En 2070, lorsque des médiathèques et des avenues porteront le nom de Laurent Garnier, la France reconnaissante se souviendra de l’œuvre de celui qui fut le plus grand DJ français et de son apport à la culture de la fin du XXème siècle. Sans lui, serions-nous aussi cools et aurions-nous de telles sexualités débridées ? Pas sûr…

LGOn ne dira jamais assez l’importance que Garnier a eu pour la génération de ceux qui sont nés entre les parutions des chefs-d’œuvre « Autobahn » (Kraftwerk) et « E2-E4 » (Manuel Göttsching, ex Ash-Ra Tempel), enregistrés respectivement en 1974 et 1981. Ajoutons à ces deux sommets « From Here to Eternity » de Giorgio Moroder et l’on obtient la Sainte Trinité de l’EDM – ou electronic dance music, ce truc fascinant qui réunit des gens et les poussent à danser dans l’obscurité sur des rythmes répétitifs et synthétiques.

Il y a vingt ans, la presse musicale généraliste ne savait pas par quel bout prendre l’EDM, ou l’occultait délibérément. Le magazine musical le plus pointu de l’époque, les Inrockuptibles ne jurait globalement que par l’indie rock tandis que Rock&Folk ne comprenait rien au sujet, en dehors d’Alexis Bernier parti fonder Tsugi depuis. Seul Libération a su parler de ces mondes imaginaires grâce à la plume de Didier Lestrade dont on conseillera la lecture de ses Chroniques du dance-floor pour approfondir le sujet. Et donc, oui : il fut un temps fort lointain où les Inrocks était un bon journal et où Libé savait parler de musiques actuelles.

Jugée superficielle et frivole : la musique de danse étant forcément légère, en opposition à la musique « sérieuse » que l’on écoute sagement assis dans son canapé. Elle était perçue comme le prétexte de s’oublier en consommant de l’ecstasy ou des produits encore plus puissants type LSD et kétamine. Le fait d’écouter de la techno était le plus sûr moyen de passer pour un dingo gastronome des toxiques.

Le rôle de passeur endossé par Laurent Garnier a permis de faire connaître la house de Chicago, la techno de Detroit, la trance, la French touch par le biais de ses émissions radio et ses mix. Ces musiques ont apporté un souffle nouveau : une esthétique austère, mais ouverte à tous. Elles n’excluaient personne : le sexe, le statut social et l’origine ethnique importaient peu. « J’écoute de la musique répétitive, je fais ce que je veux de mon corps et je baise qui je veux », en gros. En dehors de la disco hédoniste et superficielle, aucun autre mouvement que les cultures rave et électronique n’a été un aussi puissant moteur d’inclusion / exclusion. Il fallait être dedans pour le comprendre et ceux qui n’y étaient pas trouvaient ce phénomène culturel totalement hermétique. Considérons la situation d’un fan de ragga et de country qui, comble de malchance, serait à la fois gay, noir, juif et rebeu (pour ne citer que quelques minorités visibles parmi d’autres) : et bien il y a fort à parier qu’il rencontrerait des difficultés pour être partie prenante au sein de ces deux mouvements, contrairement aux musiques électroniques.

laurent-garnier-electrocho-integraleLe prétexte qui a été trouvé pour rencontrer Laurent Garnier est la parution d’une nouvelle version de son bouquin autobiographique Electrochoc, enrichie de la période de ces dix dernières années. Il y raconte l’éclosion et l’explosion du mouvement, bien sûr, mais pas seulement : ses débuts en Angleterre à l’Hacienda, ses résidences un peu partout, ses galères, ses succès, ses albums, ses fiertés. La trame du récit repose sur la passion que Garnier voue à la musique. Et s’il est toujours là vingt-cinq ans après ses débuts avec une base de fans aussi importante, c’est parce qu’il ne triche pas, qu’il expérimente, prend des risques, doute, réussit et se plante aussi parfois. Sa carrière n’est pas facile à résumer en quelques lignes tant elle est foisonnante – son site officiel ne recense même pas toute sa discographie –mais il y a le bouquin pour ça.
Il s’en sort objectivement bien, d’autant plus que les grands sorciers des platines ont plutôt mal tourné. Richie Hawtin, par exemple, rêvait de réinventer la dance music en en supprimant le kick : vaste projet et belle ambition. Quinze ans plus tard, il donne des sets lourdingues auxquels assistent ses fans dévots, incapables du moindre esprit critique. Il se disperse dans des projets futiles tels le lancement d’une marque de fringues et produit des titres médiocres. Autrefois novateur et probablement plus grand DJ de l’histoire, Jeff Mills enchaîne les sets laborieux et putassiers. Ce grand styliste donne l’impression de tourner en rond et, pire, de s’emmerder à cents sous de l’heure lorsqu’il joue. Quant à Carl Cox, il ne mixe plus que dans des salles gigantesques peuplées de milliers de clubbers et débite de la musique calibrée pour ces lieux au kilomètre. Prise de risque minimale. Tout comme Hawtin, Carl Cox s’est starifié contrevenant à l’un des principes de l’EDM selon lequel c’est le public qui est la star.

