Tour à tour acclamée et conspuée par un public et des critiques lui reprochant tout et son contraire, Lana Del Rey est l’une des dernières incarnations d’une forme de rêve américain autant que de la figure de rock star.  Au lendemain de la sortie de son dernier album « Did you know that there’s a tunnel under Ocean Blvd », et une grosse décennie après le buzz de Video Games, c’est l’heure du contrôle discal pour la Jackie Kennedy de la pop américaine.

Born to Die", de Lana Del Rey

« Lana Del Ray AKA Lizzy Grant » (2010)

Le premier album de Lana Del Rey n’est pas nécessairement celui que l’on croit, puisqu’il existait bel et bien une Lana Del Rey (Del Ray, en fait) avant « Born to Die ». Sur ce premier disque, la chanteuse commence à se forger son avatar, héritée de l’image de la pin-up 50s, un peu trop naïve et maladivement attirée par des bad boys incorrigibles. Quelque part, cet avatar n’est que très peu éloigné de la réalité : obsédée depuis son très jeune âge par Elvis et Nancy Sinatra, hantée par l’imaginaire d’un rêve américain voué à l’échec et le charme suspicieux d’une image d’Épinal noyée de romantisme, Lana Del Rey a construit son identité au milieu de repères faussés. À quatorze ans, la jeune fille est déjà très mature, passe ses nuits dehors avec des hommes plus âgés et se découvre un fort penchant pour la bouteille. Envoyée ensuite en internat comme on enverrait un junkie récidiviste en cure de désintoxication, disons simplement que « Lana Del Ray AKA Lizzy Grant » a déjà un certain goût de vécu.

Malgré une très bonne qualité générale portée par des morceaux comme Kill Kill et son élégant « I’m in love with a dying man » (un mantra pour la décennie à venir) ou Oh Say You Can See, l’album est un échec commercial et est retiré de la vente quelques mois après sa sortie. Tous les ingrédients du succès à venir étaient pourtant déjà présents, mais les planètes ne semblent pas encore alignées pour la chanteuse encore en formation, transitionnant progressivement de Lizzy Grant à Lana Del Rey.

 

« Born to Die » (2012)

À moins d’avoir passé l’année 2012 à construire son bunker anti fin du monde, impossible d’être passé à côté. C’est avec cet album que Lana Del Rey explose au grand public, essentiellement avec le single Video Games sorti sur sa chaîne YouTube qui rencontra le fracas général qu’on lui connaît. Après cette première rencontre avec le regard du grand public, la chanteuse était attendue comme le messie, non sans une certaine interrogation générale : est-elle un énième buzz produit de l’industrie musicale, ou une authentique chanteuse à l’univers propre ?

En parallèle, le monde découvre que Lana Del Rey n’est en fait pas complètement sortie de nulle part. En tentant depuis déjà quelques années de se faire une place dans le microcosme hollywoodien, l’ex Lizzy Grant n’en est pas à son coup d’essai et a déjà essuyé un certain nombre d’échecs et tentatives infructueuses, parfois aidée financièrement par son père, lequel semble avoir la délicatesse de croire un tant soit peu dans le projet artistique quasi malsain de sa fille. Le monde découvre aussi quelques compositions passées inaperçues de la chanteuse et ses multiples transformations esthétiques, pour parvenir à incarner un avatar si travaillé et daté qu’il peut en sembler presque creux. S’il est alors de bon ton d’aduler Lana Del Rey, il est tout aussi louable de la fustiger publiquement : une fois de plus, l’industrie musicale et médiatique se livre à une pantomime d’un très mauvais goût, surfant sur la fragilité et l’objectification d’une figure féminine plus ou moins érotique qu’elle façonne et érige depuis déjà des décennies.

