Vous vous sentez perdu parmi les plus de 60 000 titres mis en ligne chaque jour sur Spotify ? Nous aussi. Mais on a quand même pris le temps d’en écouter certains et voici ce qui a retenu notre attention ce mois-ci, comme au bon vieux temps où l’on écoutait des CDs commandés chez Club Dial, l’ancêtre de Spotify pour les mélomanes en chaises roulantes.
Lonnie Holley – Oh Me Oh My
Mood : Si vous avez aimé le dernier disque testament de Gil Scott Heron.
Pleure pas, bébé bonheur. Ce disque tient du divin : on touche presque les cieux du bout des doigts. Une œuvre aussi triste qu’un disque de Barbara. Qui est donc ce vieux monsieur de 76 ans ? Lonnie Holley a connu une vie très difficile – il prétend avoir été vendu, enfant, par ses parents contre une bouteille de whisky – et a tour à tour été SDF, ramasseur de poubelles ou plongeur dans les cuisines de Disney World. Bref, le côté galère du rêve américain. Mais durant les années 80, Lonnie a pris l’habitude de construire des œuvres hétéroclites avec ce qu’il ramassait dans les poubelles. Je vous l’ai fait courte, mais il est depuis devenu une figure du monde de l’art contemporain.
En plus de ces œuvres, Lonnie pousse la chansonnette de temps en temps : « Oh Me Oh My », est sûrement son disque le plus abouti. Entre spoken word, poésie, jazz spleenesque, free rock d’intello à lunettes ; c’est la voix de cet artiste qui touche le plus : il chante faux, la voix est celle d’un vieillard, c’est bancal et il paraît habité. Il est aidé sur certaines pistes par Michael Stipe de R.E.M. ainsi que Bon Iver. Certains morceaux peuvent donner mal à la tête, mais sur certains autres il atteint des sommets. Ce disque est à classer entre les œuvres de fin de carrière du chanteur de jazz Jimmy Scott et le dernier disque testament de Gil Scott Heron. C’est simple : je n’ai pas autant été ému depuis la scène de l’incinérateur de Toy Story 3. Gerard LOVE
The Lost Days – In The Store
Mood : Pop lo-fi ultra catchy comme à l’époque où les gros Ipod représentaient le turfu
C’est toujours étonnant comme certaines musiques peuvent renvoyer l’air d’une époque. D’autant plus quand on a vécu cette période, cela laisse flotter une légère nostalgie pas forcément désagréable. A l’écoute de l’album « In The Store » de The Lost Days (forcément), ça sent fort la fin des années 90 / début des années 2000, âge insouciant des hoodies colorés, des jeans regular un peu trop grand et d’une pop efficace et gentiment naïve. Déjà connu depuis quelques années pour son traitement du folk et d’une réinterprétation du Weezer des débuts, l’Américain Tony Molina est derrière ce projet avec la chanteuse Sarah Rose Janko (Dawn Riding). Une idée qui a germé à l’occasion des funérailles d’un ami commun.
Comme en solo, il poursuit dans le format ultra court avec 10 titres en 16 minutes. Le duo ne s’embête pas avec des constructions de morceaux trop complexes et il y a dans cette musique une immédiateté maximale. Ce que la pop peut avoir de plus doux et régressif renvoyant à Elliott Smith, Ben Lee ou encore les Ecossais de The Pastels pour le duo de voix masculin/féminin. Si le Byrdsien In The Store est la seule chanson respectant un format encore à peu près conventionnel, les mini capsules que sont For Today, Half The Timeou Mess Your Made ramènent à ce que l’indie rock US avait de plus noble il y a une grosse vingtaine d’années. Oui, par moment, on se croirait presque dans une scène de bar de The Good Will Hunting ou dans un film d’Hal Hartley.
Emmanuel Jean
James Ellis Ford – The Hum
Mood : Ça donne quoi un match Tinder avec Robert Wyatt ? A peu près ça.