Rendez-vous est donné avec Laurent Garnier aux Folie’s Pigalle, après quelques traits de coke et de MDMA un dimanche en after. Bon, pas tout à fait en réalité : ça se passe un lundi matin, on est raisonnable parce que le week-end a été fatigant. On boit du café en face du Jardin du Luxembourg. So chic!

Tu as diversifié ton activité en devenant actionnaire d’une boite lyonnaise qui s’appelle « Le Sucre ». Tu y as mixé quand le lieu s’appelait encore « la Sucrière » pour un moment d’anthologie en 2005, set qui s’est achevé à 8h du mat avec des morceaux de britpop et de rock US. Je voulais te parler de ce set : tous les gens présents s’en souviendront toute leur vie.

ns_photo4Oui, c’était dans le cadre des « Nuits Sonores ». Un moment de vie incroyable. J’ai une photo de ce mix dans mon studio, où l’on me voit de dos face à la foule et le jour qui se lève dans cette usine désaffectée. J’ai développé une relation très forte avec l’équipe dirigeante des Nuits Sonores, dont Vincent Carry, qui en est le fondateur. Je suis retourné depuis chaque année à ce festival. Nous partageons le même combat, ce sont des militants. Ils m’ont suivi sur les projets que je leur ai proposés, et on a toujours trouvé les lieux adéquats pour les faire. Ça permet d’éviter de se répéter : j’ai fait un live, un ciné-mix, une après-midi pour les enfants, un ping-pong avec Carl Cox et un autre avec Agoria qui reste un super souvenir, en clôture du festival en 2012. Quand je me suis posé la question de savoir si c’était une bonne idée que de publier mon single Jacques In The Box chez Ed Banger, c’est Vincent Carry que j’ai consulté pour avoir son analyse. De fil en aiguille, on s’est associé pour « le Sucre » et maintenant, c’est Arty Farty, leur association, qui me manage. Cette rencontre est d’autant plus belle que la soirée fondatrice de 2005 était géniale.
(…) Je fonctionne sur la durée avec les gens qui m’entourent : j’ai toujours le même agent depuis vingt ans et suis toujours en contact avec Eric Morand avec qui j’avais monté le label F-Com. Il est devenu psychothérapeute à Bordeaux. Il s’occupe toujours de moi et me conseille toujours pour mes contrats et me protège beaucoup. Il a un vrai recul comme il est sorti du business. Je travaille avec ces mêmes gens depuis longtemps, et ils sont impliqués sur mes projets actuels et futurs.

Techniquement, tu ne peux plus progresser j’imagine ?

Non, la question ne se pose pas en ces termes, mais il m’arrive de louper des mix. Tout du moins dans ma tête, car ma perception peut être biaisée. J’ai parfois l’impression d’avoir merdé et les réactions quand je sors de scène sont enthousiastes et viennent contrebalancer ce sentiment. Mes échecs lors d’un set peuvent ne pas être de mon fait uniquement, mais aussi de l’environnement. Et il m’arrive de rater des soirées parce que je n’ai pas compris les gens. La difficulté, c’est de devoir s’adapter à chaque coup pour attraper le public. Parce que ça change d’une ville à l’autre, et d’un club à l’autre. Mes sets sont complètement différents à chaque fois, même au cours d’un même week-end. La clientèle est unique et les lieux ont des codes qu’il faut comprendre. Je ne peux pas arriver comme un chien dans un jeu de quilles et faire mon truc sans prendre en considération ce contexte. Il faut s’adapter : c’est mon boulot. L’idéal est d’arriver plus tôt pour observer et prendre la température de la salle. Si tout se passe bien, je parviens à satelliser le public après un temps de chauffe.

« Un album techno avec douze morceaux techno, c’est chiant. C’est comme si on me demandait de bouffer du poulet pendant une semaine ».

Tu parlais tout à l’heure du titre Jack In The Box, c’est une bonne synthèse de ton travail, il va bien vieillir et ne sonne pas comme une production 2013, il embrase plus de choses que cela.

