Après avoir publié coup sur coup trois albums durant les trois dernières années – et non des moindres - Disappears annonce une nouvelle ère pour le groupe, celle du brouillage des pistes.

Et pour l’occasion, la formule a changé. Le bad cop Steve Shelley a quitté le casting (en fait son départ date de la sortie du dernier EP – « Kone »). Batteur bankable connu principalement pour sa participation au groupe Sonic Youth, il a accompagné le groupe en tournée après la sortie de l’album « Guider » et a rejoint la formation à temps plein pour « Pre-Language ». « Temps plein » entre guillemets, puisque c’est officiellement à cause d’un emploi du temps trop chargé qu’il quitte désormais le groupe.

Son remplaçant, Noah Leger, n’est pas la moitié d’un tendre. Il a joué dans diverses formations de hardcore (qui sont toutes anonymes pour moi alors je ne me risquerai à aucun commentaire ; en bref quelqu’un qui apparemment a une petite réputation dans le microcosme hardcore et le Chicago rock) mais s’épanouit aussi bien dans ce nouveau contexte. Noah Leger, c’est la boîte à rythmes de Suicide avec des frais supplémentaires liés au transport. Simple. Martial. Hypnotique. Tout  ce qu’on demande à un bon batteur de rock (le faux débat concernant Phil Collins – puisque c’est tout sauf un batteur de rock – devrait être réservé aux pages de Batterie Magazine). Le genre brutal mais pas virtuose pour un sou. Un batteur qui, s’il n’a pas la dimension mythique de son prédécesseur, assure l’essentiel.

Ici, c’est Brian Case qui s’affirme comme le véritable leader, comme l’âme même de ce groupe. Successivement habité, hurlant et incantatoire, à la façon du sorcier de PiL John Lydon, c’est indubitablement sa voix qui hante l’album, noyée dans la reverb  et autres effets qui font dire à l’éminent musicologue qui a rédigé le dossier de presse que l’album « dévoile un engouement plus prononcé du groupe pour le Dub ». Quoi de commun entre Lee Scratch Perry et Disappears si ce n’est le plaisir de la bidouille ? Question ouverte.

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Cosmetic metal music: manicured noise

Girl – le morceau qui ouvre l’album – est un avertissement (un découragement diront certains) ; un manifeste bruitiste qui résume à lui seul l’ampleur du choc à venir autant qu’il marque la différence avec les précédents albums : l’annonce, sur le site du groupe, du début d’une « nouvelle ère » est actée. Quatre minutes de cacophonie comme une mise à l’épreuve pour les oreilles les plus timorées, et certainement l’un des moments les plus marquants de l’album. C’est une navette spatiale qui se désintègre au décollage et c’est de ce chaos que naissent les titres de l’album. La crise épileptique provoquée par l’écoute de ce titre laisse place à l’apaisement. Le parti pris : explorer la noirceur du post-punk. Ralentir le tempo du punk jusqu’à l’engourdissement sédatif. En guise de principe actif, des mélodies monotones qui s’épanouissent sur des groove minimalistes et hypnotiques, et des drones[i] inspirés. La répétition reste l’essence même de la musique de Disappears, mais c’est un album plus sombre, qui évoque l’atmosphère d’une ville en ruines, un décor post-apocalyptique qui tient plus de Metropolis que de Matrix. En cela, on peut rapprocher la musique toute en tension de nos petits Français – garantis sans marinière – de Frustration de celle de leurs tontons du bled Disappears. Ecoutez Power ou New House, on y retrouve les mêmes influences industrielles).

Un carnaval lugubre

Expérimentale et simpliste dans le même temps, la démarche de Disappears se veut avant tout efficace, à mi-chemin entre le Metal Machine Music de Lou Reed et le Music for Airports de Brian Eno. Froid et agressif comme l’hiver en Illinois (l’album a été enregistré l’hiver dernier à Chicago, dans l’Electrical Audio de Steve Albini, où ont été également enregistrées entre autres choses plusieurs des succès de Jon Spencer), « Era » est un carnaval lugubre qui convoque les esprits des plus illustres représentants du post-punk. Tendance krautrock façon Neu ! ou Can pour leurs batteries assourdissantes, minimaliste et expérimentale comme Wire (l’influence de Colin Newman et de Wire sur le chanteur Brian Case est indéniable –notamment l’album « 154 » –  de même que leur bassiste n’a pas pu ignorer Graham Lewis), ou décalée et habitée à la Devo ou Public Image Ltd (sur le jouissif Weird House). Un disque résolument tourné vers les années 80 et la fin des années 70, mais après tout rien de bien surprenant… Notre époque partage d’étonnantes similitudes avec les années fofolles : les nouveaux enfants de la crise partagent avec leurs aïeux le même sentiment de désœuvrement et l’absence de perspectives.  Constat cinglant : nous sommes en 2013, les socialistes sont au pouvoir et ont déçu ceux qui faisaient semblant d’y croire encore, tout le monde danse sur la musique de Nile Rodgers pendant qu’Argentins et Britanniques nous refont la guerre des Malouines et le No Future n’a jamais eu autant d’adeptes. Même Bernard Tapie squatte la une des media. Le changement, c’est maintenant… Après la pub.

disappears-era-albumCertains argueront que le décor, comme les acteurs (pour rester dans un registre très hollywoodien), ne sont pas tout à fait les mêmes d’un côté et de l’autre de l’Atlantique. Mais après tout, dans le chaos des grandes métropoles, dans le balancement des trains de banlieue de Paris jusqu’à Bombay, quelle différence notable ? Entre Nanterre et Chicago, mon cœur balance.

Pour résumer : « Era » est un album sombre et bruyant dans la lignée des recherches amorcées avec le précédent EP mais surtout un excellent disque qu’on ne se lasse pas de réécouter. Plus difficile d’accès que le précédent, « Pre Language », mais obsédant. Tout est fait pour décourager l’auditeur, de cette pochette austère pour ne pas dire franchement laide à ce premier titre qui n’est pas là par hasard (un peu à la façon de la première strophe des Chants de Maldoror qui invite à ne pas lire le texte)… Et pourtant, il y a de bien belles choses. Recommandé !

Disappears // Era // Kranky / Differ-Ant (sortie le 26 août)
http://www.disappears.us/


[i] Le drone, terreur des yéménites, est aussi un synonyme de « bourdon », qu’on utilise principalement pour décrire les recherches opérées par les minimalistes comme La Monte Young et tous ceux qui s’en sont inspirés par la suite : il s’agit d’une note continuellement répétée qui sert d’accompagnement à une pièce.

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