Le rock à la française ? La plupart du temps, une vaste blague surmédiatisée qui dure le temps de deux albums, dans le meilleur des cas. Cheveu en est au troisième et n’a toujours trouvé ni la pédale de frein, ni celle du son clair. Hirsute, mal peigné, malin, déjanté, mélodique, drôle, accrocheur, direct, fédérateur et barge à la marge : Messieurs les enfants du rock, l'album« BUM » à paraitre le 4 février chez Born Bad est fait pour vous.

« T’es pas un peu jeune pour être ici, toi ? » David Lemoine a beau déballer ses tripes dans son shure, le menton rentré dans les épaules tandis que lui, Étienne Nicolas et Olivier Demeaux défouraillent ce punk rock naïf, il n’en reste pas moins conscient qu’en général les prestations de Cheveu ne sont pas vraiment tout-public. C’est pourtant à un enfant de 10 ans, assoupi dans le canapé d’une cuisine transformée en loges, que sa question s’adresse. La scène se passe quelque part à Tournai, dans une maison coincée entre une usine et la gare. Il est tard, c’est l’hiver. Au mur, des têtes d’animaux empaillées, quelques néons et tout autour, l’internationale du public indé local qui s’enfile, je vous le donne en « Mille », des bières. Vient la fin du concert. Direction les loges, donc. Et cette rencontre fortuite entre un enfant d’un 1,90 m pour qui le mot « débraillé » semble avoir été inventé, et un élève de CM1. Ceci dit, une fois sa question posée, le chanteur de Cheveu passe à autre chose, enlève son pull et se fout torse-nu. Parce que faire monter le thermostat d’une salle de blancs becs en manque d’à peu près tout, ça refile des sueurs.

Deux ans plus tard, Cheveu sort « BUM ». Le garçon de 10 ans en a maintenant 12, et il « aime bien quand il fait ces trucs avec sa voix ». Il demande qui c’est. C’est le gars qui t’a demandé ce que tu foutais dans ses loges, mon chéri.

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Tubes mal peignés

Soyons lucides deux minutes – on piétinera sa discothèque en gueulant des No futur plus tard –, depuis ses débuts en 2008, Cheveu n’est pas ce qu’on appelle un groupe mainstream. Dieu sait pourtant que les frontières ont pris des rides, que l’indé est en train de devenir la norme – comme le rappelait ici peu les copains de The Drone – et que notre trio frenchy a sorti un truc un peu plus pop il y a trois ans (« Mille »).  Mais bon, ça ne les a pas envoyés en une de tous les magazines spécialisés pour autant, personne ne les a vus à la télé. Depuis la tour d’ivoire d’où on a choisi de regarder mourir la pop à papa, on dira que c’est plutôt bon signe. Et, non, ça n’est pas la tour des snobs. Qui se trouve juste en face. Merci d’aller y réserver votre carré lougne et y crever d’ennui si 3 sur l’ampli, c’est déjà trop fort pour vous.

Cheveu, jusqu’à présent, c’était donc un putain de très bon groupe inclassable, sans pour autant pouvoir y coller l’étiquette « audible » de rigueur dans les rassemblements musicaux. Il se pourrait qu’avec « BUM », ça change. Bientôt la couv des Inrocks ? Tout doux, tout doux… On plaisante, hein. On est en France. Pays où la plupart des gens ont juste envie d’attendre leur tour à la caisse du supermarché en espérant Avoir de la chance.

