(C) Neil Krug

Cinq ans, une pandémie et quelques problèmes familiaux après le précédent « Sex & Food », Unknown Mortal Orchestra est de retour avec « V », sorti ce 17 mars chez Jagjaguwar. Dans ce double album fraîchement dans les bacs, Ruban Nielson concilie ses 10 ans de carrière avec un retour aux sources familial et à la culture hawaiienne.

Un vent de maturité semble souffler sur le courant néo-psychédélique. À l’instar des autres têtes de gondoles surfant sur la vague depuis les années 2010 (comme King Tuff ou Mac DeMarco, qui semble se tourner de plus en plus vers le silence), Unknown Mortal Orchestra et son chef d’orchestre Ruban Nielson semblent eux aussi atteindre un tournant de carrière : un virage tout en douceur, post frasques d’une décennie de route et de créativité frénétique, post nombriliste en redéfinissant certaines priorités, post pandémique et questionnements existentiels. C’est au bout de ce grand ménage de printemps, entamé par Nielson depuis 2019, que « V » est sorti ce 17 mars chez Jagjaguwar.

The Garden ouvre l’album sur six minutes de chaleureuses retrouvailles, ponctuées d’un solo de guitare surprenant et bienvenu. Entre psychedelia 70s, pop lo-fi et soft-rock 80s, quelques pièces de ce nouvel album sortent du lot : d’une rencontre entre inspirations reggae et hawaiiennes sur Guilty Pleasures, à That Life et ses horizons plus sombres sous ce paradis tropical. Entre quelques instrumentaux, un diptyque (Layla et Nadja) explore la face lumineuse et celle, plus sombre, de la vie insulaire, pleine d’allégories et d’une narration épurée. Weekend Run présente un rythme répétitif, presque dérangeant, symbolisant la monotonie d’un mode de vie où seul le weekend présente une perspective d’extase, avant de réembarquer, à nouveau, dans le train-train aliénant du quotidien.

Le cœur de l’album réside en quelques morceaux directement inspirés de la musique hawaiienne et empruntant un chemin plus riche encore, comme Keaukaha ou I Killed Captain Cook. Sur ce dernier, le clip (en super 8, évidemment) montre la mère de Nielson effectuer quelques danses hawaiiennes, renouant avec ce qui fut sa carrière tout au long de sa vie. Sur fond de hapa-haole (un mélange de textes anglais et de musique traditionnelle insulaire), le thème de la chanson est lui aussi sous profonde influence maternelle, puisque celle-ci racontait avec fierté à son jeune fils comment le Capitaine James Cook, alors qu’il tentait de kidnapper un chef hawaiien, fut assassiné en 1779 par les autochtones.

Ce qui semble n’être qu’une note de bas de page n’est pas anodin, quelques années après le déboulonnage de la statue de James Cook en Nouvelle-Zélande (patrie de naissance de Nielson) par les activistes postcoloniaux. Plus généralement, cet ambitieux « V » est en fait la bande-son d’une réunion familiale et culturelle, voyant le fils prodigue devenu rock star vivre à mi-temps à Hawaii, en compagnie de sa mère et de son oncle diagnostiqué de cancer. En plus de l’omniprésente figure maternelle (qui est aussi en filigrane du diptyque Layla/Nadja), Ruban Nielson invite son frère et son père, qui assure la flûte et le saxophone sur quelques morceaux.

Toutefois, au premier abord, Unknown Mortal Orchestra ne prend pas de grands risques et reproduit musicalement la recette qui lui donne couleur et texture depuis 2010. Deux réactions possibles. Pour les irréductibles fans, un sentiment de retour à la maison, à son confort et sa familiarité. Pour d’autres, le risque de voir poindre, à quelques moment-clés de cette heure orchestrale, un trop grand sentiment de déjà vu et son soupçon d’ennui.

« V » peut tout à fait s’entendre d’une oreille distraite, en arrière-plan – là est d’ailleurs le risque, sa délicate monochromie de façade tirant parfois trop vers la monotonie, au risque de noyer les innovations et explorations de ce projet au milieu d’un double album tirant peut-être un peu trop en longueur. « V » mérite certainement une écoute attentive pour en saisir les nuances mais qui, en 2023, aura encore le temps pour ça ?

Unknown Mortal Orchestra // V // Jagjaguwar, sorti le 17 mars

https://unknown-mortal-orchestra.bandcamp.com/album/v

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