La découverte d’un bon disque tient parfois à pas grand’ chose. Avec le temps, j’ai même tendance à penser que la scission entre le bon grain et l’ivraie tient à des détails invisibles à l’œil nu, ou dans le cas présent, à ces particules de poussières coincées entre les touches d’un synthétiseur. En recevant le mailing d’annonce d’un nouvel album du mystérieux John Foxx et de son copain en arithmétique, terriblement excité par la photo de presse qui présentait les deux compères – un sexagénaire en parka plastique, l’autre en tenue Bob Sinclar du MIT – la diode analogique et binaire s’était subitement rallumée. On, off, on, off and turn it on again… C’était parti pour un énième retour vers le futur.

Certains attachements peinent véritablement à s’expliquer. Développer des rhétoriques élaborées pour expliquer à son lectorat pourquoi trois grandes chansons suffisent à faire d’Interplay un « grand album », c’est à la rigueur une petite peine perdue, ou plus globalement une perte de temps. Ecrire des prophéties futuristes drapées par des logorrhées sur les octaves triturées et les nappes synthétiques, c’est bien joli, mais l’évangélisation des masses (Music for the Masses, quand tu nous tiens) ça n’a jamais nourri son homme, et encore moins sa musique. N’empêche. Trente ans après la création de son premier groupe Ultravox, on pouvait bien espérer qu’il y aurait encore trois clampins pour apprécier les roulements de mécaniques de ce renard des surfaces. Puis prier pour que tous les fans de New-Wave aient crevé d’une O.D. dans une soirée batcave pour enfin faire place à des croyants moins clichés. Fin de la première transmission.

C’est en envoyant une supplique au management de John Foxx que je pris conscience de l’importance de l’Anglais synthétique et de sa résolue modernité : « I’m glad that you want John Foxx to play in Paris for Gonzaï, but sorry he would need about 3000-4000 € at least to play a show. So this will not work, im afraid ». Nous lui proposions dix fois moins pour venir faire le mariole permanenté mais sa notoriété valait – de l’avis du bookeur – dix fois plus. Après cette fin de non recevoir cordiale et so british, ne restait plus qu’à réécouter Interplay en long en large et en travers pour disséquer ce qui avait merdé, quelque part.

Car à vrai dire, personne ne se souvient de John Foxx. Pire même : personne ne le connaît, tout le monde s’en fout.

Et Ultravox, alors ? Une madeleine de Proust pour les quarantenaires qui continuent de porter du simili cuir le samedi soir. Ben Edwards, notre Bob Sinclar évadé du MIT ? Un simple collectionneur de synthétiseurs, le genre à s’astiquer le stick sur Ebay à la recherche d’un énième arpeggiator prêt à le téléporter de sa chambre chez maman vers un paradis artificiel localisé autour du 22ème siècle avec des femmes-robots aux tatoos Martin Gore. Artificiel parce que digital, futuriste parce que synthétique, robotique parce que simulé sur des boîtes à rythmes piochées au gré des décennies, Interplay réunit finalement tous les facteurs pour coller à ses principes avant-gardistes – toucher l’élite – et cela grâce aux disquaires désormais frileux et autres branchés non érudits. En somme, un disque qui n’atteindra même pas les bacs à soldes, un OVNI condamné à errer dans les limbes du digital à la recherche de son public. Retour à la ligne.

Où j’en reviens bêtement aux raisons qui me firent tendre l’oreille à cet album et ses deux martiens. Photo sépia, duo inter-générationnel et le tout sur fond de synthés vintage de la taille d’un macro-processeur de 1950 ; les raisons de se pencher sur Interplay tiennent davantage au symbolique qu’à un réel désir d’avenir. La new-wave chantée à la façon de Kraftwerk, les envolées CASIO pour garçons coiffeurs et la libération des hormones par le cul des machines, déjà vu voilà trente ans. C’est pourtant bien là que John Foxx touche au sublime. Hier jeune éphèbe de l’avant-pop, aujourd’hui mentor de l’arrière-garde, l’Anglais parvient à boucler la boucle – parlant d’arpeggios, c’est bien joué – avec un disque difficile à dater au Carbone 14. S’agit-il d’une larme versée sur ses sacro-synthés années 80, d’un retour à l’âge primaire où les jeunes gens modernes n’arboraient pas fièrement leurs cartes vermeilles, ou plutôt d’une ultime bravade temporelle pour fantasmer demain et ses possibles ? Un peu des trois sans doute. Comme une odyssée en trois dimensions où les temps de conjugaison se perdent à l’horizon, à l’infini. L’énigme John Foxx trouve finalement toutes ses réponses sur Falling Star, supernova en déclin dont les derniers rayons s’abattent lentement, porté par le chant d’oiseaux métalliques. Quatre minutes et trente-huit secondes pour entrevoir la lumière à travers les stores, comprendre que les synthétiseurs furent inventés par un technicien pour rappeler à l’homme qu’il est tout sauf une machine :

« Some last will last forever / As the sunset roll over the waves / And behind you, in the sky / A falling star, a falling star / No one could find you, you disappeared / And all this time, you were here / Passing light, passing time / And behind you, across the sky / A falling star, a falling star / And I wonder who you are / And I wonder who you are »

Dernier feu avant extinction, coupure du cordon, ne plus se dépêcher d’être à la mode. Finalement, c’est tout ce qu’on attendait d’un tel disque.

Falling Star

John Foxx and the Maths // Interplay // Differ-ant
http://www.metamatic.com/

4 commentaires

  1. Salut

    le quarantenaire que je suis vous propose de jeter une oreille sur l’album de 1977 d’Ultravox (lp du même nom). John Foxx y chante (c’était avant l’époque Midge Ure) et ça mérite le détour.

    Amicalement.

Répondre à MXZ Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*
*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

partages