Sans donner une réponse réellement tranchée à la question énoncée plus haut, « Born to Die » montre au moins un talent vocal indéniable et surtout, une immense adhésion du public et d’une génération entière fascinée par la dépression glamourisée, une esthétique fantasmée qui n’a concrètement rien de nouveau (et Billie Eilish n’a rien inventé). L’album raflera disques d’or, de platine et de diamant et une deuxième place au Billboard 200, classement dans lequel elle restera pour 300 semaines consécutives. Mais dans son ensemble, ce généreux album (comme tous ceux à suivre, puisque pour le meilleur ou pour le pire, Lana Del Rey ne sortira quasiment AUCUN disque de moins d’une heure) est loin de ne renfermer que des pépites. La plupart des morceaux réellement notables sont d’ailleurs des singles déjà connus : Born to Die, Video Games, Blue Jeans, Summertime Sadness. Sort aussi du lot un très beau National Anthem, mais dans son ensemble et malgré de solides qualités artistiques et créatives, « Born to Die » tend à s’éparpiller. Entre la couleur 50’s du fantasme Lana Del Rey et des accents plus pop et urbains (ayant d’ailleurs assez mal vieillis), le risque de cet album est de perdre l’auditeur en cours de route, parfois rattrapé de justesse par l’un ou l’autre des morceaux nommés plus haut qui donneront tout de même à la star sa place au firmament.

Sur l’édition augmentée de l’album, qui comprendra en supplément l’EP « Paradise » sorti la même année, Lana proposera une version plus aboutie et accentuera l’esthétique vintage de sa musique, avec notamment l’excellente reprise de Blue Velvet. On peut retrouver cette atmosphère propre au chef d’œuvre de David Lynch dans la musique de Lana Del Rey : un fantasme de rêve américain un peu trop lisse pour être honnête, les clôtures blanches et les gazons taillés au millimètre, les voitures rutilantes et les flirts insouciants qui cachent sous l’éclat apparent de leur pureté un océan de souffrance, de destruction et de solitude. Pour la chanteuse, dont un morceau sur deux s’apparente au récit de nuits autodestructrices entre paillettes et amours toxiques, la nostalgie d’un idéal inatteignable de romantisme et d’esthétisme sera un carburant créatif infini.

 

« Ultraviolence » (2014)

Deux ans après son explosion, Lana se confronte à l’enjeu du deuxième album (qui est en fait le troisième). Attendue au tournant par le public et les critiques, qui n’attendent qu’un pas de travers pour descendre la jeune artiste dont on questionne encore l’authenticité et le talent après le précédent album à la qualité inégale, Lana s’épaule de Dan Auerbach (Black Keys) pour relever le défi haut la main. « Ultraviolence » tient un cap et surtout, tient la route : une atmosphère propre se dessine au fil du chant tantôt éthéré, tantôt éraillé de la jeune femme. Il y a quelque chose de profondément dérangeant à l’entendre fredonner « Ultraviolence, ultraviolence » après mentions de souvenirs d’enfance et de violences conjugales auprès de partenaires toujours un peu plus malsains. Ces récits sombres et autodestructeurs se dévoilent petit à petit sur une mélodie raffinée aux échos vertigineux, comme un contraste permanent et quasi fétichiste entre ombre et lumière où, visiblement, seule la violence semble se démarquer.

Comme sa pochette monochrome et ses textes, la couleur musicale de l’album est sombre, mêlant jazz mélancolique et un soft rock flirtant avec l’esthétique western, loin de la fausse rutilance du premier album et ses accents R&B. Si le triptyque amour inconditionnel-drogue-mélancolie existentielle est toujours le fil rouge du disque (spoiler, il le sera encore longtemps), l’argent et la vanité d’une industrie anonyme et dégénérée tiennent aussi une place majeure, avec les très pop Fucked My Way Up To The Top et Money Power Glory, ce dernier rappelant la noirceur pailletée du Diamonds, Fur Coat, Champagne de Suicide.
L’underground new-yorkais est d’ailleurs à l’honneur sur Brooklyn Baby, Lou Reed et l’héritage beatnik en tête de file, à la fois comme une profession de foi et un éternel jeu d’influences et inspirations (était-ce vraiment mieux avant ?). Seul le dernier morceau Florida Kilos, co-écrit avec Harmony Korine, dénote de cette longue procession onirique, tombant presque comme un cheveu sur la soupe par sa quasi-vulgarité face à l’élégance et la retenue des treize pistes précédentes.

«Honeymoon » (2015)

Un an seulement après « Ultraviolence », Lana Del Rey signe de nouveau un excellent disque, encore un peu plus sombre et contrasté. « Honeymoon » est un album exigeant et raffiné, fort d’un grand soin porté aux mélodies, transitions et arrangements. Évidemment, la chanteuse reste dans le large domaine de la pop, mais en travaillant ainsi le décor et l’esthétique qu’elle construit, elle signe ici un ambitieux projet, semblable à une longue rêverie crépusculaire. Le résultat est si juste qu’il tient presque de l’album concept, dans son harmonie et sa capacité à façonner une réelle expérience quasi cinématographique. Toutefois, « Honeymoon » n’est pas qu’un pastiche doucereux des balades vintages que Lana Del Rey affectionne tant. Si elle maîtrise indéniablement le genre et ses codes, elle ramène quelques éléments plus modernes, incorporés avec finesse.

