"Bad Music for Bad People", c'est le slogan de la boutique ouverte à Paris en 1999, année de mauvais cru pour le rock, et la musique en général. Quinze ans plus tard, Born Bad c'est aussi un label qui fournit les gamins en doses électriques, et c'est toujours la boutique, tenue d'une main de fer par Mark Adolph, batteur de Frustration, qui revient ici sur le métier de disquaire, job supposé être "le plus cool du monde".

IMG_2107 copy-1Avant même la boutique ouverte dans le quartier de Bastille à Paris, Born Bad c’est un nom déjà familier pour tous ceux qui ont écouté les compiles américaines du même titre, qui réunissent en six volumes le meilleur comme le plus absurde du son psycho, rockabilly et garage.
Certainement inspirés par cette esthétique de marlous à la Marlon Brando défoncé aux Cramps, Mark et ses deux associés se lancent au crépuscule des années 90, dans un business obscur visant un public de dégénérés de la musique sale, froide ou gueularde, punk, parfois malsaine… rock, bordel. La boutique tourne et refourgue du vinyle aux freaks de Paris et d‘ailleurs, puis, en 2002, Mark et d’autres potes décident de former leur propre groupe en référence à une chanson du groupe de punk anglais et méconnu Crisis : ils choisissent de s’appeller Frustration. Vendre des disques et jouer le soir, pas dégueux, la vie.

Et le pire dans cette histoire qui dure, c’est que ça ne va pas s’arrêter. En 2006, Jean-Baptiste Wizz quitte son CDI chez EMI [major depuis démantelée et revenue pour partie à Warner et Universal] avec l’envie de créer un label indépendant. Bon ami de Mark, il lui demande la permission d’utiliser le même nom que sa boutique. Born Bad, on ne peut rêver plus juste pour synthétiser l’esprit et la culture de cette musique. Deal, répond Mark. Born Bad, ce sera donc l’histoire de deux bons potes qui, en partageant un nom, créent une identité, un refuge, une mine d’or, et tout ça pour une poignée de moutons noirs, tous frères consanguins de la minuscule planète Born Bad. A l’approche des 15 ans célébrés par une sauterie à la Machine du Moulin Rouge avec Frustration – logique – mais aussi Kid Congo ou Shannon and The Clams, c’était donc l’occasion d’aller interroger Mark-Adolf sur ces quinze ans passés, puis de revenir sur le métier de disquaire qui, contrairement à ce qu’on pourrait penser, n’est pas exercé par un mec qui se contente de te vendre des disques alors que lui se vautre dedans toute la journée.

(C) Astrid Karoual
(C) Astrid Karoual

Le métier de disquaire indépendant, comme celui de libraire, sont des métiers dont on dit depuis des années qu’ils galèrent et dont la disparition est imminente. Ça a l’air de bien se passer pour vous. Est-ce que Born Bad est une exception ?

Marc : Oui, on est très peu en France à proposer des musiques de niches aussi pointues. Il y a Total Heaven à Bordeaux, ou Danger House à Lyon. Je crois aussi que le réseau compte beaucoup. Nous, on joue dans des groupes, on va aux concerts. Quand les gens viennent jouer à Paris, ils viennent au magasin qui est aussi un lieu de passage. Bref, on fait partie intégrante de la scène donc ça contribue sûrement à notre réussite. On est très actifs et tout le monde nous connaît. Je pense qu’on ne peut pas être disquaire et rester passif derrière son comptoir. Et puis la marque du label nous aide aussi. Quand notre pote J-B Wizz est venu nous demander en 2006 d’utiliser notre nom pour lancer son label, afin de profiter un peu de la bonne image dont on jouissait, on était partants. Au début, le magasin a porté le label et aujourd’hui, c’est l’inverse qui se passe. On était une exception parce que quand on a commencé, tous les disquaires fermaient leurs portes.

« Je doute que le grand public se remette à acheter du Johnny Halliday en 33 tours. »

À part le règne du numérique, qu’est-ce qui a changé en 15 ans, tant au niveau de la clientèle que des tendances musicales ?

Marc : Quand on a commencé, le rock garage n’était plus trop à la mode. Il y a eu une grosse scène garage fin 80’s début 90’s, avec le label Crypt notamment, qui signait des groupes comme les Mummies ou les Gories. Cette scène s’est essoufflée quand on est arrivés. On y avait juste consacré un petit rayon. À l’époque, c’était plus le punk rock et le hardcore (qui dépuis s’est cassé la gueule) qui marchaient. Mais il y a huit ou dix ans, le garage est revenu en force avec les Black Lips ou les White Stripes qui en ont été les fers de lances. Maintenant, tout est un peu garage. Ou psyché, ça redevient très à la mode aussi. Quant à la clientèle, j’ai l’impression qu’elle s’est rajeunie. Tu m’as l’air jeune ? Des gens comme toi, on en voit beaucoup qui achètent du vinyle et j’ai souvenir qu’avant, ils étaient plus portés sur le CD.

(C) Astrid Karoual
(C) Astrid Karoual

La musique que tu vends, elle est écoutée par un microcosme de personnes qui se connaissent toutes… Est-ce parce qu’elle n’est pas accessible selon toi?

