(C) Andy Jon

Il y a un nouveau cowboy dans le western électrique de Montréal, Canada, et son nom n’est pas personne. Yocto, formé comme un super groupe réunissant la crème du rock underground local, signe un excellent premier album à cheval entre post-punk et new wave, mais sans éperons.

C’est devenu une vérité telle que cela en devient une banalité : depuis la fin des années 2000, le rock canadien n’en finit plus de mettre une tannée à son équivalent français, et chaque sortie pressée à moins de 10 000 exemplaires de ridiculiser ce son après lequel court une partie de la scène hexagonale, entre nostalgie des basses chaudes période Phil Spector derrière la console et parties de batterie enregistrées sans les moufles aveugles du digital – ce qui ne veut absolument rien dire, on vous l’accorde.
Nouvel exemple en date avec la récente sortie de Yocto, jeune groupe composé de vieux briscards du circuit et issus de divers projets qui évoqueront surement quelque chose à celles et ceux pour qui Montréal is the new New York. Des membres de Chocolat, d’IDALG ou de Jesuslesfilles (ce nom) réunis dans un même espace pour imaginer à quoi pourrait bien ressembler un disque aux guitares aussi acérées que celles du Talking Heads grande époque, et jouant avec les voix sous speed comme la Lio avant le split du banana. Le tout donne donc « Zepta Supernova », un petit miracle sous cocaïne où le temps file plus vite que ta jeunesse, et où les bougres passent en revue les plus belles heures de la fin des seventies, quand le rock anglo-saxon retrouvait une seconde jeunesse en puisant dans l’énergie du punk pour se doper. On pense évidemment à Devo, mais aussi aux éternels seconds de Polyrock (produits à l’époque par Philip Glass) et le tout donne une mystérieuse micro-unité de mesure nommée Yocto en langage scientifique. Pour autant, pas besoin d’enfiler une blouse pour manipuler ce premier album instinctif raconté ci-dessous par les principaux intéressés, à distance mais sans décalage horreur.

Yocto — Taverne Tour

Comment est né le groupe ? Vu de loin, cela ressemble à la formation d’une super constellation réunissant plusieurs projets.

Jean-Michel : Disons que trois des membres de Yocto viennent d’une ancienne formation qui s’appelait IDALG, actuellement un peu en sommeil. Donc à la base, le projet est né de morceaux qu’on avait avec Yuki et au final, on a carrément trouvé que ces compositions devaient donner naissance à un nouveau groupe. De là, mon frère s’est rajouté à la batterie et Emmanuel Éthier (déjà entendu dans Corridor, Ndr) aussi.

Et selon vous, il est situé où ce projet, dans la constellation précitée ?

Jean-Michel : Au départ, Yocto n’aurait dû être qu’une parenthèse, comme un side project d’IDALG. Sauf que rien ne s’est passé comme prévu : la pandémie Covid-19 est rentré dans l’équation et on s’est donné à fond dans ce projet.

Yuki : On a mis tellement de cœur là-dedans que ça s’est transformé en petit trésor.

Jean-Michel : Ce n’est clairement pas un « projet one shot », il y aura plus qu’un seul album.

Si on veut aller vite en besogne, est-ce que je peux sortir ma question journaliste marketing et dire que Yocto, c’est un peu comme si Devo rencontrait Lio ?

Jean-Michel : Aha, bah merci.

Yuki : Évidemment que les références nous parlent. C’est très pertinent.

En termes d’influences, on visait la période 1978-1982.

Si on veut pousser un peu dans cette direction, je trouve que Yocto est vraiment la création la plus originale, la plus aboutie et la plus inattendue parmi tous les projets sur lesquels vous avez pu travailler.

Jean-Michel : En termes d’influences, on visait la période 1978-1982 ; une période qui n’est jamais vraiment citée ni revendiquée, et à contre-courant de beaucoup de sonorités actuelles, mais sans tenter de rivaliser avec les groupes et albums auxquels tu fais référence.

Qu’est-ce qui vous ramène à cette période, en tant que musiciens ?