C’est le morceau qui me manquait, il n’est pas anodin. Ce que je produis est souvent plus sombre et je n’avais jamais composé quelque chose d’aussi lumineux. Pas même The Man with the Red Face. C’est le morceau du bonheur, il s’appelait comme ça à l’origine. Il est devenu Jacques In The Box lorsque j’ai signé chez Pedro Winter. Cela paraissait tellement incongru que ce titre paraisse sur le label Ed Banger que je suis devenu ce Jacques qui sort de la boite. Jack pouvait faire référence à la house de Chicago, au jacking, et puis on l’a francisé. Jacques In The Box, c’est moi, donc. Il marche bien quand je le passe pendant mes sets, c’est pour cela que je l’avais écrit. Je produis beaucoup en ce moment, j’envisage de sortir un certain nombre de maxis dans les mois qui viennent sur des petits labels, et uniquement en vinyle pour le moment, le premier est prévu pour janvier sur Still, label de Chicago qui fait beaucoup de rééditions de musique disco ou de disques de la scène de Chicago qui sont initialement parus juste avant l’explosion de la house, soit entre 1985 et 1987. C’est super intéressant de découvrir ces disques, parce que tu sens que la house commence à pointer le bout de son nez : c’est une période charnière. Comme ce maxi est très « Chicago » dans l’esprit, le choix du label s’est fait assez naturellement en discutant avec le patron. On a signé le contrat sur un coin de bar dans la foulée, comme d’habitude. J’ai joué le morceau le soir même et voilà !

(…) Il y a eu beaucoup de coins de bar dans ma carrière. Le morceau Everyday Life qu’on a sorti avec Scan X en Angleterre il y a six mois a été signé dans un taxi avec Youssef, qui dirige le label Circus. Initialement, c’est un titre qu’on a composé pour le dernier spectacle de Marie-Claude Pietragalla, je l’ai rallongé pour en faire une version club. Ça s’est passé pareil avec Pedro Winter. En février, je sortirai un autre maxi très downtempo sur un label qui ne fait que cela, mais qui sera une très petite structure. Je n’ai pas l’idée de préparer un album actuellement. Le maxi suivant sera techno. Le quatrième et le cinquième seront encore dans des veines différentes. J’ai envie de faire ce que j’ai toujours fait, mais moins maladroitement qu’auparavant. Comme j’ai des goûts éclectiques, j’ai toujours voulu mélanger beaucoup de musiques différentes dans mes albums. Une fois ces derniers parus, je me rends compte qu’on ne peut pas tout mettre avec n’importe quoi, que l’exercice est ardu. J’écoute avec nostalgie certains de mes anciens morceaux et je me dis « Mais putain, ils sont vraiment bien ! Pourquoi n’ont-ils pas touché la cible qu’ils auraient dû toucher !» Un exemple : le morceau Freeverse, le morceau hip-hop qui est sur l’album « Kleptomaniac », est, de mon point de vue, absolument mortel avec ses basses un peu fat ! Et bien personne n’a écouté ce morceau. Tout du moins pas les gens qui l’auraient aimé. Personne dans le hip hop anglais ou le grime ne le connait. Tout ça parce qu’il a été noyé dans un truc paru sous mon nom avec des tas d’autres choses qui n’avaient rien à voir. Donc ma décision a été de cibler mes productions, de faire la même chose qu’avant mais de commercialiser ma musique différemment.

Ce qui est intéressant, c’est qu’on trouve facilement une unité dans un mix que n’aura pas un album techno. Parce qu’il y a des silences entre les morceaux et des changements brutaux d’atmosphère. L’album n’est pas le format le plus adapté pour cette musique.

Un album techno avec douze morceaux techno est chiant par définition. C’est comme si on me demandait de bouffer du poulet pendant une semaine. Il y a un moment où j’aurais envie de manger des crevettes. Les albums techno sont des doubles maxi dancefloor, ça n’a strictement aucun intérêt. J’ai conçu des albums suffisamment variés qui pouvaient s’écouter du début jusqu’à la fin et « Kleptomaniac » peut s’écouter de façon logique. Il plaît ou ne plaît pas, ça c’est autre chose, mais il a une trame. Nous sommes à une époque où la musique est tellement dématérialisée que tu peux télécharger les morceaux sept et quinze d’un disque sans prêter attention au reste. Sans compter qu’un site comme Beatport.com exige un track supplémentaire par album afin d’appâter le chaland. C’est aberrant, je ne le ferai jamais. Déjà qu’ils vendent la musique à 0,99 euros en faisant n’importe quoi, et en plus, ils voudraient des inédits exclusifs ? Le mec qui achète un vinyle à 15 euros y a droit, à cet inédit, il le mérite. Que les choses changent, très bien. Mais je ne pense pas que toutes ces choses aillent vers le mieux. Dès lors que l’on peut se dire « Je n’achèterai pas la totalité de cet album car je pense ne pas aimer tous les morceaux qui sont dessus » et bien on ne s’investit plus dans la musique. Acheter un disque à 15 ou 20 euros est un investissement. Tout ne peut pas te plaire, c’est normal, mais tu vas essayer de l’apprivoiser, de te donner le temps de t’en faire une idée. Cette démarche a disparu, mais je sens qu’elle est en train de revenir : les gens font peut-être plus attention au contenu au lieu du packaging. Cet engagement est plus sain.