Ainsi, entre les vaporeux et grandioses Terrence Loves You, God Knows I Tried et Swan Song, les trémolos lents et raffinés de Religion, se bousculent la froideur saccadée de High By The Beach et de l’autobiographique Freak (comme à peu près tous les morceaux de la chanteuse, cela dit, dont un bon tiers de la discographie recycle le propos de Video Games et Blue Jeans). Aux deux tiers du périple, Salvatore constitue la clé de voûte d’une narration plus suave que jamais et surtout d’une tension omniprésente, comme si la chanteuse semblait de plus en plus s’éveiller et s’émanciper de sa propre condition, après de longues années marquées par la souffrance et la passivité face à une certaine tendance à s’attirer des ennuis. « Honeymoon » reste donc l’un des meilleurs albums de la chanteuse, clôturé par une excellente reprise de Don’t Let Me Be Misunderstood dans laquelle la jeune chanteuse semble au sommet de son art.

« Lust For Life » (2017)

Et ce qui devait arriver arriva : après deux excellents albums remarquables par leur harmonie et leur finesse, « Lust For Life » fonce carrément dans le décor après Love, un très bon premier morceau qui n’augurait pourtant pas le désastre à venir. En exacerbant un mélange de genres déjà lourd sur « Born To Die », c’est l’indigestion complète. Pop, rap, R&B et beats quasi EDM se succèdent une heure durant, jusqu’au deuxième véritable bon morceau de l’album, Heroin, qui fort heureusement rattrape le niveau global de cet album franchement pénible. Les deux morceaux suivants, Change et Get Free, tiennent plus ou moins la route, pour les intrépides qui se seraient accrochés jusqu’au bout.

En multipliant les featurings (The Weeknd, ASAP Rocky, Stevie Nicks et Sean Lennon), la chanteuse fonce dans toutes les directions et perd l’unité singulière qu’elle avait réussi à bâtir petit à petit. Toutefois, la direction artistique de « Lust For Life » n’est pas surprenante dans la discographie de Lana Del Rey : si son côté old school est évident depuis ses débuts, les directions prises avec ce nouveau disque reviennent simplement sur les autres influences de la chanteuse. Si l’effort de renouveau est à louer, on regrettera surtout le manque de finesse de l’ensemble, bien que tout à fait authentique dans son chaos : une incarnation assez juste de l’identité américaine, à savoir un maelstrom consumériste à peine navigable au milieu de clichés inconciliables, unis par un narratif multi-centenaire qui frise souvent avec sa propre parodie.

À noter tout de même : Lana Del Rey sourit pour la première fois sur l’une de ses pochettes et semble s’éloigner progressivement de ses démons, après quatre albums tiraillés par les pulsions autodestructrices et une recherche d’idéal vouée à l’échec. Un tournant s’effectue-t-il dans la carrière de la chanteuse ? Réponse après la pub.

« Norman Fucking Rockwell ! » (2019)

Sans doute le plus gros succès critique et public de Lana Del Rey. Sur cet album bien plus complexe que ne le laisse présager sa pochette cartoonesque (où Lana pose avec le petit-fils de Jack Nicholson) et l’ultra-pop du précédent « Lust For Life », la chanteuse semble parvenir à concilier les différents mondes entre lesquels elle a oscillé sur les sept précédentes années de carrière, ici accompagnée du très mondain producteur Jack Antonoff.

Musicalement, Lana parvient à s’émanciper des codes dont elle a joué (parfois jusqu’à l’outrance) et incorpore de nouveaux éléments bienvenus dans ce nouveau projet, notamment une influence psych rock sur le single Venice Bitch. Elle manie toujours avec finesse l’art de la balade, qui sera d’ailleurs le genre dominant de l’album et portera avec une certaine esthétique du dénuement. « Norman Fucking Rockwell ! » est aussi certainement son disque le plus « simple », dans le sens positif du terme : en bref, la chanteuse envoie valser une bonne partie de l’orchestration plus ou moins lourde, plus ou moins électronique, plus ou moins de bon goût, qui l’a accompagné bon gré mal gré depuis ses débuts de teenager. Bartender, California ou le morceau-titre sont des exemples parfaits de ce virage vers la sobriété heureuse, pour reprendre arbitrairement le terme de Pierre Rabhi dans un contexte peut-être pas si inapproprié que ça.

