Disque de fin de siècle réédité cette année, le « Like Weather » de Leila est la preuve qu’un album aventureux de musique mutante peut se frayer un chemin à travers les modes pour rester toujours pertinent plus de 20 ans après sa publication.

Il y a un côté roulette russe à s’évertuer à juger des albums au moment de leur sortie. Etre convaincu d’avoir entre les mains un classique qui passera entre les mailles des générations paraît bien audacieux, voire impossible. Si le critère numéro un reste d’avoir de bonnes chansons, une production répondant un peu trop aux canons du moment peut venir gâcher tout ça. Et empêcher qu’un disque soit dégusté avec toujours autant de plaisir 20 ans plus tard, pour finir par servir à faire du vinaigre. Si la mode des albums « naked » a tenté de venir corriger ça (« Let It Be » se reconnaitra), l’exercice reste quand même hautement périlleux.

Courant phare des années 90, le trip-hop se place bien en la matière tant il correspondait à une époque avec ses petits gimmicks devenus aujourd’hui agaçants (sample jazzy, scratch et autres voix exagérément soul). Des œuvres intemporelles ont réussi l’exploit de rester d’actualité aujourd’hui (Portishead, Massive Attack, Tricky, « Endtroducing » de DJ Shadow…) pour des dizaines d’autres devenues totalement ringardes et difficilement écoutables à l’heure de Jean Castex (Morcheeba est-tu là ?). Et il y a les artistes un peu oubliés comme Alpha, les productions de Cup of Tea Records ou Leila Arab, plus connue sous le nom de Leila, dont il est ici question ici avec « Like Weather », publié en 1998 et réédité il y a quelques semaines par Modern Love.

De la soul, du R’n’B, de la jungle, de l’IDM et parsemé de voix suaves : il a tout du coupable idéal. L’accueil unanime de la presse malgré des ventes pas forcément pharaoniques pouvait déjà mettre la puce à l’oreille et montrer que certains savaient taper juste à l’époque. Car, comme toute œuvre prescriptrice, elle vient avant tout d’un esprit libre et innovant.

Réfugiée iranienne à Londres avec sa famille pour fuir la révolution à la fin des années 70, la concernée étudie l’art avant de prendre le clavier de Björk où elle montre déjà un talent et une personnalité affirmés. Elle collabore brillamment avec Plaid et l’idole islandaise la présente au magnat de l’electronica Aphex Twin qui tombe immédiatement sous le charme de ses titres bricolés à la maison. Signée sur Rephlex, le label du crack des Cornouailles – qui va participer au disque et finaliser sa production chez lui – elle peut entrer seule en scène.
La basse rappelant fortement celle du totémique Cargo Culte de Gainsbourg qui ouvre l’album met d’emblée dans l’ambiance : c’est confortable et ça le sera très longtemps, comme le vieux canapé qu’on n’arrivera jamais à jeter. Et dans son appart londonien, la déco devait être sacrément bigarrée tant ce « Like Weather », nommé ainsi pour ses climats changeants, part dans tous les sens : souvent comparée à Prince, elle malaxe une soul lo-fi en lui attribuant la fièvre de D’Angelo (Don’t Fall Asleep), du trip-hop pur jus (Blue Grace, Misunderstood) ou une pop d’avant-garde (Feeling, Knew) qui aura le malheur d’enfanter des Camille ou des Christine and the Queens.

Aidée par les voix de sa sœur Roya (qui œuvrera chez Archive), Luca Santucci et Donna Paul, Leila y mêle des passages instrumentaux d’une splendeur bouleversante. D’une comptine électronique – comme on disait à l’époque – renvoyant au meilleur de Weatherall et que le Radiohead post « OK Computer » a obligatoirement écouté (Underwaters (One for Keni)). De l’électro bidouillée parsemée de plages ambient grandioses (Space Love) ou un monument d’IDM sur lequel Richard D. James a forcément dû mettre la main à la pâte (Melodicore), elle enchaîne les prouesses comme Marlène Schiappa les tweets gênants. Finalement seule la soul enjouée de Won’t You Be My Baby, Baby date un peu.
Pour le reste, et malgré deux inédits sans intérêt, cette réédition prouve que les mélanges risqués peuvent avoir du bon quand le talent se mêle à l’audace. Tellement inclassable à l’époque qu’on n’a jamais vraiment su où le mettre, « Like Weather » a indirectement accouché d’une longue lignée de chercheurs (Broadcast, James Blake, Tirzah voire Frank Ocean en exagérant un peu).

Réputée pour son fort caractère, Leila sort en 2000 « Courtesy of Choice », un deuxième album tout à fait recommandable chez la grosse écurie XL recording (on savait alors prendre des risques) avant de s’embrouiller avec l’industrie du disque tout en continuant à sortir des albums plus confidentiels (sa reprise au piano du Vordhosbn d’Aphex Twin est une merveille). A l’image de la photo d’elle petite fille sur une bicyclette qui orne ses pochettes, sa musique visionnaire a su traverser les années en gardant intacte toute sa fraîcheur.

Leila // Like Weather// Modern Love
https://leilamusic.bandcamp.com/album/like-weather-re-mastered-reissue

Like Weather (Re-Mastered Reissue) by leila

13 commentaires

  1. La version 7′ était déjà à l’origine dans la version vinyle de 1998.
    Franchement, MERCI de parler de cet album absolument incroyable de tout âge. Aucune presse en France en a parlé même Tsubroche POOP ou Traxidermiste des putaclic sous traduction RA pour les stagiaires.

Répondre à "collector" comme sur ta tv avec guy de luxxx interior Annuler la réponse

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