Voici une tentative risquée et totalement subjective pour essayer d’appréhender le « phénomène » Lana Del Rey, qui reste au-dessus de la mêlée grand public avec son nouveau disque « Chemtrails Over The Country Club ». Ou comment réunir à la même table ados fans de Disney, passionarias de TikTok ou Instagram et vieux nostalgiques de musique indé.

Le poptimisme n’est pas forcément ce qui est arrivé de mieux à une presse musicale qui n’avait pas besoin de ça. Mettre au même niveau Taylor Swift et Carole King ou Beyoncé et Nina Simone n’est probablement pas la meilleure idée pour redonner du crédit à une critique cherchant désespérément à garder son rôle de prescripteur. Poptimisme ? Une pratique née quand « méfiante envers le mainstream et la musique commerciale (…), (la presse musicale) s’est ravisée au tournant des années 2000, quand des tubes d’Aaliyah (…) firent entendre au top des charts un r’n’b novateur et polymorphe, qui semblait réconcilier à nouveau la popularité et l’avant-garde, comme le décrivait Agnès Gayraud il y a quelques années dans Libération, le jour où les colonnes hautaines du New Yorker se mirent à chanter les louanges desdits tubes, la critique entra dans un nouvel âge appelé «poptimisme».»

La tendance peut se comprendre mais elle a dangereusement tendance à se généraliser. Surtout depuis qu’elle a été popularisée par les moguls de Pitchfork qui sont passés en une vingtaine d’années de la célébration des expérimentations indie des barbus de Brooklyn à Cardi B ou The 1975. Ce débat, au moins aussi vieux que la musique enregistrée, visant à savoir où se situe la qualité entre produit purement commercial et œuvre sortie de l’underground a notamment été terrassé par la prise de pouvoir du rap au sein duquel la critique a de plus en plus de mal à s’exprimer en plein enthousiasme permanent chez les médias et autres influenceurs des réseaux. Personne ne pourra honnêtement dire que Nirvana est devenu de la merde le jour où ils se sont mis à vendre des millions de disques ou que Miley Cirus est apparue fréquentable parce qu’elle s’est mise à traîner avec The Flaming Lips. Comme toujours, la voie médiane paraîtrait la plus sage. Et, au milieu de ces considérations finalement assez vaines vu que plus personne n’achète de disque, la présence spectrale de Lana Del Rey flotte entre ces frontières devenues totalement floues.

Chemtrails Over the Country Club - Le Canal Auditif

Dès le départ en 2011, l’Américaine avait totalement saisi l’air du temps avec son inusable Video Games, tube improbable d’une ère Youtube encore naissante dont il était impossible de nier les qualités malgré une certaine mièvrerie et un clip qui jouait déjà avec tous les codes à venir des années 2010 : images sépia à gros grains, Château Marmont, plages, cocotier, skate et compagnie… A tel point que beaucoup se sont demandés à l’époque s’il s’agissait là d’une vraie personne de chair et d’os ou d’un être artificiel fabriqué par des nababs de l’industrie musicale rendus complètement cintrés par la coke et le téléchargement illégal.  

Ce qui aurait pu être un « one shot » parfaitement orchestré par son père pionnier nommé INTERNET s’est pourtant poursuivi tout au long des dix dernières années. Et il n’est pas là question de s’étaler sur les différentes étapes d’une gloire planétaire suscitant à la fois vénération populaire et réactions épidermiques envers ce personnage totalement à part du grand business musical. Avec son allure travaillée de playmate lynchienne (qui l’a adoubée et dont elle a repris le titre phare de son film Blue Velvet), elle use, dans la démarche très post-moderne de l’époque, de toutes les références ayant bâti l’Amérique. Jusqu’à se dire qu’elle incarnerait presque à elle seule les années 2010. Une posture qui a forcément tendance à agacer tant Liz Grant – de son vrai nom – enchaîne l’imagerie des années instagrammées, recyclée par la machine à laver internet, avec des titres de chansons comme Bel Air, Guns and Roses, Art Deco, Brooklyn Baby, Coachella, Venice Bitch etc… Associé à un name-dropping permanent dans ses chansons (dernièrement avec des fautes de goût comme les White Stripes ou Kings of Leon), elle pourrait être le symbole vivant de la futilité de notre temps, si ce n’est, et c’est là tout l’enjeu du difficile exercice qu’est cet article, qu’elle est certainement l’une des plus grandes songwriteuses de ces dix dernières années.

Attention, tout n’est pas forcément digeste dans sa généreuse production (six albums et un recueil de poésie en dix ans) mais il y a toujours quelque chose à prendre chez Lana Del Rey. Si ses premiers disques souffraient de parfois trop coller à la tendance entre hip hop ou r’n’b (ses collaborations avec The Weeknd ou A$ap Rocky), rock (celle avec Dan Auerbach) ou pop mainstream, la qualité de beaucoup de ses titres montrait bien qu’elle savait écrire des chansons (Video Games, West Coast, High By The Beach, God Knows I Tried…), ce qu’elle fait d’ailleurs depuis son adolescence alcoolisée.

