Avoir un leader fan de Lady Gaga ? Check. Venir de Brooklyn et sortir un disque qui aurait pu exciter Captured Tracks en 2011 ? Check. Devenir le meilleur groupe de 2025 ? Ça reste à voir. Mais vous l’avez compris : Model/Actriz coche quasiment toutes les bonnes cases. Et ça devrait continuer avec la sortie du nouvel album « Pirouette ».
On va faire un petit vote à main levée : qui écoute encore du post punk dans la salle ? Okay, vous êtes trois. Merci, vous pouvez quitter la pièce en vous masturbant avec vos disques d’Idles. Nous, on va continuer d’aller voir ce qui se passe dans le bac des nouveautés. Et sur quoi on tombe : « Pirouette » de Model/Actriz. Avant que vous n’ouvriez votre gueule pour rien : non, ce n’est pas une comptine pour enfants. Sérieusement, vous nous prenez pour des guignols ?
Model/Actriz est un groupe basé à Brooklyn qui s’est formé à Boston en 2016 sans réelle ambition. Les gars balancent quelques morceaux sur Bandcamp, sortent en EP l’année suivante qui passe inaperçu et réfléchissent à mettre en boîte un premier album avant d’abandonner puis de remettre la machine en route à New York quelques mois plus tard. Schéma classique. Sauf que rapidement, les Américains veulent se détacher du lot. Faire du rock indus, okay why not. Mais on veut une ambiance club. On veut casser les codes. Surtout, on veut rompre avec cette idée absurde que le post punk ne valorise — sauf dans de rares exceptions — que l’agressivité masculine.
Cole Haden, le chanteur, est queer. Il est fan de Grace Jones, de Lady Gaga, de Kylie Minogue, de l’actrice Liza Minnelli ou encore de l’artiste d’art visuel serbe Marina Abramović. Sur scène, le garçon de 28 ans fait le show. Il incarne une figure théâtrale. Il se déguise. Il utilise son corps comme un moyen d’expression. Une sensualité qui se confronte aux sonorités noises et industrielles pour créer de la tension, du contraste et de l’explosivité. C’est en tout cas ce qu’on entend sur « Dogsbody », un premier album claustrophobique sorti en 2023. En interview, Cole dit avoir fait ce disque « pour les gays », mais aussi pour offrir une représentation qu’il n’a pas eu en grandissant. Mission réussie. Alors que faire pour ce deuxième round ? La même chose, mais en mieux.
À la première écoute de « Pirouette », on pourrait penser qu’il n’y a pas eu de changements majeurs. L’équipe type est toujours la même — avec Ruben Radlauer, Jack Wetmore et Aaron Shapiro qui complètent la formation — et le plan de jeu n’a pas bougé : faire un disque torride, embrasé et corrosif. Le genre d’album qui te colle des baffes et qui te rince jusqu’à la moelle. Mais quand on commence à disséquer les morceaux, alors on peut subrepticement observer quelques changements. Okay, c’est subtil, mais c’est là où on va reconnaître les connaisseurs. Entre le premier et le second disque, les garçons lancent un groupe WhatsApp avec leur producteur Seth Manchester. Dans cette conversation, ils partagent leurs références musicales : des chansons de house et de techno pour la batterie, des tubes pop ou des coups de cœur. Il faut des sons mécaniques, bruts et distordus, mais il faut aussi que le tout groove. Cole change sa manière d’écrire. Au lieu de parler de dieux grecs ou de mythologie, il aborde des sujets très personnels de manière frontale en lien avec son enfance, sa sexualité, le désir queer, la beauté féminine, l’acceptation de soi ou encore le droit d’exister dans un corps.
