Si Albert Dupontel n’a guère une allure de marathonien éthiopien, les metteurs en scène (dont lui-même) ont une fâcheuse tendance à aimer le voir courir par monts et par vaux et se farcir des cascades de bagnoles. La Proie ne fait pas exception à la règle. Il y est pourchassé par la police après son évasion de prison, à la recherche d’un serial killer qui menace sa famille. Mais pourquoi faut-il toujours que Dupontel se démène physiquement dans ses films ?

Depuis que Bebel a raccroché les gants, le cinéma français cherche son successeur ; un acteur capable d’humour tout en sautant d’un toit à l’autre, sorte de Yamakasi des seventies. Comme on parle des vingt-cinq kilos de De Niro en évoquant Raging Bull, l’anecdote favorite du public concernant Belmondo réside dans sa volonté de réaliser lui-même toutes ses cascades. Du coup, pas un réal’ n’a résisté à la tentation de lui faire crapahuter des façades d’immeubles, s’accrocher à des trains en marche, ou marcher sur des corniches à cinquante mètres du sol. Mais aujourd’hui, quel acteur peut se prévaloir d’un tel engagement physique ? Tomer Sisley et les fonds verts de Largo Winch ? Jean Dujardin qui, bien que très flegmatique, ne mouille pas dangereusement son marcel ? Peut-être faut-il jeter un œil du côté de Dupontel. Taillé comme la bête du Gévaudan (carrure et poils à l’appui), gueule ricanante de hyène (il ne se départit jamais de son rictus), le bonhomme aime dépenser ses calories sur les tournages. Qu’il soit réal ou simplement acteur, il se donne à fond. Courses de dératé en costume de ville dans des rues pavillonnaires (Le Vilain), éclatage de face dans un décor à la Amélie Poulain (Enfermés dehors),  conduite à l’envers sur l’autoroute (Bernie), Dupontel ne s’épargne rien, et depuis peu ceux qui le mettent en scène profitent de cet élan de tête brûlée, qui donne une patine à l’ancienne à des films d’action comme La Proie. Rien de tel qu’une vraie course-poursuite, pas doublée, qu’un acteur en danger, pour faire frémir des spectateurs désabusés par des effets spéciaux trop grandiloquents pour être immersifs.

Le martyr idéal

Au-delà de cette capacité à prendre des risques pour épaissir et crédibiliser ses personnages, Dupontel dévoile très régulièrement une autre facette : celle du marginal, lourdé de la société ; le paria parfait. Il devient alors la poupée vaudou, celle à qui on fait subir les pires outrages et humiliations. Son corps se doit d’être martyrisé, torturé jusqu’à la lie. Masochiste cinématographique pour le plaisir d’un public sadique, Dupontel (un peu comme Bebel) se fait constamment amocher la gueule, refaire le portrait. Mais comme un chat, toujours capable de retomber sur ses pattes, il relève la tête pour mieux se venger de cette société qui ne veut pas de lui. Antihéros par excellence, il incarne en France le loser pugnace, le pauvre mec qui se débat pour s’en sortir coûte que coûte.

Métaphore d’un pays écrasé par ses élites, Dupontel ressemble à ces petites gens, ni bons ni mauvais, qui veulent juste exister malgré leur lourd passif (psychiatrique pour Bernie ou judiciaire pour La Proie). Loin d’un John McClane flamboyant à l’américaine, notre Albert national sent le terroir, la sueur et l’échec. Un concentré de culture frenchie, en somme.

Eric Valette // La Proie // En salles


2 commentaires

  1. Magimel aurait pu devenir le nouveau Belmondo…
    Sinon, t’a aime le film??. Valette c’est un bon normalement, Malefique tres bon film.

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