Mais c’est véritablement avec l’album « Norman Fucking Rockwell » (2019) qu’elle paraît avoir trouvé sa voie dans un classicisme folk, ou americana pour faire plus indé, fortement influencé par le mythe californien de Laurel Canyon. En restant toujours collée aux canons du moment, sa musique s’est amincie en se dégraissant d’une bonne partie des apparats qui pouvaient s’avérer gênants auparavant. Et même si la production de Jack Antonoff (Taylor Swift, Lorde, St Vincent) a parfois tendance à rendre le tout un peu trop lisse et pimpant – cela reste de la pop grand public et les fans de Coil ou de Throbbing Gristle auront du mal à y trouver leur compte – cette épure permet d’apprécier au plus près la qualité naturelle de ses titres. En se permettant le luxe de sortir un premier single de dix minutes (Venice Bitch), elle enfilait sur « Norman… » une kyrielle de compositions de haut vol qui l’élève au-dessus du tout venant des charts (Mariners Apartment Complex, Fuck It Love You, ou le carrément Beatlesien The Greatest).

Cette approche plus assainie de sa propre musique s’est donc poursuivie et même accentuée il y a quelques semaines avec « Chemtrails Over The Country Club ». Toujours sous la conduite d’Antonoff, elle a encore réduit la voilure au niveau des arrangements. A l’image du frissonnant White Dress d’ouverture tout en chuchotement dévoilant encore un peu plus ses qualités vocales, narrant sa jeunesse de serveuse sur un disque marqué par la condition des femmes et un discours globalement de plus en plus conscient. Si elle garde encore quelques cartouches pour sa « fanbase » (le morceau titre, Let Me Love You Like A Woman), sa quête inspirée d’une Amérique intemporelle hantée par ses figures tutélaires (Dean, Monroe, Elvis, Tate, Reed…) résonne encore plus fort avec Tulsa Jesus Freak (et sa microdose d’autotune), Yosemite, Wild At Heart (Lynch encore) ou, tout un symbole, la reprise de Joni Mitchell, For Free. Autant de projections, dans la musique et dans les textes, formant une synthèse du grand roman US écrit depuis près de 60 ans qui frappent forcément l’inconscient.


Là encore, dans un condensé de sa démarche, elle navigue entre mainstream et approche plus confidentielle ce qui lui a offert par le passé la liberté d’enchaîner la BO de Charlie’s Angels avec Miley Cyrus et Ariana Grande ou une reprise à la sauce Tim Burton du titre de La Belle au bois dormant chez Disney puis de faire venir sur son dernier disque la prêtresse de l’indie Weyes Blood. Lana Del Rey, être totalement singulier dans la pop commerciale contemporaine, justifierait presque à elle seule ledit « poptimisme ». Et, pour répondre à l’intitulé de cet article périlleux, elle laissera très probablement une trace profonde tant elle transpire son époque mais surtout, et encore une fois, par ses talents d’écritures qui lui permettront d’aller se faire tranquillement une place dans le gotha des patronnes du genre. 

21 commentaires

  1. Pas persuadé par sa voix ni ses mélodies, ni son esthétique Hollywood Gothic Death Trip. Elle est très jolie, mais c’est éphémère.
    Par contre, absolument persuadé par ses textes incroyables, entre Sylvia Plath et Leonard Cohen. Respect.

    1. Quand on dit d’une chanteuse qu’elle a de très beaux textes c’est un peu comme on dit d’une meuf qu’elle très sympa : on y met pas le doigt.

  2. elle sort un album tous les 6 mois————->comploteuse qui n’ecrit pas ses chansons,
    post avant: « mé tai jalou en faitent »

  3. Prochain Article de EJ:
    « Daphné Burki et sa CultureBox c’est quand même pas mal! »
    Courage Manu, encore deux trois articles de ce niveau et ils vont bien finir par t’adouber dans leurs petits cercle des Oreilles disparues

    1. ahaha du coup tu me fais hésiter, j’étais parti sur un papier : « Tania Bruno Rosso, la Syd Barrett de l’esprit Canal ? »

  4. fausse route/rousse, marylyn chiappa la doublure voix des chappi_chappo reculent de leur pot thaïlandais…..

  5. Décidément c’est l’avant-garde communautaire des minorités musicales actives chez Gonzaï.
    L’autre jour on a eu droit à un pied-noir séfarade qui voulait nous vendre une bimbo israélienne qui sent l’huile. Aujourd’hui c’est le lobby des rouquemoutes ou quoi ?
    Ps : Bester tu veux pas modifier la section commentaire qu’on puisse poster des mêmes rigolos ?

  6. !..Soyons Sérieux!…. Gonzaï! évacuez vos invendus & goodies sur la JUnte Birmane! vous verrez vous aurez des ‘likes’!!..

  7. Pour répondre à la question, je nsp si Lana Del Rey laissera une trace avant de crever, mais si c’est le cas et que je suis présent, je taperai direct la trace avant d’appeler les pompiers

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