« Je suis totalement noyé sous les nouveautés. »

Dans ton livre, tu évoques tout le temps passé à écouter des dizaines de nouveaux morceaux tous les jours. Tu n’en as pas marre ? Tu sais ce que tu aimes au bout de toutes ces années…

Oui, j’en ai marre ! Mais le problème aujourd’hui, c’est qu’il n’y a plus de filtre. A moins d’aller sur un blog pointu. A l’époque, mon disquaire me faisait des présélections parce qu’il connaissait mes goûts et ne me donnait pas la même pile que Jérôme Pacman. Il connaissait ses clients et s’approvisionnait en conséquence, tout en ayant écouté les disques avant. Tu vas sur n’importe quel blog ou site : des millions de trucs sortent chaque semaine. Ils ne sont même pas triés parce que les mecs qui hébergent n’ont plus le temps de faire ce travail.
En revanche, on va te conseiller : « Celui qui a acheté tel truc a acheté aussi ce machin. » Et ben super, je suis vachement content de l’apprendre… Ce n’est pas ça qui m’intéresse : si on est sur une sonorité bien précise, je veux découvrir des choses qui s’y rattachent. Même s’il est très difficile de décrire la musique ou de deviner ce que quelqu’un pourra aimer. Ce n’est pas parce que j’adore un truc qu’un pote qui a les mêmes goûts que moi va l’aimer aussi, c’est bien plus complexe que cela. Je suis totalement noyé sous les nouveautés. Je reçois beaucoup de musique et j’en achète aussi beaucoup : pas mal de vinyles encore, parce que souvent les titres qui m’intéressent ne sortent que dans ce format, puis je les numérise. Je mets tout sur des clés USB : je pourrais très bien prendre quelques vinyles, les foutre dans un petit sac pour faire genre, et venir les mixer mais je n’ai pas envie de faire chier tout le monde à installer des platines. J’ai tout le matériel pour numériser et je fais ça très bien. J’ai la liberté de faire des boucles en plus.

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C’est exactement pareil, pour toi, de mixer avec du numérique ou des vinyles ?

Bien sûr. Mixer avec des clés revient à mixer avec des CD : il y a un super son. Entre un vinyle et une clé USB, on n’est pas dans le même monde. Déjà parce que les mecs ne masterisent pas de la même façon. Il y a un mastering pour le vinyle, et un autre pour le digital. Le son digital est bien plus ouvert car le vinyle ne permet pas cette ouverture, pour des raisons techniques, et il casse les aigus en plus. Le spectre de la stéréo est donc plus restreint. Je m’y retrouve donc, quand je mixe sur des clés USB, mais je peux comprendre que des mecs ne mixent que sur vinyle, parce qu’ils aiment la spécificité de ce son. Et si tu passes un vinyle en format digital, c’est bien le son du vinyle qui sera conservé. Les clés permettent de plus d’être en direct dans la machine : il n’y a plus d’intermédiaire, et le son est énorme, bien plus ample. Mais les mecs qui passent des vinyles sont passés par le WAV puisque il faut bien, pour graver un vinyle, avoir un fichier digital à l’origine ! Donc les puristes qui sont à fond sur le vinyle et refusent le digital me font bien marrer, c’est de la branlette ! Que des jeunes qui n’ont pas connu le vinyle se mettent à acheter tout le matériel pour découvrir l’objet, ça c’est une démarche que je trouve géniale. Je n’ai pas besoin de me pointer avec des disques : ce qui importe, c’est ce que je vais jouer. Si les mecs viennent me regarder pour voir ce que je vais faire avec mes disques et qu’il n’y en a pas, ce n’est pas grave : ils comprendront au bout de vingt minutes qu’il n’y a rien à voir et ils iront danser.
Et puis je me suis bousillé le dos à porter mes disques, mais ça y’est : c’est fini. Je ne voyage plus qu’avec une petite valise à roulettes que je peux prendre avec moi dans l’avion. Ma vie a changé. C’est une heure de moins à attendre les bagages sur un aller/retour et surtout, la peur d’avoir perdu mes disques ou de me les être fait chourer a disparu.

Tiens, est-ce que le passage au numérique a entrainé la disparition des trainspotters ?

Il y en a de moins en moins puisque avant tout, ils nous regardaient mixer pour trouver les références.

Il y a un truc très drôle dans le livre dans lequel tu évoques ces DJ qui arrachaient les étiquettes des disques ou les biffaient pour ne pas que les trainspotters puissent les identifier.

Je les laissais parce que les maisons de disque me les donnaient. Donc j’étais à mille lieux de me dire : « Ouh, c’est mon petit secret, vous ne saurez jamais ce que je passe ! » A travers ces sets, tu fais aussi la promotion de labels qui t’aident dans ton boulot. Question d’état d’esprit.

