Quinze ans avant les monstres de téléréalité que sont The Osbournes ou la saga Kardashian, l’Amérique a connu un show éphémère qui reste à ce jour un chef d’œuvre méconnu : Fishing With John, une mini-série où des stars de la musique et du cinéma comme Jim Jarmusch, Tom Waits ou Dennis Hopper embarquaient dans de vraies-fausses aventures de pêche en milieu sauvage.

L’Amérique du Nord et l’art de la pêche entretiennent une relation d’amour obsessionnelle : la discipline est élevée au rang d’une pratique quasi religieuse, s’inscrivant ainsi dans une tradition de nature writing et d’écologie politique issue d’un attrait viscéral pour les grands espaces. Rien d’étonnant, donc, à ce que l’on retrouve aussi cette pratique dans le monde des arts et de la culture : de La pêche à la truite en Amérique de Richard Brautigan au Traité du Zen et de l’art de la pêche à la mouche de John Gierach en passant par Et au milieu coule une rivière de Robert Redford, la pêche est un chapitre à part entière de l’ethos américain, transcendant les courants artistiques, les écoles de pensée, les tendances politiques et autres points de rupture que l’humanité affectionne tant.

La mini-série est à l’Amérique des 90’s ce que Rendez-vous en terre inconnue et La Ferme Célébrités sont à la France des années 2000.

Fishing with John fait partie de ces chefs d’œuvres universels, issu du cerveau surprenant de son producteur et réalisateur John Lurie, à qui l’on prête nombre de casquettes : musicien, acteur chouchou de Jim Jarmusch, peintre proche de Jean-Michel Basquiat et touche à tout professionnel. Bâti sur un concept assez simple (John invite ses copains célèbres à partir à la pêche avec lui), la mini-série est à l’Amérique des 90s ce que Rendez-vous en terre inconnue et La Ferme Célébrités (aïe) sont à la France des années 2000. Toutefois, bien que désarmante de simplicité, la trame énoncée précédemment tombe à l’eau dès les premières minutes de la mini-série, où l’on comprend bien vite que ni John, ni ses invités, n’ont la moindre expertise dans le domaine de la pêche. Et comme dans la plupart des œuvres citées plus haut, l’action (si tant est qu’on puisse parler d’action) de Fishing with John semble donc se dérouler autour de la pratique, plutôt que sur la pratique en elle-même.

Pince mi et pince moi sont sur un bateau

Évidemment, comme dans toute histoire de pêche ou de camping, les choses ne se passent pas comme prévu. Sur son bateau dans les eaux jamaïcaines, Tom Waits tombe malade, ronchonnant et regrettant amèrement d’avoir accepté la proposition de son ami. Seule une escale dans le tripot du coin lui permettra de se dérider, avant de reprendre le cours de l’émission sans la moindre prise. L’équipe bredouille achètera quelques poissons aux pêcheurs locaux pour finaliser l’épisode, poissons que le chanteur grincheux (mais farceur) glissera dans son pantalon pour les conserver au frais. Selon la légende colportée par Lurie, Tom Waits aurait ensuite refusé de lui adresser la parole pendant 2 ans.

Entre autres péripéties, on verra aussi Willem Dafoe construire une cabane sur un lac gelé, où le duo finira par passer une horrible semaine de pêche infructueuse, ponctuée par quelques avances graveleuses de Dafoe pour combattre la rudesse des températures négatives après avoir écoulé les stocks de crackers au fromage (la voix-off annoncera la mort par famine du duo à la fin de l’épisode). Au Costa Rica, Matt Dillon se lancera dans une danse du poisson au milieu d’une chorale exaltée, avant de voir l’apparition d’étranges phénomènes. Jim Jarmusch, qui s’ennuie ferme dans son éternel habit noir, finira par attirer le requin avec un bout de pain en guise d’appât, pendant que Lurie tiendra le flingue pour terrasser son Moby Dick.

Le point culminant de la série se trouvera dans une épopée en deux épisodes en compagnie de Dennis Hopper qui était, selon les dires de son acolyte, bien trop défoncé pour pêcher correctement (était-il vraiment le seul ?). Le duo se lancera sur la quête d’une pieuvre géante mangeuse d’hommes, dont ils suivront la trace en s’enfonçant dans les eaux thaïlandaises comme dans un pastiche d’Apocalypse Now. Après des séquences hallucinées dans un temple bouddhiste rappelant les visions tourmentées d’Easy Rider, les aventuriers découvriront que ce sont eux qui sont traqués par la pieuvre.

Un naufrage commercial

En clair : tout au long de ces six épisodes, le spectateur verra surtout une bande de copains quadragénaires devenus célèbres faire les zouaves en pleine nature. Par manque de budget, la vidéo est de la qualité la plus déplorable possible, entre le film de vacances familial et le pur voyeurisme. Un sentiment de gêne épidermique peut se dégager au visionnage des séquences, dont le burlesque et le rythme hasardeux n’aideront pas à deviner à quelle sauce on sera mangé : si la piste d’une véritable émission sérieuse est à bannir dès le générique du premier épisode, les protagonistes campent leur rôle avec un flegme à toute épreuve. Les silences et les longueurs de la série (et Dieu sait qu’il y en a) sont habillées par une superbe bande-son tragi-comique et par la voix-off de Robb Webb, qui excelle dans l’art de la dramatisation autant que dans celui de parler pour ne rien dire.

Fort de son humour absurde et d’un comique de situation rappelant souvent Jacques Tati, Fishing with John a tout l’air d’une bonne blague entre amis, mais qui aurait été poussée un peu trop loin. Hilarant sans chercher à être drôle, regorgeant de détails tous plus loufoques les uns que les autres et noyés dans une succession monotone d’aventures qui n’en ont que le nom, le génie de la série tient en ce qu’elle ne propose quasiment rien de tangible, libre d’interprétation et laissant ainsi un certain parfum d’inachevé. D’ailleurs, la bande de riches mécènes japonais (peut-être un peu trop visionnaires) qui avait financé dans un premier temps la série tombera rapidement en faillite, ce qui coupera court prématurément aux aventures extraordinaires de John Lurie et ses amis. Une histoire qui finit en queue de poisson, évidemment.

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