Un album de dur à queer
Sur le plan musical, la confrontation et l’agressivité s’atténuent. Pour la première fois, Model/Actriz dialogue et essaie de faire corps ensemble sans chercher à tout prix le contraste dans la radicalité. C’est un disque « thérapie » : Cole parle — il évoque aussi bien ses traumas que ses envies ou ses coups d’un soir —, les autres écoutent et le groupe s’adapte. C’est pourquoi on retrouve sur cet album une ballade à propos de la sœur jumelle de Cole (Acid Rain), des harmonies cheloues (sur Poppy), des accalmies, du spoken word (Headlights) et des envolées lyriques (Doves). Il y a légèrement moins de tensions, mais sans baisser le niveau d’intensité (Ring Road).
Cette démarche est à mettre en parallèle avec la théâtralité de la performance, comme Cole l’explique en interview : « C’est tout à fait dans l’esprit de la culture drag : je me livre et j’invite les autres à faire de même. Et pour que les gens se sentent invités à être vulnérables, je fais le premier pas en enlevant les couches de mon corps sur scène. L’album « Dogsbody » était un véritable drame, mais protégé d’une certaine manière par des métaphores sur le plan lyrique et des distorsions sur le plan musical. « Pirouette » supprime une partie de cette protection. Les sons sont plus clairs, les voix sont plus audibles et les paroles sont plus littérales. » Ah oui, avant de former le groupe, Cole a joué dans des comédies musicales (tandis que les autres viennent de la scène hardcore ou metalcore). Et cette dimension théâtrale est l’une des forces de « Pirouette ». Comme la volonté du groupe de mettre dans un gros shaker toutes leurs influences (allant de Janet Jackson à Burial en passant par Floating Points ) sans se dire qu’elles ne pourront pas cohabiter.
D’ailleurs, la performance au micro de Cole, qui dévoile sur ce disque une palette vocale variée avec des changements de rythme, d’intonation et de timbre de voix, est l’une des nombreuses prouesses de « Pirouette ». Ça s’entend partout : sur l’agressif Vespers qui ouvre l’album comme une marche martiale, sur Cinderella où Cole raconte son envie avortée d’organiser un anniversaire sur le thème de Cendrillon pour ses cinq ans, sur Acid Rain qui évoque avec tendresse le deuil ou encore sur Diva, peut-être la pièce centrale du projet, une masterclass de quatre minutes qui résume l’essence même de ce nouvel album. Au sein de cette chanson, une phrase vient illustrer la philosophie de ce disque : « living in America while trapped in the body of an operatic diva ». Model/Actriz sonne comme quelqu’un qui est pris au piège, coincé, traumatisé, apeuré et troublé, mais qui voit dans l’art et la performance une manière de s’affirmer et de s’exposer au monde.
L’autre atout majeur de ce disque est de réussir à créer une ambiance à la fois moite, agressive, euphorique, anxieuse et séduisante. Un joyeux bordel musical entre l’indus, le post punk, la techno et la pop qui permet à Model/Actriz de se détacher du lot pour offrir une vision musicale sincère qui n’obéit a aucune règle, qui ne cherche pas l’efficacité ni la bonne formule pour passer un putain de single à la radio. « Pirouette » est une œuvre totale qui aborde et absorbe la complexité des émotions humaines, l’instabilité émotionnelle, le désir, le regard extérieur, la puissance de la performance ou encore les questionnements adolescents sur la sexualité dans une société hétéronormée comme si vous étiez dans un club sordide à quatre heures du matin après 13 shots de vodka et six traces de coke. Tout est vécu d’une manière intense, avec le sentiment d’être en équilibre sur un fil et qu’à n’importe quel moment, on peut basculer dans le vide. Si les moments plus calmes permettent de reprendre ses esprits, le fait est que Model/Actriz ne vous laisse que très peu de répit. À vous de voir si vous êtes assez solide pour les affronter.
L’album « Pirouette » de Model/Actriz est sorti le 2 mai sur True Panther / Dirty Hit
En concert le 17 juin à Petit Bain (Paris)
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Robin Ecoeur avec ses pieds écrit, chiant