Si, comme nous, vous étiez passé à côté des 7 précédents albums de ce groupe au nom aussi sexy que la région d’où ils viennent (la Rhénanie-du-Nord-Westphalie en Allemagne, PWFOUAH quelle angoisse !), que le terme JAZZ-AMBIANT ne vous donne pas envie de foutre le feu au rideau et que cette introduction à rallonge ne vous a pas donné envie de filer direct sur Konbini pour une énième interview d’artiste vous parlant en dix secondes de disques dont vous n’avez rien à foutre, alors il y a peut-être un avenir pour ce papier consacré à « Patchouli Blue », nouvel album au nom pas idéal mais parfait pour ambiancer vos soirées bridge, vos dimanches et mêmes, soyons ambitieux : votre fin de vie.
« Dis papa [ça marche aussi avec maman], dessine-moi un album joué par quatre mecs chauves à 78% et qui voudraient sonner comme du Brian Eno passé à l’ultra-ralenti dans un cabaret en ruines de Bavière.. ». Cette phrase est extraite d’un livre inédit de Saint-Exupéry consacré à un registre jusque là inexploré: l’art de faire de la musique qu’on n’écoute pas. Le terme s’applique déjà, et contre son gré, à la quasi intégralité du catalogue rap-variété saturant quotidiennement le robinet Youtube, mais aussi, plus volontairement, à Bohren & der Club of Gore; un groupe allemand a priori aussi attrayant qu’un week-end à Cologne avec vos grands-parents amnésiques mais qui, contre toute attente, vient de livrer un huitième album qui se diffuse dans l’air comme une grosse bombe Air Wick. Ce jazz aérien emplit l’espace sans empêcher de respirer et une fois passées les premières minutes de doute sur le ridicule de la situation (vous, en train d’entendre de la musique qu’on n’écoute pas, vous suivez?), « Patchouli Blue » n’est finalement pas plus indigne que les récents concerts d’Herbie Hancock ou le catalogue ECM.
On force un peu le trait, volontairement, sur Bohren & der Club of Gore. Mais à l’heure de l’ultra-rapidité et des giga-consommations de disques dont on ne dépasse pas la piste 3, tomber sur un Ovni de cette trempe a de quoi surprendre. C’est, à vrai dire, comme passer un samedi après-midi à Cherbourg en hiver; le temps se dilate, l’horloge s’arrête. Puis, sur un coup de sax, l’éclaircie : de Cherbourg, vous voilà passé.e à Twin Peaks, dans l’étrange série de David Lynch où les atmosphères valent plus que l’action. On pense également très fort au groupe Limousine et à ces quelques aventuriers de la musique planante qui fait du sur-place – avec une pensée émue pour le chef de projet en charge de l’exploitation commerciale de cet album sur le territoire français.
Sur « Patchouli Blue », tous les titres se ressemblent un peu. Et c’est même surement l’objectif : vous transporter dans un grand ascenseur hésitant entre la panne complète et le rez-de-chaussée. Tout cela fait évidemment réfléchir sur le rôle du jazz en 2020, espèce de Tranxen géant. Et si l’on sort du disque comme on y est entré, sans en avoir retenu un seul nom de morceau, c’est malgré tout avec l’impression d’avoir été le héros d’une série policière des eighties dont l’intrigue se passerait dans ce bled paumé germanique où les femmes arboraient encore des permanentes flinguées par d’anciens tortionnaire nazis et les hommes des cuirs à la Christophe Hondelatte dans Faites entrer l’accusé.
Le crime, lui, est juste parfait. Peut-être simplement penser, lors de la prochaine réincarnation des membres du groupe, à trouver un autre nom de scène.
Bohren & der Club of Gore // Patchouli Blue // Sortie chez PIAS le 24 janvier.
3 commentaires
zaï d ci dement tu n’auras pas le ‘buzz’
Il y a bien longtemps qu’on écoute ce groupe à Cherbourg, et pas que le samedi.
Groupe cultissime, musique hypnotisante