Le bon sens voudrait pourtant que les spécialistes se soient déjà emparés de ce trio qui, à bien y regarder, est foutrement accessible. Cinglé, mais accessible. Ici, pas de bridges incessants, pas de pouich pouich de synthé tournés vers l’espace, pas de posture intellectuelle ni de contretemps censés dire combien ils sont malins. Leur binaire s’adresse, sinon au bas-ventre, tout du moins aux tripes, merci pour elles. Plus non négligeable, ils chantent… en français. Pas toujours, OK, mais quand même. « T’enlèves pas ton manteau / Tu vas manger comme ça / Ca fait pas très intime / T’as même l’air en visite / Oui, mais j’ai froid / Je débarque, je repars / L’enlever, pour quoi faire ? / On est tous en visite »… Avouez que ça n’est pas très sorcier, quand même. La suite est un peu plus corsée, on en convient. Chœurs perdus dans la nuit, hurlements entre cauchemar, cantatrice de poubelle et refrain de marin bourré. Mais enfin. Ca n’est pas du chinois. Et puis Cheveu a de l’humour : Juan in a Million, c’est drôle, comme titre de chanson, non ? Ca fait taca poum taca poum presque tout du long et on y trouve même une mélodie pour ne pas se perdre. Restez, restez. Ca ne fait que commencer.

« Monsieur Perrier »,  c’est fou

Bien sûr que non, les foules à dix mille zouaves ne se monteront jamais dessus pour aller toucher les converse de David Lemoine ; l’hystérie collective devrait leur être épargnée. Quel dommage. Qu’est-ce que ce serait chouette, un stade beuglant avec eux sur Johnny Hurry Up, la tignasse de travers, la bouche en grimace et le regard tourné vers rien. Rien d’autre que le dedans de soi, rien d’autre que le bouton ON de la folie ordinaire enclenché pour de vrai, pour trois minutes, pour trois accords, pour trois fois rien. Quel refrain, punaise ! A continuer un moment de jouer aux cow-boys et aux indiens. On a bien le temps de retourner vivre sagement dans nos réserves. « Jonnhy Hurry hurry up ! »

Parce qu’il faut quand même le dire : avec Cheveu, on tient un des meilleurs groupes de rock français actuels. Oui, je suis sérieux. Si tant est qu’on considère le genre comme une usine à volcan avec des zigotos éructant en son cœur, une guitare en bandoulière et tous les sens de travers. C’est donc sans aucun snobisme, encore une fois, qu’on installera Cheveu sur le podium des pop songs branchées sur le 220, de celles qu’on danse à l’instinct, à s’en briser la nuque et les genoux au besoin. N’allez pas me dire que c’est avec les singeries de Shaka Ponk et les poncifs de Skip The Use que vous allez lâcher prise. Si vous voulez vraiment perdre le contrôle, écoutez Slap And Shot. « On se cogne et on s’excite, de midi à minuit (…) on se cogne et on boit, on se cogne on s’excite ! » Le tout balancé au son d’un jerk punk qui sent la sueur. Les oreilles sensibles peuvent bien faire des manières, on appelle ça un tube.
Et de tubes, « BUM » en est rempli. Des tubes givrés, comme dit plus haut, mais des tubes quand même. Monsieur Perrier est fou, Blood And Gore, hirsute, Pirate Bay, presque programmable sur les ondes, Albinos, une écorchure articulée en gloubiboulga. Pas franchement adepte des circonvolutions de studio déroulées sur dix minutes, avec bridges à tous les étages, Cheveu t’en met plein la poire vite fait bien fait, bien fait pour toi. « J’adore cette chanson, elle s’appelle comment ? » Madame Pompidou, mon chéri.

Vous connaissez le refrain : on devrait rester des enfants toute notre vie. Rajoutons, ce ne devrait pas être du luxe, qu’il faudrait aller aux concerts de Cheveu pour au moins se souvenir que ça a été le cas. Pour tous les autres jours où ils ne passent pas dans votre ville, il y aura « BUM ».

Cheveu // BUM // Born Bad (sortie le 4 février)
Release Party à la Maroquinerie le 6 Février 

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6 commentaires

  1. Ils ont quand même fait la couverture de Noise et celle d’ Abus Dangereux, les Cheveu, ça fait déjà deux « magazines spécialisés », c’est pas si mal…

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