27 mars 2025

Des vertus thérapeutiques du cinéma de Christopher Nolan sur le patriarcat

Milliardaire justicier, terroriste vengeur, guerrier anonyme, génie incompris… En douze films, Christopher Nolan nous a offert une diversité de personnages tourmentés auxquels s’identifier. Son cinéma est devenu une source d’expériences cathartiques vitales pour la santé mentale des hommes et la marche du monde. Alors que le metteur en scène tourne actuellement son magnum opus, revenons sur ses accomplissements.

July 18, 2008, New York City. Un réalisateur Britannique au menton affirmé libère à la surface de la terre The Dark Knight : Le Chevalier noir. Sombre, complexe, profond et pudibond, l’œuvre, portée par le visage grave de Christian Bale et la performance-sacrifice d’Heath Ledger, est élue “Meilleur blockbuster de tous les temps” par un Conseil des Hommes unanime. Instantanément, les précédentes adaptations du super-héros sont oubliées et la totalité du patrimoine cinématographique mondial déclassée. Matrix, Fight Club, Gladiator, Le Seigneur des Anneaux : les îles épargnées par ce raz-de-marée se comptent sur une main. En insufflant un sérieux de pape au divertissement hollywoodien, Christopher Nolan a percé le secret du cœur des hommes. Pour éprouver de nobles sentiments et exorciser leurs fantasmes névrotiques, la grande majorité des mâles occidentaux dépend désormais de ses talents de conteur.

To the moon

Dans les années suivantes, les sagas Avengers, Transformers et Fast and Furious font figure de pis-aller. Des enfantillages branlés pour maintenir les salles de cinéma à flot et la gent masculine dans un état de relative stabilité en attendant le prochain oracle nolanien. La pression est immense. Sans atteindre la perfection de leur prédécesseur, Inception et The Dark Knight Rises consolident la position du maître. Leurs personnages d’ex-femmes perfides sont particulièrement appréciés par un public de pères divorcés. Mais c’est véritablement en 2014 que l’alchimiste se surpasse :

Matthew McConaughey x (pick-up truck + Carhartt) √ (bon père de famille + veuvage) x (fin du monde + don de soi) x (fusée + voyage temporel) = 1 Md $

La formule est imparable, capable d’assainir les virilités sur l’ensemble du globe. Elle prend toute sa force à la 81ème minute du film, dans une séquence où l’ancien pilote d’essai devenu fermier fond en sanglots en réalisant qu’il n’a pas su tenir une promesse faite à sa fille. En acceptant un job de voyageur interstellaire, il a failli à ses devoirs domestiques. Dans l’enceinte des salles obscures, beaucoup d’hommes reconnaissent un schéma familier. Pour la première fois de leur vie, ils s’autorisent à pleurer. Interstellar est le safeplace qu’ils ne savaient pas mériter, une thérapie d’autant plus efficace qu’ils ignoraient en avoir besoin.

Ce grand œuvre a aujourd’hui onze ans et un milliard d’êtres humains n’ont plus connu d’autres occasions d’extérioriser leurs émotions. Ces âmes en peine ont bien tenté de s’inoculer le film à haute fréquence, mais les vertus curatives des cuivres, des cordes et des percussions d’Hans Zimmer s’érodent avec le temps. Aucun blu-ray 4K ni projection 70 mm ne procure la sensation délivrée par le shoot initial. Progressivement, la frustration les ronge, à travers la planète la MMA et le populisme ne cessent de gagner du terrain.

Entrevoyant une opportunité, la Warner a essayé de reproduire la recette originale. Une dose biennale de Batman a été instaurée, Ben Affleck puis Robert Pattinson ont été convoqués, Zack Snyder et le répertoire de Nirvana réquisitionnés. Autant d’efforts qui n’ont produit que des succédanés… Trop froids ou trop abscons, Dunkerque et Tenet, les deux films suivants de Christopher Nolan, n’ont pas eu les effets thérapeutiques escomptés. Bien que joué par un Cillian Murphy vénéré, les cas de conscience d’Oppenheimer – physicien juif, sympathisant socialiste, mari infidèle, père de la bombe atomique – n’ont pas redonné lieu à un torrent mondial d’empathie. Par chance, en 2019, une nouvelle mouture du Joker tendance incel a permis de faire retomber le taux de testostérone dans l’atmosphère. Mais, six ans plus tard, force est de constater que les aiguilles penchent de nouveau dans le rouge : Mark Zuckerberg a mué en gym bro, Trump et Musk s’engouffrent dans leur démence sans que Denis Villeneuve ni Timothée Chalamet n’y puissent rien changer.

The GOAT Of All Text

Alors que l’horizon semblait définitivement assombri par un voile de taurine faisandée, le 23 décembre dernier, sur son compte X, Universal Pictures claironne :

Christopher Nolan’s next film ‘The Odyssey’ is a mythic action epic shot across the world using brand new IMAX film technology.

Après avoir mis en abîme des labyrinthes oniriques, exploré les paradoxes de l’entropie et questionné les dilemmes moraux du complexe militaro-industriel, le mâle alpha d’Hollywood a décidé de se confronter au récit séminal de la civilisation gréco-romaine. Pariant sur un retour gagnant de Nolan à une narration linéaire, le Dow Jones part en flèche. Le cours de la jupe pour homme en cuir véritable explose. Mais, quelques jours plus tard, c’est la débandade : un Matt Damon empâté est annoncé dans le rôle d’Ulysse. Sur 4chan, Reddit et 9Gag, des experts s’interrogent : le quinquagénaire a-t-il le charisme nécessaire pour décongestionner les bourses d’un patriarcat en souffrance ? Malgré sa collaboration aux persiflages de Greta Gerwig dans Barbie, les spécialistes regrettent que Ryan – DRIVE – Gosling n’ait pas été chargé de cette mission capitale pour la mascunauté. Afin de rassurer les marchés financiers, des érudits se plongent à la source du texte homérique. Ils se mettent en quête de morceaux de bravoure qui, portés à l’écran, pourraient éviter une intoxication planétaire d’hormones stéroïdiennes. A ce jour, un motif d’espoir a été identifié :

Après vingt années d’absence, Ulysse rentre chez lui sous les oripeaux d’un mendiant. Les gens de sa maison – Pénélope en tête – se laissent berner par le déguisement. Seul Argos, son fidèle chien, quasiment aveugle et complètement sourd, reconnaît le héros. La bête rend son dernier souffle heureuse d’avoir vécu assez longtemps pour accueillir son maître.

Kevin A. Sburne, professeur en prospective à Berkeley, analyse pour nous cet asset : “John Wick l’a prouvé : les chiens catalysent très bien les affects. On peut donc s’attendre à ce que cette démonstration de loyauté canine et la réaction bouleversée d’Ulysse génèrent une concentration de pathos suffisante pour libérer les glandes lacrymales hypertrophiées depuis onze ans.
Autrement dit, en fendant le cœur des spectateurs les plus endurcis, cette séquence serait en mesure de purger le débat public de toute toxine durant plusieurs années. Une fois cette échéance expirée, restera à s’assurer que Sir Christopher Nolan puisse livrer ses précieuses catharsis sur le long terme. K. A. Sburne se veut confiant : “Dans la Silicone Valley, les ingénieurs cherchent à émuler son cerveau dans des ordinateurs quantiques. Grâce à leur puissance de calcul, on sera bientôt capable de générer des récits nolaniens à volonté.  Des histoires dans lesquelles les hommes pourront s’émouvoir jusqu’aux larmes sans avoir honte de leur vulnérabilité.”

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