Marc : Le label a essayé d’ouvrir ces groupes de garage français à un plus large public. Je pense qu’aujourd’hui en France, il y a plus de monde qui en écoute mais ça restera quand même dans les niches musicales. En ce moment, le label essaie de s’ouvrir à des sons plus pop avec Dorian Pimpernel ou Julien Gasc. On tente l’ouverture. C’est risqué, il y aura forcément des intégristes qui viendront critiquer. Moi je trouve qu’il faut s’ouvrir, ne pas écouter la même musique toute sa vie. Mes goûts musicaux ont énormément évolués, j’ai un peu plus de 40 ans et voilà, je trouve qu’il faut faire partager. On n’écoute pas la même musique à 20 ans qu’à 40 ans. Je pense que les jeunes sont beaucoup plus ouverts, ils sont capables de mélanger les styles comme le garage et la cold wave par exemple. On ne faisait pas ça à l’époque.

« Être disquaire, c’est un peu le rêve de tout le monde »

Votre concurrence à Paris, elle existe ou vous avez le monopole absolu ?

Marc : Depuis un an, de nombreux disquaires s’ouvrent. La concurrence devient rude. Ils sont très bons et même s’ils sont spécialisés dans d’autres styles, ils piochent un peu dans le notre, alors on ne doit pas se laisser aller. On doit travailler dur parce qu’on fait désormais partie des plus vieux, des bien établis, donc pas question de nous reposer sur nos lauriers. On veut relever ce challenge sur les années à venir. Je pense que des disquaires comme Pop Culture ou Fargo sont là pour rester. Après, il y a en aussi plein qui se sont ouverts mais qui ne font pas de neuf. C’est peut-être des gars entre 40 et 50 ans qui ne savaient pas quoi faire de leur vie, alors ils se sont dits qu’ils allaient commencer par vendre leur collection. Sauf que parfois, j’entends des prix hallucinants alors qu’ils ne font que du vieux ! Je ne crois qu’ils vont durer très longtemps.

En même temps on les comprend, on est nombreux à penser que le métier de disquaire fait partie des plus cools qui soient. Raconte-moi une journée-type, histoire de casser le mythe.

Marc : Ouais…c’est un peu le rêve de tout le monde, c’est vrai. On se dit qu’on va écouter des disques toutes la journée et discuter avec les potes qui passent au magasin. Sauf que… les disques n’arrivent pas tout seuls dans les bacs ! C’est énormément de travail, pas juste huit heures passées derrière sa caisse. Il faut tout le temps checker tes bacs, tu as tout le travail de comptabilité et puis surtout, le relationnel avec les clients. C’est important de savoir ce que chacun aime pour pouvoir le conseiller et pour ça, il faut avoir une bonne base, une identité forte. Si tu connais très bien ce que tu vends, tu conseilles forcément mieux. Tu passes beaucoup de temps sur les commandes. Souvent, il y a les mordus qui sont toujours au courant avant toi du truc qui va sortir tel jour, donc ils te préviennent ! Sinon, oui j’écoute de la musique en travaillant, mais pas nécessairement celle dont j’ai envie. Le truc incroyable, c’est que je n’ai pas le temps d’écouter tout ce que je reçois, donc c’est un peu la… frustration.

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Depuis quelques temps, on nous rebat les oreilles avec le « boum du vinyle », est-ce que c’est un phénomène que tu as ressenti ?

Marc : Pas vraiment non, puisque le magasin a marché tout de suite (ou presque) et qu’on a toujours fait du vinyle. Quand le CD est arrivé, ça ne m’a pas parlé. Ceux qui, comme moi, ont été jeunes dans les années 1980 et qui ont revendu leur collection pour acheter des CD le regrettent maintenant… On ne parle du retour du vinyle que depuis deux ans, mais l’attrait pour le vinyle a toujours existé dans les niches spécialisées. Je ne dirais pas que c’est le retour du vinyle, mais plutôt que c’est le CD s’est cassé la gueule ; c’est pas tout à fait pareil. Nous, on en vendait pas mal et avec le déménagement (la boutique est passée de la rue Keller à la rue Saint-Sabin, NDLR), on a considérablement réduit notre bac. Mais en terme de production de vinyles en France, il ne reste que MPO [une usine de pressage, NDR], et ils n’en produisent pas plus qu’avant. Des gens comme nous, passionnés, c’est sûr qu’on en achète plein, mais c’est des petits labels et des petits pressages. Je doute que le grand public se remette à acheter du Johnny Halliday en 33 tours… Bref, pour nous, c’est pas un boum mais une continuité.

Le numérique ne vous a finalement pas touché, puisque le vinyle était déjà à la marge du marché ?

Marc : Très légèrement, mais franchement ça nous a plutôt facilit& le travail au quotidien. Avant, quand tu commandais, tu faisais ça un peu au flair…Tu faisais confiance parce que machin avait joué dans tel groupe mais parfois, le disque arrivait et puis ça s’avérait nul. Bon, ce qu’il y a de bien avec un disque, c’est que tu arriveras toujours à le vendre, peu importe le temps que ça prend. Mais maintenant c’est plus simple : t’écoutes sur Internet et tu fais tes choix, après, tu glisses une vignette de téléchargement dans le disque et puis voilà !

Dans ce que tu as pu écouter, quelle est ta dernière meilleure livraison ?

Marc : Ausmuteants (chez Goner records), un groupe d’Australiens qui font du synthé-punk vraiment bien. Sinon, il y Dreamsalon (Captcha records) dont un des gars est un ex-A-Frames. Mais en ce moment c’est la folie, c’est très dur pour les bons clients et leurs porte-monnaie parce qu’on reçoit vraiment des tonnes de bons trucs.

Festival Born Bad,  le 30 mai 2014 à la Machine du Moulin Rouge
Avec : Frustration, Kid Congo, Shannon and The Clams

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