« DSK OUT ». Le 16 mai 2011, soit deux jours après avoir été accusé de viol par Nafissatou Diallo dans la chambre 2806 du Sofitel de New York, Libération se fend d’un titre définitif sur ce qui sera désormais le fardeau de Dominique Strauss-Kahn : être condamné à exister, mais sans porte de sortie. Presque dix ans après les faits, et en 4 épisodes, Netflix revient par le petit trou de la serrure sur cette affaire entremêlant pulsions sexuelles et déchéance. Sébastien Chenut, moitié du duo Scratch Massive, s’est vu confier la périlleuse mission de composer la bande originale habillant cette histoire où personne ne l’est. Il raconte.

A la question de savoir s’il faut regarder Chambre 2806 : L’Affaire DSK, actuellement disponible sur Netflix, on tranchera rapidement : oui, et plus que ça même, il faut l’écouter. En 29 morceaux, le Français parvient à restituer une ambiance pesante et mystérieuse où jamais rien ne sera clairement élucidé (le procès de DSK se soldera par un accord entre les deux parties, pour un montant non révélé) et où victimes et accusés, souvent, se confondent.

DSK: The economic impact | The World from PRX

Si l’on n’apprend certes peu dans la série réalisé par Jalil Lespert, la musique, elle, confère à tout ce bordel (nom du label de Scratch Massive, au passage) une unité. Et mieux que ça même, une « beauté » intemporelle à placer quelque part dans le triangle des Bermudes, entre les soundtracks de Blade Runner 2049, Twin Peaks et Heat.

Sexual predator, Le Perv, Manhattan Drone ou encore Ministère des finances, voici quelques noms de pistes de cette B.O. qui suffisent à replonger n’importe quel Français dans le tumulte de cette année 2011, quand tout bascula pour Strauss-Kahn et les mâles blancs de son espèce (Harvey Weinstein, plus tard, suivra sur le même toboggan) Après Burning Shadow en 2019, c’est la deuxième musique de film écrite par Chenut, loin de Scratch Massive. Souhaitons que contrairement à la carrière de DSK, ce ne soit pas la dernière. Pour mieux comprendre la genèse de ce projet tiré par les cheveux (sic), il s’est prêté à un interrogatoire moins rugueux que sur Rikers Island. 

Franchement, si l’on t’avait dit au début des années 2000, quand DSK était encore au top, que tu composerais une BO sur sa déchéance, y aurais-tu cru ?

Non je ne crois pas. On venait tout juste de commencer à faire de la musique avec Scratch Massive, DSK était en pleine montée politique, mais je ne surveillais pas trop tout ça.. Je ne pensais pas encore que je ferais de musique à l’image et encore moins pour un documentaire sur un homme politique accusé de viol…

Pour la composition, comment as-tu travaillé ? Sur les images ou from scratch (sans jeu de mots), avec une idée déjà prédéfinie en tête ?

J’ai commencé pendant 3 mois à faire de la musique sans images, Netflix c’est un peu Fort Knox ou la Banque de France, ils ne distribuent pas les images ni aucun contenu comme ça et même quand ils le font c’est limite si on n’a pas une capture de notre rétine pour les regarder. Donc je me suis mis le personnage en tête en regardant des images d’archives de YouTube, etc..Mais pour être honnête, je savais déjà vers quoi aller, j’avais vécu son arrestation en direct à la télévision, c’était en moi.

De prime abord, on est surpris de retrouver ton nom accolé à cette série. Comment s’est fait la rencontre avec Jalil Lespert ?

Jalil m’avait approché pour faire une pub pour Pathe / Apple. La rencontre et le projet s’étaient super bien passés et il m’a proposé dans la foulée de bosser sur la musique de DSK pour Netflix.

Sébastien Chenut

Sur les ambiances vaporeuses, entre du Twin Peaks et Popol Vuh [la B.O. du film Aguirre, notamment], peux-tu nous expliquer qui a imposé l’ambiance ? Toi ou le réalisateur ?

Un peu des deux, en musique de film on propose toujours ce que l’on voudrait entendre sur les images du réalisateur, puis le réalisateur vous aiguille ou vous canalise, cela dépend de la flexibilité ou de la liberté que l’on peut avoir sur le projet. Ce qui est sûr c’est que l’on est au service d’un film, d’un docu, d’un projet qui n’est pas le nôtre, donc on doit savoir se mettre à disposition du réalisateur et le réalisateur de la production, en l’occurrence Netflix. Pour les univers, nous voulions Jalil et moi-même quelque chose de solitaire, de claustrophobique, de républicain. Beaucoup de musique drones, de composition orchestrale pour le côté républicain, et groove robotique pour énerver tout cela par moment.

« Il fallait créer un gros boom d’ouverture… comme le début d’une tragédie grecque ».

Le thème de la B.O. avec ce petit riff de piano, comment t’es-t-il venu ?

Au tout début du projet, Jalil m’a envoyé pas mal de références comme House Of Cards, Succession.
Dans ces séries il y a souvent quelque chose de grandiloquent et moderne dans la production. J’ai cherché un mélange de tout ça, le classique, le R’n’B, la production super sound design pour créer un gros boom d’ouverture… comme le début d’une tragédie grecque. Quand ça commence, on doit être collé à son siège en quelque sorte.

29 morceaux écrits pour une série en 4 épisodes, c’est du XXL pour une musique de film. C’était une demande de Netflix ?

En fait 29 morceaux, c’était pour ma BO car en fait j’ai dû faire pas loin de 200 morceaux en tout pour la série, tout n’a pas été pris, mais la cadence de production était assez intense, dû au changement de montage, des retours de Netflix, le goût et les couleurs c’est pas toujours facile, mais il faut répondre présent à la demande. Ce qui est aussi intéressant comme challenge.

En tant que compositeur, avais-tu un avis sur l’affaire DSK avant de commencer à composer ? A-t-il changé après avoir vu la série ?

Non en fait j’avais pas vraiment d’avis ; sauf le fait que je pense que cet homme aurait été un bon Président pour la France. Et c’est vrai que quand c’est arrivé je m’étais dit : « merde on va devoir se taper cinq ans de plus de Sarkozy… »

Pour écouter toute la B.O., c’est juste en dessous.

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