://premierdegre.com/

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