« Beak have very strict guidelines governing the writing and recording process of their work. The album was recorded live in one room with no overdubs or repair, only using edits to create arrangements. All tracks were written over a 12 day session in SOA studios, Bristol, England ».
Voilà le manifeste au dos de la pochette du cd promo. Le décor est posé. Beak est le nouveau groupe de Geoff Barrow, tête pensante de Portishead, dont l’intégrité n’est plus à prouver et qui, jusqu’à preuve du contraire, n’a jamais sorti un mauvais album. Don’t acte.
De cet album, des contraintes jaillissent les fulgurances, la spontanéité défonce les productions bien léchées, la rigueur incite à la raideur rythmique et les synthés analogiques instables confinent à la folie. Beak est simplement l’un des meilleurs trip post kraut qu’il m’ait été donné d’entendre ces dernières années. Une monotonie monophonique et répétitive qui altère la vision que l’on a des gens ou d’un paysage. Ecoutez cet album au milieu d’une foule, seul la nuit ou dans un train et vous serez submergé par ce trou noir tour à tour apaisant et effrayant de la proto modernité.
Une musique impressionnante par sa nudité, au rendu impressionniste, qui défie sur leur terrain les pyrotechnies de pacotille des enfants du prog manipulant 72 pistes et les albums de post rockeux aussi chiants que leur hygiène corporelle si parfaite. En somme, il est permis de voir en Beak l’un des bâtards prodigues que les fans de Neu! attendaient.
Bien sûr, les structures des morceaux sont progressives ou plutôt évolutives, comme un corpus génétiquement modifié. On n’est pas si éloigné de la dépression en barre des dernières productions, au hasard, de Radiohead, mais là où la boucle semble bouclée chez les Droopy d’Oxford, l’aspect ascétique et expérimental du trio de Bristol donne envie de connaître la suite, de voyager lentement comme Bowman dans 2001 vers cette chambre étrange au futur empreint de passé.
La grande force de beak, hormis son cahier des charges digne du Dogme, c’est cette capacité à faire entrevoir une faille spatio-temporelle avec des instruments et des procédés du siècle dernier. Une voix planquée dans le mix convoque l’esprit halluciné de Damo Suzuki de Can noyée dans la reverb. On n’a beau ne piper mot de ces paroles, et bien que personne n’ait quelconque idée de ce que ce garçon raconte, on sait que la matière sonore prend le pas sur le propos, tel un esprit chamanique.
Et puis il y a ce son de batterie, à cent mille lieux des prises de sons chirurgicales gonflées aux testostérones pendant le mix que l’on entend trop souvent.
Un son aussi métronomique que vivant avec des toms à l’étouffée et une caisse claire qui pour une fois ne semble pas sortir d’un groupe d’alterno festif. La cadence, sèche comme la mer d’Aral, parfois même martiale (Dundry Hill) et les basses glaciales, dronatiques, sont les piliers de ce groupe qui a vraiment intégré ce bon vieil adage du qui peut le plus, peut le moins.
Parfois, le groupe assouvi son penchant pour une ambiance plus mystique avec The Cornubia aux frontières de la dark psychédélique avec sa basse post rock de bon goût. Parfois, une myriade de synthés analogiques peuplent les pistes passant tous les registres en vue, des arpeggi minimalistes de la fin des 70’s jusqu’aux arabesques de Rick Wright dans la première mouture de Floyd (Backwell). Des orgues fous déchirent les schémas rythmiques dans un savant mélange de free jazz et d’électroacoustique.
Cet album sobrement intitulé Recordings 05/01/09 ˃ 17/01/09 est la preuve par trio qu’il est encore possible de poster une musique radicale et passionnante depuis Bristol alors que le monde du rock (indé) des années 2000 aura été squatté par des suceurs (de roue) et des vampires de styles habillés en slim.
Beak // Recordings 05/01/09 > 17/01/09 // Invada (Differ-ant)
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