A eux deux ils ont à peine 40 ans, mais en un seul album signé sur le label d’Anderson .Paak, Domi et JD Beck ressuscitent ce qu’on croyait mort et enterré à jamais : le jazz-funk californien. Sans queue de cheval ni trompettes sous UV, le duo signe avec « Not Tight » l’un des albums les plus techniques et jouissifs de l’année.

Les puristes aiment à croire que dans un lit, le fond doit toujours l’emporter sur la forme, comme si le superficiel devait toujours prendre une sérieuse fessée à la fin du coït. Probable, mais pas systématique : il arrive que de bons visuels produits comme à la grande époque du label Motown accouche de grands disques et que l’auditeur à la rétine fatigué par tant de promopacks insipides, sur un malentendu, découvre l’univers mashup de Domi et JD Beck, à cheval entre Alice au pays des Merveilles et les Jackson 5.

DOMi et JD Beck, les nouveaux phénomènes du jazz-funk

Et puisqu’on parle de forme : on les croirait sortis du casting parallèle de la saison 5 de Stranger Things, mais alors en version accord Do septième augmentée à la quinte flush. A gauche, JD Beck dit « la machine », originaire de Dallas et pianiste depuis ses cinq ans, batteur depuis ses neuf, tenant la baguette comme un robot gonflé au speed ; exception faite qu’on dirait surtout un sosie de Mick Jagger ayant grandi avec l’intégrale de Jazz Hot. A droite Louna (aka Domitille Degalle sur sa carte d’identité), une Française originaire de Nancy avec des extra-couettes façon Dorothée sur-maquillée, au clavier, tombée dans la musique avant même d’être déscolarisée et passée, entre autres choses, par le prestigieux Berklee College of Music. Leur avantage inné sur la concurrence : des looks pas possibles. Leur point fort : une technique pas vue depuis des lustres de l’autre côté de l’Atlantique, le tout couplé à un véritable sens mélodique qui en fait peut-être le chainon manquant entre Return to Forever et Stevie Wonder. A ce stade de l’article, le fond et la forme sont en train de fumer une clope après l’amour sur le lit rempli de triples croches.

Nommes aux prochains Grammys (vous avez, ces Victoires américaines de la musique sans Nagui) dans la catégorie révélation de l’année, Domi et JD Beck livrent avec « TiGHT » l’un de ces Ovnis dont on n’a plus vraiment l’habitude ; à la fois libre dans sa conception et carwashé de tout concept marketing ; un disque, un vrai, avec un tracklisting ample comme un bermuda de Brian Wilson, et où les invités XXL font la queue patiemment comme au supermarché : Thundercat, Mac DeMarco (sur le très beau Two Schrimps, ou « Les deux crevettes » en VF), Herbie Hancock (sur le très Herbie Hancock Moon, avec vocoder, comme sur l’ancien I Thought It Was You) ou encore Snoop sur Pilot. On serait en NBA ou en rap, on dirait qu’on est ici davantage west coast que east coast tant tout le casting de « TiGHT » sent davantage le sable que le bitume.

« Lorsque nous avons signé sur le label d’Anderson .Paak [Apeshit, Ndr], il nous a assis avec un tableau blanc et nous a dit : ‘Que voulez-vous que votre album ressemble, que voulez-vous accomplir et qui voulez-vous dessus ? expliquait récemment JD Beck au NME, il a juste fait en sorte que tout se produise ». Ce rêve éveillé, c’est un disque cousin de ceux de Louis Cole, et l’on ne peut s’empêcher de penser que les mêmes protagonistes, nés en banlieue parisienne, auraient sans doute signés chez Tricatel, tant leur fascination pour le groove harmonique se rapproche des sonorités d’un Chassol, lui-même exilé un temps à Los Angeles en rêvant aux bandes originales jazz-funk de Michel Colombier (lui-même exilé à Los Angeles en rêvant aux disques d’Herbie Hancock, voyez si c’est un vortex dodécaphonique).

En recalant les calques sur la table, et en oubliant le buzz généré par la nomination des deux aux Grammys, l’émergence subite de Domi et JD Beck est une vraie bonne nouvelle pour la musique ; elle prouve d’une part qu’on peut être quatre fois plus jeune qu’Iggy Pop et malgré tout faire son trou dans une industrie de plus en plus gériatrique ; elle démontre en plus que le jazz, ce mot fourre-tout relégué au fond des bacs de la Fnac au rayon soldes, possède malgré tout un avenir pour peu qu’on lâche la bride aux fougueux ; et enfin, tout le soleil imbibé dans « TiGHT » sonne comme un parfait contrepoint aux productions informatiques actuelles et qui toutes, d’une façon ou d’une autre, anesthésient les chances de musiciens d’arriver à jouer solide et carré, ensemble, dans une même pièce.

« Pas serré ». Voilà la traduction littérale de ce « Not TiGHT », et qui renvoie à l’un des titres de l’album, Sniff, qui initialement aurait dû s’appeler Tu peux renifler mes fesses. Un bon résumé de l’aventure multicolore dans laquelle vient de se lancer le duo franco-américain décomplexé qu’on aura du mal à qualifier de « culs serrés du jazz ». Pour paraphraser Big Lebowski, lui-même évoqué dans le titre Bowling en feat. avec Anderson .Paak, these dudes are carrément allright.

Domi and JD Beck // Not TiGHT // Apeshit

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