Au fond, peu nous importe que Léa Seydoux réussisse grâce aux réseaux de sa famille en or, peu nous importe que des intermittents du spectacle aient été blessés ou torturés pendant le tournage de "La vie d'Adèle", peu nous importe encore que la jeune actrice pleine de promesses pleure pour de vrai, parce que, entre autres, on a vu des films de Bruno Dumont, merci. Ce qui compte, au fond, c'est le film. Et celui-ci est affligeant.

La vie d’Adèle doit probablement sa palme d’or à tous ceux qui pour une raison où une autre auront passé leur printemps 2013 à débattre de la nécessité de permettre aux personnes du même sexe d’embrasser eux-aussi les atours du modèle hétérosexuel patriarcal. Ce qui étonne donc, même celui qui serait resté à quelques distances des envolées critiques du festival de Cannes, c’est de voir à quel point La vie d’Adèle est un film réactionnaire et hétéronormé.

Sans titre-2Point n’est besoin d’avancer très loin dans un film pourtant très long pour s’inquiéter du regard phallocrate et libidineux que Kechiche pose sur ses actrices. On est un peu gêné pour lui, éprouvant l’impression que le réalisateur délaisse son film pour s’occuper, comme le dirait Deleuze, de sa « petite affaire ». Ayant perdu de vue la question cinématographique, il déroule des scènes d’une complaisante longueur qui exsudent l’ennui de n’importe quelle production pornographique lambda.
Bien entendu ce regard échoue et on doute même qu’il s’essaye à dÉployer la moindre complexité. Les personnages secondaires sont des panneaux indicateurs: ici la famille prolo proche de la terre, là la famille bobo cultivée, ailleurs la jeune fille qui a peur de l’homosexualité, les uns et les autres disparaissent sans laisser plus de traces que des figures peintes à la hâte sur un décor en carton-pate. On pourrait nous dire que c’est pour mieux laisser place à Emma et Adèle, mais là non plus pourtant rien de bien neuf, rien qu’une histoire de passion déjà-vu et poussivement filmée. La rebelle Emma, une artiste encore plus ratée que sa coupe de cheveux, finira par se réfugier dans un modèle familial petit-bourgeois, femme-objet entretenue telle une femme de dentiste qui apporte à son époux le chatoiement d’une âme d’artiste pour profession libérale. La jeune Adèle sera condamnée à errer tristement dans les décombres de sa passion avant de trouver la rédemption grâce à l’éducation nationale. Kechiche essaye bien de refaire son fameux coup du prof de français. Malheureusement, ce qui avait un certain panache dans son film L’esquive, a ici plutôt un goût de panaché. À chaque plan, on s’attend à voir débarquer Gérard Klein, malheureusement nous n’aurons même pas ce plaisir.

Qu’on ne s’y trompe pas, tout cela eut pu être sublime, mais il aurait fallu pour cela faire autre chose que se toucher la caméra. La bande-annonce des Amants réguliers de Garrell nous apporte plus et avec tellement plus de grâce plus que les interminables séquences de La vie sans intérêt d’Adèle. Pris en tenaille entre une série érotique de la 6 et un téléfilm de France 3, le spectateur traverse seul et péniblement les trois heures du film. Il regrette de n’être pas resté à la maison pour revoir Elephant de Gus Van Sant. On se dit d’ailleurs que même Brisseau et ses sextapes de jeunes actrices françaises aurait fait l’affaire. Lui, au moins, a le courage de reconnaître ce qu’il filme.

La vie d’Adèle, chapitre 1 et 2 : est-ce une menace? Combien de chapitres restent-ils encore à couvrir? Quelqu’un mettra-t-il fin à ses souffrances? Et aux nôtres?

Malheureusement en salle

17 commentaires

  1. Vous faites preuve d’une mauvaise foi et d’une méconnaissance du cinéma de Kechiche hallucinantes. Ne serait-ce que pour la révélation d’Adèle Exarchopoulos, ce bijou de film mérite plus d’égards. Allez voir le dernier jeunet ou Prince of Texas avant de parler d’ennui au cinéma. Votre verve misanthropique y trouverait plus matière. Quoique, visiblement, elle n’en ait pas besoin…

  2. « du modèle hétérosexuel patriarcal… » « réactionnaire et hétéronormé… »
    Merde j’ai été réexpédié dans les seventies !
    D’ailleurs, toi-même d’où parles-tu camarade gonzo critique ?

  3. vous pourriez au moins vous relire
    Qu’on ne s’y trompe pas, tout cela eut pu être sublime, mais il aurait fallu pour cela faire autre chose que se toucher la caméra. La bande-annonce des Amants réguliers de Garrell nous apporte plus et avec tellement plus de grâce plus que les interminables séquences de La vie sans intérêt d’Adèle

  4. Cher Pierre-yann,
    à l’avenir nous feront en sorte d’assortir tout article un tant soit peu critique d’un Lolcat, j’espère que cela permettra d’adoucir ta lecture. Cela dit je crains que nous dussions continuer à écrire ces critiques en vrai français et pas en hashtags.
    A ce sujet d’ailleurs, chère Elsa, j’admet bien volontiers qu’encore sous le choc du film j’ai omis de me relire. Cela dit il faut reconnaître que la bande-annonce du Garrell et tout de même plus plus mieux, #mai68 comme le fait si justement remarquer Donjipez.

  5. Tout ceci est vrai, William. Mais faux aussi.
    Enfin, je veux dire qu’on peut passer ces 3 heures en étant copain-copine avec ce film. Sans s’ennuyer, en s’y sentant bien, en trouvant que tout ceci à un sens, du sens, que Kechiche sait où il va, ce qu’il fait, même si c’est à grands coups de bambou, avec de gros sabots bien crotteux.
    Et que cette histoire, ces personnages, ces images … peuvent être signifiants, finalement. Peuvent nous dire quelques trucs sur le désir, la passion, les différences et l’altérité (impossible ?), la transmission (enfin l’éducation, pardon pour ce gros mot bien réac), les corps qui se pétrissent, le monde de l’art qui se touche, etc.
    Peut-être, ou pas … Quoi qu’il en soit, pour le sang, la sueur, la cyprine et la morve de tout ce petit monde, La Vie d’Adèle mérite mieux que ce peu de lignes si pauvrement argumentées, William.

  6. Cette remarque est juste, mais cette remarque est malheureusement fausse aussi.
    Bien sur l’éducation tout à fait l’éducation, je n’ai rien contre l’éducation,, bien sur le désir, l’amour, bien entendu la création tout ça.
    Mais ce que je reproche à Kechiche, et je ne prend pas plus de gants qu’il n’en a pris à réaliser son film, c’est d’instrumentaliser tout cela, l’éducation, le désir, l’amour, l’homosexualité. Parce qu’au fond et une analyse plan par plan que je ne perdrai pas le temps de faire nous le montrerai avec clarté, ce qui interesse le réalisateur ce n’est pas la vie d’Adèle, c’est son cul.

  7. J’aurai essayé, mais là je dois bien m’avouer vain-cul …
    J’ai apprécié ce film, pour un peu plus de raisons que le simple et beau fessier d’Adèle (il est vrai mis en évidence sous notre nez dès le début du film).
    Et je dois reconnaitre qu’aussi expéditif soit-il, ton avis n’est pas sans fondement (ok, là je suis lourd, l’école Kéké, certainement).

  8. Je suis allé voir ce film, et en plus de 10 ans de fréquentation du cinéma du forum des halles de Chatelet, ce fut la premiére que je regardais aussi souvent le plafond! d’ailleurs, je ne l’avais jamais regardé avant…

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