Tu ne parles pas dans ton bouquin de tes albums « Laboratoire Mix », « Mixmag Vol. 19″ ou et  » X-Mix-2 –Destination Planet Dream ».

Ce sont des DJ mix !

Oui, mais ils ont une importance capitale. Avant d’en reparler, je voudrais juste savoir si c’est toi qui a trouvé le titre « Destination Planet Dream » ou si on te l’a imposé, parce que ça fait vraiment « On gobe des taz et on voit la banquise… », c’est bizarre.

On me l’a imposé ! C’est l’époque où les mecs faisaient des images fractales. C’est venu d’Allemagne, je crois.

Donc ces mix sont réussis et importants. Il y a tout dedans : de la house, de la techno, de la trance, des trucs très hard, et puis des choses plus douces. Il y a même de l’ambient puisque le « Laboratoire Mix » s’achève avec ce merveilleux remix d’Aphex Twin par Philip Glass : ICCT Hedral. Quand on a entendu cela, on peut mourir tranquille. Et surtout, tu racontes une histoire : il y a un début, un milieu, et une fin. Cette trame narrative guide l’écoute et donne tout son sens à ces mix. Je crois bien que tu es le seul à procéder de la sorte.

C’est drôle, un mec m’a dit ça hier soir : « Tu as commencé avec une vraie introduction et conclut avec une vraie fin. Tu racontes une histoire entre les deux et tu construis un truc ». Aujourd’hui, je souffre de ne plus avoir de morceaux pour faire de belles introductions soignées ou pour finir mes sets. Je fais des commandes pour de beaux morceaux avec de jolies nappes à cette fin. Du coup, je suis obligé d’aller chercher de vieux titres.

Si les extra-terrestres débarquaient sur Terre et voulaient connaitre les musiques répétitives, le « Laboratoire Mix » en serait une bonne porte d’entrée.

Ça n’engage que toi ! Je n’ai rien dit !

Jeff Mills fait un truc totalement différent : quand il mixe, il n’y a pas de fin. C’est une boucle rythmique qui part vers l’infini, un rouleau compresseur ou un ruban de Möbius. C’est un parti pris qui est aussi intéressant.

Jeff fait des choses plus conceptuelles, nous n’abordons pas la musique de la même manière. Il fonctionne un peu comme Bugge Wesseltoft : si les gens n’ont pas compris leur démarche, c’est parce qu’ils n’étaient pas prêts. Je ne vois pas la musique de cette manière. J’essaie de comprendre les gens, de m’adapter pour leur donner quelque chose. Et Jeff ne s’adapte pas.

C’est un très grand DJ qui m’a beaucoup déçu quand je l’ai vu récemment : il n’était pas dedans et ne donne rien à son public.

Les mecs de Detroit ont la réputation de faire les choses à l’arrache. C’est valable pour Underground Resistance et Carl Craig notamment: les mecs n’ont pas assez bossé la moitié du temps. Ils sont accompagnés de bons musiciens mais débarquent sur scène la fleur au fusil. Ça ne peut pas marcher sans un minimum de travail préalable. Si je bosse sur un projet avec Marie-Claude Pietragalla ou Angelin Preljocaj, c’est un an et demi de boulot, c’est un investissement.

Un investissement, et beaucoup de doutes aussi, à te lire.

Oui, le doute est normal : quand tu as mon âge et que tu fais danser des mecs qui pourraient être tes gosses, il est plutôt sain de se poser des questions. Les réponses, je pense les avoir : je suis resté moi-même, sincère. Bon, quand on vient me voir et qu’on me vouvoie, il y a un problème ! « Bouh, je suis passé de l’autre côté…» C’est d’autant plus valorisant quand ce public-là me fait part de son enthousiasme. Hier, un gamin m’a dit la chose suivante : « Je n’attendais rien de ton set parce que je pensais que tu étais un vieux con. Et finalement je me suis pris une baffe énorme parce que tu es impliqué dans ta musique que tu joues et tu la sens ». Ça m’a touché parce que c’est comme ça que je vois François Kevorkian. Ce dernier m’a dit la même chose : « Je n’essaie pas de plaire aux jeunes : je suis là. » J’ai mixé récemment à I love Techno et Martin Garrix mixait aussi : il est venu avec ses parents parce qu’il n’avait pas l’âge… Dix-sept ans, tu imagines ? Il fait de l’euro-dance.
J’ai aussi choisi de me diversifier, de prendre un peu de recul et de m’exprimer différemment, sans faire de projets incohérents non plus. Il y a eu un cheminement jusqu’à l’album « The Cloud Making Machine » qui a été difficile pour moi parce que mal pris par la presse. Alors que je l’aime beaucoup et qu’il n’a pas trop mal vieilli. Je peux dire qu’il m’a permis de toucher à mon but, grâce à mes collaborations avec Pietragalla et Angelin. J’ai composé la musique d’un film sur le sport qui s’appelle Play, l’année dernière, réalisé par Manuel Herrero, le fils de Daniel. Ça traite de sports totalement dingues qui sont pratiqués dans le Monde. Sur l’île de Pâques, des mecs descendent les volcans sur des rondins de bananier à 120 à l’heure. Au Mexique, des joueurs de volley-ball n’utilisent que leurs hanches pour toucher le ballon. Il y a des sports incroyables… Le film est magnifique. Si j’ai pu en composer la musique, c’est bien grâce à « The Cloud Making Machine ». Parce que cet album m’a amené ces gens-là.