Jean-Michel : Beaucoup de choses. Un son global, d’abord, avec des productions très fines où rien n’était dissimulé, ; une chaleur et un son incisif. Comme si tout semblait être dans l’affirmation. Moi je suis né en 1983 et ce qui me revient en repensant à cette époque, ce sont les snares avec du synthé…

Yuki : Impossible de dire pourquoi on est attiré par cette période ; c’est comme si ces sons étaient venus nous chercher, une sorte d’émotion indescriptible, un truc qui paraitrait plus gros que ce qu’il devrait être. 

Ce qu’on entend aussi sur le single Dactylo, c’est que Lio a traversé l’Atlantique.

Yuki : C’est un succès « de niche », mais pas mal de gens autour de nous connaissent l’œuvre de Lio.

Jean-Michel : La naissance de Yocto n’est pas dû à une suite de références, même si je dois avouer qu’on a hésité à reprendre un titre de Lio !

Qu’il soit question du titre de l’album ou des noms de chansons, ça cause aussi pas mal de métaphysique chez Yocto, non ?

Jean-Michel : C’est venu sans trop réfléchir, même si souvent pour lancer la composition je m’oblige à créer un concept, comme un moteur personnel. Là, ce qui s’est imposé c’est cette idée d’un langage courant venu d’un futur proche. Et quand on voit les progrès liés à l’intelligence artificielle ces derniers mois, avec ChatGPT, ça nous a semblé à la fois drôle et pertinent. Les thématiques un peu geek ou méta, c’est aussi l’une des raisons qui nous a poussés à créer ce projet en dehors d’IDALG ; ça ne collait pas avec ce qu’on avait fait jusque-là.

Combien de fois on entend dire « j’ai écouté le single, c’était bien, mais l’album était épuisant »…

Sortir un album de rock en 2023, ça a encore un sens quand on est canadien et qu’on ne s’appelle ni Drake ni The Weeknd ?

Yuki : Déjà, on est plutôt encouragé à produire ce genre de formats au Québec, en termes d’aides financières.

Jean-Michel : Et puis ça reste plus sexy à défendre en tant que musiciens.

Et au-delà de ça, votre album passe parfaitement sur une paire d’enceintes à l’ancienne, ce qui est de moins en moins le cas pour tout ce qu’on met encore dans la catégorie « nouvel album rock ».

Jean-Michel : On est convaincu que Yocto colle bien à ce format-là, et au fait de se poser pendant une trentaine de minutes autour d’un disque. Les productions actuelles sont tellement sous stéroïdes que ça peut devenir lourd d’écouter un disque en entier. Combien de fois on entend dire « j’ai écouté le single, c’était bien, mais l’album était épuisant »…

Comment expliquez-vous la différence de production entre les albums de rock français et ceux venus de Montréal ? A l’écoute de « Zepta Supernova », c’est encore une fois extrêmement flagrant.

Jean-Michel : Peut-être parce qu’on baigne dans la culture américaine sans vraiment y être, de par la proximité. Même si les paroles sont majoritairement écrites en français, on background musical est évidemment très anglo-saxon. De notre point de vue, c’est assez difficile d’arriver à analyser ce qu’est vraiment le rock québécois…

On parlait précédemment de cet amas de groupes venus de Montréal, qui gravitent tous ensemble depuis une dizaine d’années. Avec le recul, quelle est l’importance de cette scène une décennie plus tard ? Est-ce encore un combat pour exister, ou une bataille enfin gagnée ?

Yuki : Ca reste un combat. Il ne faut pas oublier que le Québec reste un petit pays en termes de population, donc mathématiquement notre musique « nichée » touche moins de personnes.

Jean-Michel : Contrairement à l’Europe, on ne dispose pas d’un si bon réseau underground pour jouer live. Au-delà de Montréal, on se retrouve souvent dans des festivals relativement mainstream avec des projets un peu extraterrestres.

Yuki : Ca reste difficile donc, mais on reste tous soudés. C’est un petit milieu le rock francophone, on se connait tous vraiment. C’est peut-être pour ça que tout le monde joue un peu avec tout le monde !

Finalement, c’est peut-être ça l’unité de mesure du « yocto » : un petit élément étrange et invisible à l’œil nu.

Les deux : exactement !

Yocto // Zepta Supernova // Duprince & Requiem pour un Twister
https://yocto.bandcamp.com/album/zepta-supernova

 

 

 

5 commentaires

  1. y’avait pas un truc ressemblant du coté de toulouse chez propre superette, faudrait le ressortir que daler a montréal….

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