Les producteurs sont comme des agents secrets de la musique. Ils sont là, en coulisse. On ne les voit pas, on les connaît peu. Mais tout ce qu’ils font, on peut l’entendre. L’Anglais James Ellis Ford a un CV long comme le bras. Il était là au début de Justice — les deux Français ont remixé l’un de ses sons Never Be Alone pour créer le tube We Are Your Friends — avec Simian Mobile Disco, il a joué de la batterie avec les Last Shadow Puppets, il a produit pour des stars (Kylie Minogue, Depeche Mode, Arctic Monkeys, Gorillaz) et il s’est imposé, dans l’ombre, comme un homme discret mais influent. À 44 ans, ce fan de Brian Eno et McCartney sort son premier album solo. Un disque sur lequel il se met en avant — il chante et il joue avec des instruments qu’il ne maîtrise pas vraiment comme la basse clarinette ou la flûte — et sur lequel il distille, pour la première fois, ses influences musicales. Il ne ment pas : oui, l’idée de passer quelques coups de fils aux copains pour l’élaboration de ce disque lui a effleuré l’esprit. Mais James avait finalement envie de le faire seul : il joue des 18 instruments présents sur « The Hum » et ni Alex Turner ni Damon Albarn ne sont en featuring. Ils ne sont même pas passés dans le studio pour checker d’une oreille ses avancées.
« The Hum » n’a rien d’un disque de 2023. Il jongle entre Robert Wyatt, Richard Hawley et Caravan dans une ambiance paisible et maîtrisée. Rien ne dépasse, la basse donne souvent le ton, les arrangements sont subtils. En bref, le manuel a été lu, il a été respecté. Mais sur ce disque, James parvient à trouver un équilibre entre le respect des codes — et ses hommages à ses héros — et l’envie d’y apporter une touche beaucoup plus personnelle. I Never Wanted Anything, le premier single de « The Hum », capture cet état d’esprit dans une composition aux airs de Stereolab. The Zips s’approche du jazz expérimental, avec des influences du Moyen-Orient et des thèmes polyrythmiques. Caterpillar pourrait se retrouver sans difficulté sur le nouvel album de Squid — qui sont d’ailleurs signés sur le même label, Warp — et Closing Time conclut l’album comme on termine un tour de piste après avoir gagné une course au 110 mètres haies.
La force de « The Hum » est de parvenir à créer plusieurs décors. Certains sont bricolés à la main tandis que d’autres donnent l’impression d’être plus sophistiqués et techniques. La mise en scène finale est réussie, avec un spectacle qui n’est pas retentissant mais qui tient en haleine. Et qui musicalement offre assez de bons moments pour obtenir une belle standing ovation. Robin Ecoeur
Sinaïve – Répétition
Mood : Guitares électriques saturées venues d’Alsace pour que le rock choucroute dame enfin le pion au Krautrock.
J’ai toujours eu le plus grand respect pour les groupes de rock qui chantent en français. Les rappeurs ne se sont pas posé la question d’utiliser l’anglais pour s’emparer des charts ce qui a au moins eu le mérite de ne plus avoir à subir des horreurs à la radio comme Luke, Silmarils ou Matmatah. Si Diabologum par exemple avait réussi à trouver ce fragile équilibre, il n’y a rien de plus périlleux que de vouloir jouer du rock anglo-saxon dans la langue de Bruno Lemaire. Ou alors ce serait pour un improbable revival rock alternatif franchouillard et une reformation des Negra Bouch’Beat.
La démarche des Strasbourgeois de Sinaïve est donc d’autant plus respectable quand ils s’attaquent au registre psyché-garage-Kraut. Moins marqué par la pop noisy gentille Sarah Records à la The Field Mice de leur premier EP « Super 45 T » (et sa pochette hommage au deuxième album de Spacemen3 « The Perfect Prescription »), leur nouvelle sortie « Répétition » se rapproche paradoxalement plus de l’univers sombre et électrique des frères ennemis de Rugby, à l’image du titre d’ouverture (La StraSburg). Sous la houlette du parrain alsacien Rodolphe Burger, ils n’ont gardé du côté un peu yéyé des débuts que les jolis chœurs féminins. Ailleurs, il est plus question du groove drogué des Stooges de « Fun House » ou du bruit blanc du Velvet avec des riffs ou un solo de près de 2:30 (Métier de vivre). C’est vraiment très réussi. Pour revenir à l’usage du Français, le trio arrive quand même à faire rimer « commissures », « procédure » ou « mesure » sans être ridicule. Le langage un peu technique ça marche à tous les coups. Sinon choisir qu’on ne comprenne pas vraiment ce qu’ils disent (Parasite), c’est aussi une bonne façon de contourner les difficultés de l’exercice. Je suis sûr que les Anglais ne captaient rien à ce qu’ils disaient dans « Loveless ». Emmanuel Jean
Gum Takes Tooth – Recovery Position
Mood : « Si c’est trop fort, c’est que tu es trop vieux ».
