Créer un premier album solo en ne sachant jouer d’aucun instrument, tout cela après quinze ans au sein d’un groupe de punk californien, et finalement sortir un morceau de 47 minutes dangereusement hypnotique : voilà l’exploit de R.J.F. avec « Going Strange ».

Certes, le punk appelle à une certaine prise de liberté vis-à-vis des codes et conventions. Le fameux « esprit DIY » au coup de poing facile, l’impatience et l’action au service de la créativité débridée. Mais même après avoir mené sa barque près de vingt ans au sein du groupe de punk californien Ceremony et son projet post-hardcore Spice, Ross Farrar aurait difficilement pu entamer un virage solo plus surprenant que ce « Going Strange ».

Devenu R.J.F., le punk entre deux-âges a foncé plein gaz dans une étrange direction, de celles qui se passent de panneaux indicatifs. Pour en tracer les contours, « Going Strange » pourrait se rapprocher de Tuxedomoon, Angelo Badalamenti ou Bohren & Der Club of Gore, sous les projecteurs blafards du Velvet Undeground ou de Suicide. Une ambiance de film noir, une longue déambulation hypnotique et sensorielle quasi claustrophobique dans laquelle on se plaît à errer, par goût du risque et curiosité malsaine. Pour le frisson.

Le communiqué de presse était assez honnête, décrivant un premier album solo d’un artiste « qui ne sait pas vraiment jouer correctement d’un quelconque instrument », puisque R.J.F. donne plutôt de la voix sous ses autres casquettes. Entre temps, il a emprunté à ses amis quelques bricoles, guitare, basse, synthé, percussions, pour s’embarquer sur le long monologue de Going Strange, unique morceau de l’album. Seule la version Bandcamp dispose d’une séparation pistes par pistes, permettant ainsi de mieux distinguer les couleurs, les ambiances et les directions de la virée nocturne.

À l’exception de Cutting et sa couleur 80’s naïve, la mélodie est quasiment absente de l’album entier. Du jazz sombre de Alloway Court et Farrow’s Birthday au rythme tribal et mystérieux de On The Streets, R.J.F. est presque messianique, comme un guide apaisé au milieu du tumulte. « Going Strange » est lent, minimal, naïf. Sa sonorité tient de l’art brut. À peine joué, à peine chanté (sur Cleveland, R.J.F. préfère réciter d’un ton monotone un poème erratique). Seules quelques variations ponctuent ce dédale étrangement harmonieux. Il y a une carcasse, une âme, une voix parfois sépulcrale et râpeuse, comme un Alan Vega désincarné. Et du sang et de la brutalité pour hanter ce premier album sans étiquettes, sans label, lâché dans la nature sans rien de plus qu’une promesse : « Going Strange ».

R.J.F. // Going Strange, paru le 17 mars
https://rjfmusic.bandcamp.com/album/going-strange?from=hpnn

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