« Je viens de recevoir mes royalties pour Jacques in the Box : 7,5 euros! »

Parlons de ton modèle économique : le fait d’aller mixer deux week-ends par mois te permet de financer tes autres projets ?

Mais oui, ça me fait bouffer. Je viens de recevoir mes royalties pour Jacques in the Box : 7,5 euros ! Il faut oublier l’idée de gagner de l’argent avec la musique. Le titre a bien marché, on en a vendu mille ! Déjà à l’époque, sur un vinyle vendu autour de 12 ou 14 euros, l’artiste percevait moins d’un euro. Alors imagine-toi ce que l’on peut bien toucher sur un titre vendu 99 centimes… Je dois avouer que ça nous a fait marrer de recevoir ces quelques euros pour un titre. Avant les labels fabriquaient puis vendaient les disques autour de 3,5 euros au distributeur qui les revendaient 7 ou 8 euros. Le simple fait de récupérer des disques et de les déposer à un autre endroit générait des marges dingues pour le seul distributeur : le rapport était clairement en sa faveur. Mais comme on en vendait des palanquées, on faisait de l’argent. Si j’ai une enveloppe de 12 000 euros pour travailler sur un spectacle, c’est le nirvana. Et avec ça, je dois payer mes musiciens. Et on enlève 50% de charges. Je fais donc ces projets pour moi, par pour l’argent.

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Tu n’es pas contre le fait d’aller mixer chez des particuliers.

Effectivement, j’adore ça même, mais il faut qu’il y ait un concept bien ficelé derrière. On avait organisé un concours qui s’appelait « Garnier mixe chez toi ». La gagnante a beaucoup bossé pour remporter le gros lot : elle est restée pendant deux heures devant ma cabine aux Transardentes à Liège avec un panneau « Votez pour moi ! ». Je me suis dit qu’elle en voulait grave… Les règles étaient claires : pas d’argent, pas d’exploitation commerciale, et on ramenait tout le matos. J’aime bien organiser des fêtes avec mes potes qui durent jusqu’à pas d’heure et c’est d’ailleurs ce qui m’a conduit à monter le Festival Yeah! à Lourmarin, près de chez moi. Parce qu’on aime bien boire du bon pinard en mangeant du fromage. On veut faire un truc familial qui ne se finit pas trop tard. Du coup, ce n’est pas un événement techno parce que les gens qui écoutent de la techno ne peuvent pas se coucher à minuit. On a fait venir des gens comme Jules-Edouard Moustic, un groupe du coin merveilleux en live qui s’appelle Narrow Terence, Luz… Dominic Miller est un voisin, il a collaboré avec des gens comme Mark Hollis, Sting ou les Pretenders. Et j’espère qu’il participera au prochain festival qui se tiendra entre les 6 et 8 juin 2014. On ne veut pas grandir et garder cet aspect chaleureux et amical qui nous plait bien. (…) J’ai quitté Paris parce que je n’ai plus besoin de vivre à Paris. Je peux travailler de n’importe où et communiquer de la même manière avec mes interlocuteurs en étant dans le sud de la France. Je n’ai pas l’impression d’être déconnecté parce que je vis à la campagne. Je continue à mixer dans le monde entier.

L’idée de te taper douze heures d’avion pour aller mixer deux heures ne te dérange pas ?

Déjà, je refuse les mix de deux heures. Je travaille en permanence quand je me déplace à vrai dire. Ce que permet la technologique actuelle. Du coup, c’est pas très marrant de voyager avec moi parce j’ai mon casque vissé sur les oreilles tout le temps. J’ai toujours du travail. J’écoute de nouveaux morceaux sans arrêt. Avant tout ces nouvelles technologies, c’était du temps perdu. J’avais besoin d’une période de solitude après avoir arrêté LBS (NdA: trio composé de Laurent Garnier, Benjamin Rippert et Scan X). Etre seul dans ma chambre d’hôtel avant et après un gig. La solitude peut faire naître des moments privilégiés.
Ce qui est nouveau, c’est que je dors avant les gigs. J’approche la cinquantaine et donc je fais gaffe. Si on me demande de jouer à 4 heures du matin, ça m’emmerde d’attendre jusque-là. Je me lève le matin, j’ai une vie normale en dehors de cette activité. Je bosse toute la semaine de 9 heures à 19 heures dans mon studio. Tous les jours. Ça veut dire qu’il peut m’arriver de me lever le vendredi matin, de faire ma journée de boulot, puis de partir pour mixer le vendredi soir et de m’arrêter de bosser le samedi matin vers 8 heures… Je ne peux plus tenir si je ne dors pas deux heures avant de jouer. J’ai une vie saine, je ne me drogue pas, je n’ai rien pris depuis vingt ans. Je bois peu et je ne fume que rarement, quand je suis bourré. Quand je commence à fumer, c’est mauvais signe, la machine est en route !