Un duo londonien, fan de synthétiseurs maculés de crasses, de cartes graphiques poussiéreuses et d’EBM martial. Ces volcanologues existent depuis une dizaine d’années, mais nous proposent leur disque le plus abouti. Ce n’est pas réellement techno, c’est lointainement rock : leur mixture ressemble à une relecture de groupes underground de la fin des années 80. Plutôt vers des groupes gotho-industriels en rangers, comme, par exemple :wumpscut. Le son y est lourd, l’ambiance brumeuse, les basses asphyxiantes et les vocaux sont susurrés, mais menaçants. Si l’on peut ressentir un léger mal de crâne à la moitié du disque, je salue l’effort sur les textures et la production : j’ai rarement entendu un travail sur la recherche sonore aussi développé que ce disque. Il y a une réelle idée de pousser les limites, sortir d’une zone de confort et d’amener l’auditeur vers un ailleurs à la fois sombre et moderne. Les six longs morceaux s’enchaînent sans aucun répit et Gum Takes Tooth ne fait pas de prisonniers. Notre cul leur appartient désormais. Gérard Love.
NEWEM – SIDERS
Mood : Le mec du duo Scratch Massive a revêtu une cagoule comme les Daft Punk – mais avec des pointes black metal dessus.
J’ai toujours adoré du fond du cœur le duo français, Scratch Massive. Depuis leurs débuts technos attendrissants et maladroits ou leur virage électro-clash influencé par The Smiths mid-00s, c’est un groupe qui occupe l’espace sans relâche. Si les Massive existent toujours, le duo sort beaucoup de projets en solo. Maud Geffray a sorti au moins quatres albums et Sébastien Chenut, lui, a commencé à sortir des bandes originales remarquées. Mais depuis peu, il a aussi créé un label ainsi qu’un projet solo. Sous le nom de NEWEM (en majuscule comme INLAND EMPIRE de David Lynch ) le garçon de Massive nous propose une forme hybride de house progressive, où se mêlent ambiance EDM adolescente, teen spirit EMO mal dans sa peau et surtout de la reverb à fond la caisse. « SIDERS » est son deuxième projet sous l’alias NEWEN. Il prend la forme d’un EP avec des remixes, collaborations ou relecture de son premier disque, « MOONPARK ». C’est toujours splendide et ce qui m’attire, c’est que Chenut a décidé de s’effacer derrière ce projet sous une forme anonyme et intrigante : une silhouette vêtue d’une cagoule à pointe métallique, traînant sa carcasse dans un décor californien de fin du monde. Du feu, de la technopop, du métal : Black Metal Ist Krieg ! Gérard Love.
Tim Hecker – No Highs
Mood : Quand un des maitres de l’ambient sonne la fin de la récréation avec la bande-son de la prochaine apocalypse.
Il faut bien se l’avouer, le revival ambient initié il y une dizaine d’années commence à ressembler à un grand embouteillage. Je me suis dit qu’on arrivait peut-être en queue de comète en entendant An Ending de Brian Eno passer en boucle dans un grand centre commercial dégueulasse. Ce n’est pas très grave, c’est le lot de toutes les modes et cette musique, de par sa nature même, a peut-être un peu plus de mal à se diversifier que d’autres. Baron du genre depuis une vingtaine d’années, le Canadien Tim Hecker s’en est lui aussi inquiété au moment de la sortie de son dernier disque « No Highs » en exprimant son « malaise devant le déluge d’ambient corporate faussement positif ». ll faut dire qu’il n’a jamais fait dans la musique d’ambiance new age pour faire pousser les fleurs et se place plus dans la frange dure du genre.
Moins anxiogène que par le passé, sa dernière sortie a plus des allures de paysages post-apocalyptiques arides lancés dès les sirènes qui ouvrent le disque. Bonjour l’ambiance avec des titres comme Anxiety, Pulse Depression ou Total Garbage. Il n’en demeure pas moins qu’au milieu de ces champs de désolation de nappes et de notes répétitives survivent quelques îlots de beauté et de paix. Le céleste Winter Cop vaut à lui seul de garder l’espoir et d’aller errer sur une plage d’Ibiza envahie par les zombies en écoutant le saxophone de Colin Stetson sur Monotony II. Il y a une vraie forme de quiétude dans ce chaos qui se termine de façon assez majestueuse avec un Living Spa Water qui pourrait ressembler au bout du tunnel. Emmanuel Jean
Bryozone – Eye of Delirious
Mood : Expérimentations musicales aquatiques surgies des abysses de la mer noire.