De fait, le résultat est donc bien plus apaisé que les excellents « Ultraviolence » et « Honeymoon » : il faut croire que la chanteuse aperçoive finalement la lumière au bout du tunnel. Alors qu’elle assoit toujours de plus en plus sa position de star mondiale, il semble que cette marche implacable s’accompagne d’un certain détachement de ce qu’impliquent les feux des projecteurs. Le mantra sex, drugs & rock’n’roll que la chanteuse semblait s’échiner à poursuivre depuis sa pré-adolescence semble de moins en moins d’actualité dans l’identité musicale et personnelle de la chanteuse. D’un autre côté, à presque 35 ans et après une jeunesse marquée par un véritable alcoolisme digne d’un chanteur country de la Grande Dépression, rien d’étonnant à ce que la chanteuse ne mette finalement un soupçon d’eau dans son vin.

De là à dire que Lana Del Rey chante des chansons joyeuses et légères, il y a un pas. Cinnamon Girl (qui n’a rien à voir avec Neil Young) raconte toujours les sentiments mitigés suscités par des relations instables, mais le thème est abordé comme depuis un nouvel angle, plus mûr, plus réfléchi, affranchi de l’image de jeune fille ingénue qui lui colle à la peau et dont on refuse de reconnaître les parts d’ombre. En somme, l’alter ego de Laura Palmer s’émancipe de plus en plus. Et considérons surtout « Norman Fucking Rockwell ! » comme une grande bouffée d’air frais dans une discographie au sombre passé, autant qu’une forme d’apogée de cette dernière.

« Chemtrails Over The Country Club » (2021)

Lana Del Rey poursuit sa quête de minimalisme avec ce nouvel album sur lequel elle apparaît entourée et souriante. De manière assez singulière, « Chemtrails Over The Country Club » se dévoile comme une scène de vie parmi tant d’autres : son début n’en est pas vraiment un, sa fin non plus, et au milieu coule une rivière dans laquelle flotte un grand marasme Americana dont la chanteuse revêt, comme d’habitude, les couleurs red white and blue et les cinquante étoiles.
Pop sans vraiment l’être, suranné avec bon goût, « Chemtrails Over The Country Club » n’apporte pas de franche nouveauté mais a le mérite d’évoquer des paysages et scènes sensiblement différents que ses prédécesseurs. Peut-être un soupçon de lassitude commence à s’installer, après plusieurs heures d’écoute de Lana Del Rey en suivant du coin de l’œil et d’un regard vaguement désabusé les processions de casseroles (littérales et figurées) de l’échiquier politique français. Une critique approfondie est à découvrir ici.

« Blue Banisters » (2021)

En faisant les comptes, Lana Del Rey s’est certainement aperçue que son dernier album ne durait que 45 minutes. Elle décide donc, la même année, de sortir « Blue Banisters » pour rattraper, au sens propre, le temps perdu. Sur cet album passé plus inaperçu que le précédent et à peine mis en avant par la chanteuse, cette dernière proposait une structure sensiblement plus complexe bien que toujours relativement sobre. Si le résultat est harmonieux et bien ficelé, l’album ne sort pas réellement du lot dans cette discographie déjà riche et surprenante, mais sa vertu tient peut-être justement dans cette forme d’effacement. Seul, « Blue Banisters » serait insuffisant mais à l’aune de ses prédécesseurs, il semble combler certaines failles et éclairer quelques zones d’ombre.
D’ailleurs, pour les curieux, « Blue Banisters » comporte son lot d’archives, puisqu’une bonne partie des morceaux date de la période « Ultraviolence ». Au sein de cet album aux allures de hors-série, quelques titres sortent tout de même du lot, comme Black Bathing Suit, le cristallin Nectar Of The Gods ou Dealer, une heureuse collaboration avec Miles Kane qui apportera un peu de nerf à l’ensemble.