Il paraît que Robert Hood se déplace systématiquement avec sa femme quand il va faire des sets ? Entre le checking, l’embarquement, le vol, c’est une vie à attendre.

Elle en a pas marre d’attendre ? C’est peut-être une manière de préserver son couple ou alors elle n’a pas confiance en lui… C’est le dernier truc que ferait ma femme, ça l’emmerderait trop : elle a une vie ! Là on parle de mon boulot.

Bon alors, tu parles de tes problèmes d’audition dans le livre, tu n’es pas tout seul puisqu’il paraît que Luke Slater ne parvient plus à enchaîner les disques.

J’ai beaucoup perdu sur les haut mediums, ce sont les sons avant les aigus, ceux qui déchirent les oreilles comme une voiture qui freine brusquement. Ce sont les premières fréquences que l’on perd mais ça ne m’empêche pas de vivre. Je ne me protège pas du tout. A une époque, je me suis fait mouler des bouchons d’oreilles et tu choisis le nombre de décibels que tu souhaites filtrer. Tu peux enlever jusqu’à trente décibels. La sensation est curieuse : il faut compter environ une heure d’adaptation et on a la sensation d’être hors du temps. Les gens parlent bizarrement. Et l’impression d’être déconnecté du monde qui t’entoure. C’est très dur de mixer comme ça, il faut que j’entende ce qu’entendent les gens qui sont sur la piste. Même un ventilateur me gêne. Je n’aime pas être éclairé, je veux être dans les mêmes conditions que le public.

Tu ne te reposes jamais ?

Peu, en effet. Un jour, j’arrêterai. J’aimerais bien. Je pense que le jour où je pourrai m’arrêter, je le ferai. J’ai beaucoup voyagé, j’ai fait plein de choses, j’ai envie de jouir de ma vie normale. Si j’arrête, il faut que je sois sûr de pouvoir vivre jusqu’au bout. Aujourd’hui, je ne crois pas que ça soit possible. J’ai un projet de film dans deux ans, qui est l’adaptation d’Electrochoc, Il n’y aura pas de Jeff Mills, ni de Carl Cox ou de Laurent Garnier dans ce film. Mais ça parlera de passion, parce qu’Electrochoc est un livre sur quelqu’un de passionné : moi. On a un très beau scénario sur lequel Raphaëlle Desplechin a travaillé. Cela fait sept ans que le projet a démarré et il a connu pas mal de modifications depuis toutes ces années. Le scénario se précise enfin. Mais là où j’émets des réserves, c’est que le cinéma est compliqué et il est difficile d’être sûr qu’un projet va bien se faire ou non. Aujourd’hui, je suis persuadé que ça va se faire. Je ne jouerai pas dedans même si je suis impliqué dans ce projet à l’issue duquel j’aurai cinquante ans. Que ferai-je à ce moment-là ? Je pense que je continuerai à mixer parce que l’idée me grattera un peu, histoire de respirer la poussière et la moiteur de la nuit. Je vais tâcher de garder cette cohérence. Continuer les collaborations et produire des artistes.

Quel est ton premier souvenir musical ?

C’est dur. Suzi Quatro ou Barry White, tiens, ça pourrait être ça. Et dans le film Ne nous fâchons pas, il y a un gimmick de guitare à la Van Morrison qui est aussi un souvenir de môme très fort. Le premier 45 tours que j’ai acheté, c’est Au Bonheur des Dames, Oh les filles, oh les filles.
Un morceau qui m’effrayait quand j’étais petit, c’est Infinity ∞ sur l’album « 666 » des Aphrodite’s Child. C’est super perturbant, on y entend Irène Papas baiser avec le démon. Elle recite : «I was, I am, I am to come, I was… » Elle commence doucement et là on sent que le démon arrive avec la grosse caisse. C’est super flippant : elle se fait vraiment déboiter ! Ça faisait marrer mon père mais je ne suis pas sûr qu’il ait compris la signification du disque… Cette chanson est horrible, elle sera dans le film, c’est sûr !

