A quoi pourrait bien ressembler un énième album de Thee Oh Sees chanté dans la langue de Céline Dion ? Probablement à un truc moins bien que ce deuxième album des Canadiens de Population II qui, avec « Electrons libres du Québec », réussissent l’exploit de signer un disque donnant l’impression d’entendre… Céline Dion jouant de la guitare comme John Dwyer.
Il a 77 ans, son corps est usé par un vieux combat contre des Allemands. Les pieds trainent, l’esprit reste vif. Il s’approche sur le perron de l’hôtel de ville et ne sait pas encore que la déclaration qui suit s’appliquera cinquante-six ans plus tard à un trio de power rock psychedelic au nom digne d’un blockbuster de James Cameron :
« Vous êtes en train de vous constituer des élites, des usines, des entreprises, des laboratoires, qui feront l’étonnement de tous et qui, un jour, j’en suis sûr, vous permettront d’aider la France. Voilà ce que je suis venu vous dire ce soir en ajoutant que j’emporte de cette réunion inouïe de Montréal un souvenir inoubliable. La France entière sait, voit, entend, ce qui se passe ici et je puis vous dire qu’elle en vaudra mieux. Vive Montréal ! Vive le Québec… libre ! »
Le public, plus bas, applaudit. L’homme en question, c’est le Général de Gaulle. La foule, ce sont des Québécois ravis de trouver un écho à leurs propres préoccupations et leur désir d’indépendance. Nettement plus malin qu’avec son « Je vous ai compris » servi dix ans plus tôt à Alger (sans que personne n’ait jamais compris ce que le grand Charles voulait signifier avec cette phrase fourre-tout), ledit Général ne se doutait certainement pas que sa topline irait comme un gant à Population II, ce groupe de Montréal révélé en plein Covid avec la signature de son premier album chez Castle Face, label de John Dwyer.
Et nous voilà donc, trois ans plus tard, avec les mêmes énergumènes revenant avec un disque de rock à guitare, soit sur le papier la phrase la plus emmerdante qu’il pourrait être donné de lire en 2023. Quoi, du rock à guitare ? Encore des blancs racontant des banalités en faisant joujou avec un instrument amplifié ? Oui, il y a de ça dans « Electrons libres du Québec », sauf que c’est autre chose qu’une empilade de titres démos pour un CD de démonstration de guitare.
Si ce deuxième album, signé chez l’équivalent canadien de Born Bad (BonSound), ne réinvente pas la roue à couper le beurre dans l’eau chaude, il y a ici suffisamment d’idées pour remplir au moins 10 albums de faux rockeurs français signés en major. Contacté pour ce papier, le groupe explique : « au Canada, il y a définitivement des groupes qui œuvrent dans une musique similaire à nous. Par contre, de le faire en français ‘’québécois’’ est vraiment le pourquoi nous spécifions ‘’Électrons libres du Québec’’.
Libre, ce deuxième l’est tellement qu’il ne s’embarrasse pas avec les hommages, puisque l’ombre de Dwyer est palpable dans chaque recoin de la pièce (écoutez C.T.Q.S), mais sans que jamais l’exercice de l’influence ne tourne au ridicule. Au coin d’une rue, on croise également des bouts de mesure évoquant le King Crimson des débuts – sans les catogans et le public de professeurs d’histoire-géo – mais aussi le Miles Davis des années drogues et la France des seventies, dont quelques énergumènes oubliés ici-même comme Jacques Dudon. C’est dire la traversée transatlantique de ce disque free rock qui devrait permettre aux habitués du « il y a trop de disques qui sortent » de cesser leurs jérémiades bourgeoises pendant une quarantaine de minutes ; un temps long en 2023 sonnant presque un luxe pour nantis, mais nécessaires afin de mesurer la distance du fossé séparant désormais Montréal de Paris quand il est question de réveiller la bête électrique. Et « Electrons libres du Québec », comme le récent album de Yocto, de réveiller jusqu’au fantôme du Général à Colombey-les-deux-amplis.
Population II // Électrons libre du Québec // BonSound
https://population2.bandcamp.com/album/lectrons-libres-du-qu-bec
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convenanza (10) last wk, pas trop de jeunes dans l’assemblée tickets trop chers ? food truck suranés ? smagghe avec lunettes …