(C) Alex Delamadeleine

A 45 ans, et loin des tromboscopes, la bruyamment discrète Chloé Thévenin continue d’irradier les ombres de son talent. Exit le Pulp, exit le dancefloor ; il est ici question de mettre en musique le film de Laurent Cantet, et le résultat à l’image de la femme derrière l’ordinateur : pointu sans être élitiste, mélodique et tout en nuances.

Avez-vous déjà remarqué comme on aime pointer l’âge des musiciennes, quand bien même les hommes, passé un certain âge, ne se voient pas rappeler à tout bout de champ le nombre de ridules au coin des yeux ? C’est certainement là l’une des dernières barrières à faire tomber pour ce qu’on appelle aujourd’hui l’égalité femmes-hommes et certainement que Chloé s’en tape comme on jouerait au ping pong avec une paire de gros bonbons dans un slip.

Elle peut. A 45 ans, donc, la productrice, DJ et surtout compositrice (un autre terme qu’on a, cette fois, du mal à accoler aux musiciennes souvent réduites au rôle de chanteuse) a tout gagné ou presque. Le respect, d’abord, pour ses sets un peu partout ; puis la consécration critique avec son album « Endless Revisions » (2017) ; puis le droit à l’immortalité, maintenant qu’elle a allègrement passé l’âge fatidique au-delà duquel elle aurait dû rejoindre le cimetière du BPM.
Il semblerait même que, le temps passant, Chloé accélère. Pas le tempo, mais la cadence. Sur son propre label Lumière Noire d’abord, où ont été signés successivement Il Est Vilaine, Bajram Bili ou plus récemment Destino, et puis pour elle-même ensuite, avec une diversité de sorties qui devrait plonger dans le coma tout journaliste refusant de comprendre qu’on peut être « musicien électronique » et malgré tout savoir enquiller plus de trois notes sans un arpeggiator.

Pas besoin de crier « Adrieeeeeene »

Les cinéphile les plus « aguerris » auront saisis la référence à la saga incarnée par Sylvester Stallone, et autant dire que le film Arthur Rambo, où Chloé s’est cachée pour la musique, n’a strictement rien à voir. Pas d’hélicoptère, pas de napalm, pas de mort. Pas physiquement du moins. Dans le long-métrage de Laurent Cantet, il est question de Karim, un jeune Français issu des banlieues à qui le succès littéraire sourit jusqu’à la découverte d’un compte caché où ce dernier bombarde tout le monde d’insultes tantôt misogynes, tantôt racistes. Des faits qui ne sont pas sans rappeler le parcours (réel) de Vivi, un participant de l’émission The Voice promis à un bel avenir avant qu’il ne soit lui-même rattrapé par son passé sur les réseaux sociaux. On s’arrêtera là pour les comparatifs ; les exemples sont hélas actuellement trop nombreux; au point qu’on ne sait plus très bien quel artiste dispose encore d’un casier vierge aux yeux des social justice warriors.

En jouant sur les ambiances lourdes et synthétiques, dans un registre similaire à celui de Sebastien Chenut de Scratch Massive sur la B.O. du docu sur DSK, Chloé sublime à sa façon un drame tristement ordinaire (la chute brutale d’un homme brûlé par les réseaux sociaux), sans clichés, sans tatapoum et en ayant eu l’intelligence de s’associer à un autre Français impossible à mettre dans une boite, Gaspar Claus. Ensemble, les deux taiseux concilient violoncelles et boites à rythmes dans le respect le plus noble des soundtracks grande époque (quand il y avait des moyens attribués à ce poste clef du cinéma) et le résultat électroacoustique est tel qu’on ne sait plus trop, à l’écoute, si l’on écoute la suite de « Endless Revisions », une musique de film ou un album tout court ou, pour mettre les pieds dans le plat, la B.O. du Grand Bleu revisitée par Massive Attack.

C’est avec cette impression de disque sous-marin que Chloé une nouvelle bande-son assez grande pour être écoutée sans les images, et que celle qui vient de rhabiller musicalement France Culture prouve qu’on est encore loin d’en avoir fini avec ses grands yeux, bleus eux aussi. Le 14 février est également prévu une autre B.O. par Thévenin ; celle du spectacle Counting stars with you (musiques femmes) de Maud Le Pladec.

De quoi étoffer encore un peu plus sa page Discogs, douze ans après avoir été vite fait nommée aux Victoires de la musique pour son deuxième album « One in Other ». A 45 ans, pardon d’insister sur ce point, Chloé mériterait vraiment plus qu’une simple nomination. Que le jury du prix s’en rappelle l’an prochain, en revisionnant le coup de gueule de Laurent Garnier aux Victoires de 1998, rappelant aux vieux croulants que la musique électronique n’était pas qu’une question de boutons clignotants et d’abrutis en fringues fluos. Qui pourra dire, après ça, que ce n’était pas sa guerre ?

 

 

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