 

46 commentaires

  1. ouais excellente interview! ce mec est un pur passionné, sa collec de disques fait baver! et puis cet album « cloud making machine » est juste génial, c’est la réponse electro à Pink FLoyd

  2. #bim1
    « Donc les puristes qui sont à fond sur le vinyle et refusent le digital me font bien marrer, c’est de la branlette ! »
    #bim2
    Parce qu’il y a des silences entre les morceaux et des changements brutaux d’atmosphère. L’album n’est pas le format le plus adapté pour cette musique.
    #bim3
    La clientèle est unique et les lieux ont des codes qu’il faut comprendre. Je ne peux pas arriver comme un chien dans un jeu de quilles et faire mon truc sans prendre en considération ce contexte. Il faut s’adapter : c’est mon boulot.
    #bim4
    Mais ça parlera de passion, parce qu’Electrochoc est un livre sur quelqu’un de passionné : moi.

  3. Sans conteste, il est né avec, nomadiste, son travail est unique et universel, le Petrucciani de la teck, on lui souhaite longue vie, merci de m’avoir ouvert les oreilles en 1992 au Rex Club, un souvenir mémorable de découverte musicale, depuis les platines font parties de ma vie et vous aussi.

  4. « Hawtin et Cox, starifiés contrevenant à l’un des principes de l’EDM selon lequel c’est le public qui est la star. » Mais pas notre tonton ! 🙂 super article

  5. en plus, mills je l’ai vu dix fois en 20 ans et il a toujours eu cet air de s’emmerder, je pense que c’est just sa personalitee. cox a toujours ete une star, il a bien raison de profiter de ces festivals qui le paie une fortune, ce ne sont pas les.puristes qui vont payer sa retraite… hawtins vient de se.produire au guggenheim a new york et c’etait top. Il ferait mieux d’allumer guetta…

  6. « Si les mecs viennent me regarder pour voir ce que je vais faire avec mes disques et qu’il n’y en a pas, ce n’est pas grave : ils comprendront au bout de vingt minutes qu’il n’y a rien à voir et ils iront danser. »

    La seule chose ou je ne suis pas vraiment d’accord. J’ai passé des heures à zieuter par la vitre du Rex, à voir comment faisaient les DJs, les petites techniques, les gestes, le détail qui fait la différence. Et l’énergie communiquée par ce biais.

    Je joue uniquement vinyle pour ce plaisir là, pas pour la qualité du son ou autre, et je ne joue pas suffisamment pour voir ça comme un problème sur le poids, autre problème que je comprend parfaitement.

    Je trouve juste un peu dommage que bien des djs « numériques » soient rivés à l’écran du portable plutôt qu’à regarder les gens qui dansent et à communiquer avec eux. Ce n’est pas le cas de tous mais de beaucoup. Mais c’est bien plus un problème d’attitude que de technologie j’en conviens.

  7. Come a long way from the French Brasserie on the Downs in Altrincham. Vivre Laurent Garnier ..Love ya !! What do you say Chris Hulme.

  8. BONJOUR A VOTRE ATTENTION MES AMIS
    Je partage ma joie avec vous tous. J’ai eu un prêt de 35.000€ chez un prêteur et j’en parle à plusieurs collègues qui ont également reçu des prêts chez lui sans avoir de soucis. J’ai reçu le prêt par virement bancaire en une durée de 72 heurs..c’est du sérieux, c’est un homme qui a du coeur et très généreux , c’est pourquoi je partage ma joie car si vous avez aussi de problèmes financiers contactez le.Son taux d’intérêt est seulement de 2.5%
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    PS : Passez la nouvelle à vos amis, voisins, collègues et parents.

  9. Salut à tous!

    Une petite remarque qui me semble pertinente, sans parler de la technique réelle que nécessite le mix vinyles! Ok le fichier avant pressage vinyle est un fichier compressé. S’il n’y avait effectivement aucune différence de sons entre un fichier digital et une plaque analogique, pourquoi je cale cash la différence à l’oreille, alors que je ne connais pas forcément le support médias utilisé lorsque le morceau est joué….? il y a conversion lors du pressage, donc des différences notables….
    En comparant le rendu d’une même track mais sur médias différents, la patate, la chaleur, le rendu est bien inférieur au rendu du vinyle…. C’est un fait.
    Carpe diem!

  10. « Infinity ∞ sur l’album « 666″ des Aphrodite’s Child » – Ouaw ce morceau est puissant!
    Sacré expérience mais belle découverte, merci Laurent.

  11. le poulet le poulet le poulet si LGarnier lit encore gonzaï un de c jrs, La grande Morte on aciiid te re-saoule 1 de C jours.... dit :

    & le sonar after party 40 gusses sur l’autoroute direction en trombe au mOOg! canettes a gogos , LGarnier bien plombé , le soir les chicks onsperme……

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