 

 

« Did you know that there’s a tunnel under Ocean Blvd » (2023)

Dix bougies après Born to Die, Lana Del Rey a-t-elle encore quelque chose à prouver ? Les débats d’alors concernant son authenticité et son talent semblent aujourd’hui bien absurdes. La chanteuse est une artiste et musicienne reconnue et assumée qui n’a pas volé sa place. Elle est acclamée aussi bien par les critiques qu’un public large et hétéroclite, qu’elle a su aller chercher au-delà du simple engouement générationnel suscité par l’arrivée sur le marché d’une nouvelle icône de la pop suffisamment mélancolique, sexualisée et mal dans sa peau pour parler aux enfants de Tumblr et aux vieux libidineux qui détiennent les clés de l’opaque industrie musicale. Et si, naturellement, l’effet de mode s’est légèrement estompé, la qualité de sa plume et son identité musicale de plus en plus affinée perdurent.

C’est donc après cette grosse décennie de carrière que voit le jour « Did you know that there’s a tunnel under Ocean Blvd ». Sur cet album ouvert par le gospel de The Grants (son véritable nom de famille), Lana renoue avec une certaine puissance vocale, là où ses deux précédents albums se démarquaient par une certaine forme de retenue. Elle ramène de nouvelles fusions de styles, notamment sur A&W et ses surprenantes sept minutes où la balade americana classique glisse sans préambule vers un rap plus que judicieux, avant de proposer un prêche du pasteur Judah Smith sur le thème de la luxure. Après une carrière entière à incarner une figure féminine surannée et hyper-sexualisée, la chanteuse semble jouer avec ces codes qu’elle a créé autant qu’hérité (voire subis). A&W est comme un long monologue entre ses multiples avatars, une réflexion autour des dynamiques relationnelles et symboliques de sa vie de femme, des affres de l’adolescence jusqu’à ses 37 ans.

Musicalement, le degré de richesse et de narration reprend le flambeau de ses trois précédents meilleurs albums (« Ultraviolence », « Honeymoon » et « Norman Fucking Rockwell ! »). Ce nouveau disque est déjà une expérience, à nouveau, quasi cinématographique, nageant en eaux plus ou moins troubles au gré d’ambiances sonores soignées et de longs interludes (dont le magnifique Jon Batiste Interlude). La chanteuse, que l’on reconnaît certes assez peu pour sa tendance à la frénésie, semble ici prendre tout son temps pour fabriquer son dernier ambitieux projet et parvient à donner à chaque couleur, chaque ton, chaque inspiration sa juste place. Comme sur A&W, les beats rap et les inspirations plus pop reviennent sur le devant de la scène, notamment sur les trois derniers morceaux de l’album (Taco Truck x VB propose d’ailleurs une première version de Venice Bitch, non retenue pour l’album de 2019). Là où la tentative était peu fructueuse sur « Lust For Life », ici, l’harmonie perdure et Lana est tout simplement à sa place, quel que soit le registre qu’elle utilise.

« Did you know there’s a tunnel under Ocean Blvd » comporte aussi une certaine part de gravité, notamment dans les thèmes abordés. Au centre, la famille, l’héritage, le deuil et la disparition, de Paris, Texas à Grandfather please stand on the shoulder of my father while he’s deep-sea fishing. Évidemment, chacun de ces thèmes peut être perçu au pied de la lettre ou de manière plus symbolique, comme une réflexion mature sur l’idéal et la construction identitaire torturée d’une femme américaine moderne. Comme ses millions de consœurs, l’ex Lizzy Grant a hérité d’un passé conflictuel et nostalgique dans un Cruel World impitoyable, pour reprendre le titre d’ouverture du précédent « Ultraviolence », mais dans lequel Lana Del Rey semble finalement tranquillement mener sa barque au milieu du tumulte. Et d’aventure, si au terme de ces (parfois) longues heures d’écoute attentive de la discographie de Lana Del Rey et malgré (parfois) une certaine redondance dans ladite discographie, on pouvait encore se demander si Lana Del Rey est une véritable artiste, la réponse est : oui, évidemment.

7 commentaires

  1. Vous avez la dent dure avec Lust for Life, 13 Beaches et White Mustang sont de grands titres mais bon, joli topo quand même. La « Jackie Kennedy de la pop américaine », ahaha ça m’a fait sourire mais c’est assez juste, Hollywood, le progrès sociétal, l’insouciance d’avant Dallas, bref l’idéalisation d’une Amérique qui n’a jamais vraiment existé mais qu’on aurait souhaitée. Et des décennies après, une artiste unique qui s’est forgé un univers incomparable. God Bless Lana 😉

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