Au départ, je comptais parler de Beach House et de son nouvel EP en pilotage automatique « Become ». De bonne chansons (Devil’s Pool) mais rien de bien nouveau sous le soleil voilé de la nièce Legrand depuis près de 10 ans. Avec leur fanbase monumentale, ils n’ont finalement pas tant besoin que ça de promotion, tout le monde l’écoutera. Non, il m’est apparu finalement plus utile d’évoquer l’Ukrainienne Ganna Bryzhata et son projet Bryozone (et non pas Boyzone). Il faut quand même imaginer que la jeune fille vit toujours à Odessa sous les bombes russes et une guerre qui dure maintenant depuis plus d’un an. On n’est pas là pour faire pleurer dans les chaumières mais, à jeter un œil sur son instagram, la vie n’a pas l’air d’être facile tous les jours pendant qu’on se lamente sur le prix des yaourts.
Je ne sais pas si le conflit a joué sur son disque « Eye of Delirious » mais si celui précité d’Hecker rappelait la fin du monde, on se situe plutôt ici dans l’apparition d’une nouvelle vie mutante un million d’années plus tard.
Ça lorgne souvent vers l’expérimental et tous les genres un peu brumeux sont représentés : de l’ambient avec Glowing Sirens (et oui encore un peu), du dub liquide (Sub Nautica), du Fourth World (Smoothy Flow) ou une musique tribale indéterminée (Ghost Tribe) dans une forme d’hantologie exotica rappelant celle du Français Romeo Poirier. Je ne sais plus où j’ai lu ça mais ça parlait d’elle comme la sirène de la mer noire et c’est bien trouvé. Il faut la soutenir et l’écouter. En parallèle, elle a aussi un groupe appelé Chillera où elle joue de la basse dans un tout autre registre : entre guitare surf et dub tropical. Je conseille notamment leur « Live from Odessa » qui est vraiment super. Il y a même un chien qui aboie à la fin de chaque morceau. Emmanuel Jean
µ-Ziq – 1977
Mood : Si les papys de l’IDM ont aujourd’hui la cinquantaine, ils savent encore montrer qui c’est le patron.
Avec l’âge on a de plus en plus d’obsessions et j’ai vraiment du mal avec les albums trop longs. Il faudrait légiférer pour les limiter à 10 titres. C’est condensé et on ne garde que le meilleur, j’en suis convaincu. Les Guns N’ Roses auraient signer un chef d’œuvre s’ils n’avaient pas voulu faire un double double-album avec « Use your Illusion ». En vieux routard de l’IDM courant canal historique, Mike Paradinas alias µ-Ziq devrait le savoir. Depuis plus de trente ans, il fait partie de l’aristocratie de ces anglais qui font danser intelligemment avec quelques classiques au compteur (« Tango n’Vectif », « Bluff Limbo », « Lunatic Harness »…) tout en dirigeant de main de maître le label Planet Mu. Un peu moins présent ces dernières années, il sort de manière assez étonnante « 1977 » sur le label Balmat dirigé depuis les Baléares par le journaliste vedette de la musique électronique Philip Sherburne.
Alors oui, avec 15 titres et plus d’une heure de musique, il aurait gagné à être plus compact. Car, dans une forme de retour aux sources d’une électronica douce et suave, Paradinas publie ses meilleures compositions depuis des lustres. Si on pense parfois au Aphex Twin des Selected Ambient Works (4am, Lime Aero), après tout il a bien le droit puisqu’il est pote avec Richard D. depuis le début des années 90 et ils ont même fait un album en commun (Mike & Rich). Très (presque trop) varié ce qui lui donne parfois des airs de compilation, « 1977 » tape dans beaucoup de registres : du Kosmiche (1977), de l’ambient (Burnt Orange) ou carrément de la drum’n’bass antique (Mesolithic Jungle) et un vrai petit hymne électro qui boucle le disque (Froglets). En fait, mon argument de la longueur ne vaut pas grand-chose, le SAW II d’Aphex Twin durait 2h36 et c’est un classique ultime. Emmanuel Jean
4 commentaires
gonzai c’est plus le club Dorothée que dial ,et le hipsters bester de gonzai c’est le sosie caché Bernard Wantier
https://www.discogs.com/fr/artist/569046-Bernard-Wantier
que du service de pressurisation
aucun de cela aucun
osees in the red 18O823