(C) Romulo

Fidèle à ses principes, le Français S8jfou publie son nouvel album « Op·écho » gratuitement sur le web. Un disque pour lequel il a seulement utilisé deux outils d’Ableton. Et le pire c’est que c’est probablement ce qu’il a fait de mieux. 

J’ai un beau-frère redoutable au ping-pong. Il est tellement fort que, même en jouant avec sa mauvaise main – la gauche en l’occurrence – il arrive à me mettre des raclées monumentales. C’est l’avantage quand on bénéficie d’une grande maîtrise dans certains domaines : on peut se permettre de se fixer des contraintes, ce qui doit rendre la réussite probablement encore plus satisfaisante. C’est un peu comme quand Stanley Kubrick s’imposait d’éclairer les scènes obscures de Barry Lyndon uniquement à la bougie, quand Maradona gagnait tout en continuant à se massacrer à la coke ou, pour se rapprocher un peu plus du sujet, quand Aphex Twin sortait un EP en se servant seulement du synthétiseur des années 90 Cheetah MS800, réputé comme étant l’un des pires à programmer de tous les temps.

Ça fait quand même beaucoup de métaphores bancales pour évoquer le nouvel album du jeune français S8jfou, deux ans après l’impeccable « Cynism » composé dans sa cabane dans la forêt. Ce personnage atypique, comme on le dirait d’un appart biscornu de 12m2 dans le milieu de l’immobilier macroniste, a donc choisi de se fixer une ligne de conduite drastique pour son nouveau disque : il a uniquement utilisé deux plugins du fameux logiciel Ableton, le synthétiseur Operator et le delay Echo qu’il juge « sous-estimés » pour les pousser au maximum de leurs possibilités. « Le genre de défi qui me plaît bien », comme il nous le confiait il y a un an et demi. C’est une démarche déjà amorcée sur son précédent album avec le titre Analog Things. A savoir qu’on peut tout à fait faire sonner le numérique comme de l’analogique, ce qu’il est bien placé pour savoir puisqu’il a un temps créé lui-même ses propres synthés modulaires avec du bois et son fer à souder.

(C) Romulo

Pendant qu’il se construisait un voilier en Bretagne, il s’est ainsi isolé pour composer de toutes pièces « Op·écho ». Autant le dire tout de suite : le défi est largement relevé et il y a ajouté suffisamment de vie et d’émotions pour échapper au piège de la simple démonstration technique. Si le projet pouvait paraître un peu casse-gueule au départ et qu’il y a forcément une certaine uniformité dans les sonorités, les différentes variétés rythmiques et thématiques empêchent toute forme d’ennui. Peut-être moins mélodieux que son prédécesseur « Cynism » et sa trompette bienvenue, « Op·écho » gagne en profondeur et, paradoxalement, le son apparaît plus pur, voire plus travaillé.

L’héritage IDM anglo-saxon est toujours clairement présent avec des breakbeats dignes de 1995 et des plus belles heures de la drill’n’bass (Circuit, phase), entrecoupés de plages ambient renvoyant au Autechre période « Amber » ou le U-ziq le plus calme sur Character ou le très bel intermède Lines. Et si la mélancolie présente dans Influences pourrait rappeler celle de l’Italien Alessandro Cortini, S8jfou de par sa démarche purement idiosyncrasique se détache finalement assez facilement de ses influences, justement. Jusqu’à trouver sa voie sur Waves en soufflant le chaud et le froid ou l’impressionnant Coarse : plus belle réussite du disque et meilleur exemple du projet initial de faire sonner Ableton comme si c’était un synthé modulaire trafiqué par un allemand en sarouel en 1976 qui en sortirait des nappes inquiétantes du cyber-futur.

Au-delà de cet album totalement remarquable dans le paysage électronique français de la part d’un artiste dont on doit être fier, il est amusant de constater que l’IDM des années 90 est désormais devenue une influence importante de l‘époque au même titre que le shoegaze ou le post punk. J’en place d’ailleurs une pour Brainwaltzera que j’avais totalement raté et que j’ai découvert grâce à ce formidable outil de recommandation musicale qu’est devenu Twitter.

Extirpé de Soundcloud en 2015 grâce à un commentaire élogieux du fameux user18081971 dont on sait désormais qu’il s’agissait de Richard D. James (Aphex Twin), ce producteur mystérieux a publié en mai dernier un album épatant (« ITSAME »). Près d’une heure quinze de musique électronique sous forme de synthèse et d’hommage dans toutes ses variantes (breakbeat, ambient, drum’n’bass, techno…) à ce genre musical popularisé notamment par le label Warp et qui n’a finalement jamais vraiment disparu depuis près de 30 ans. Personne ne sait qui il est et beaucoup se demandent si ce ne serait pas un héros de l’époque comme Mike Paradinas (U-Ziq), Luke Vibert, Squarepusher ou justement Aphex Twin. On y revient, encore et toujours.

S8jfou //Op·écho // Parapente Music
https://www.s8jfou.com

A revoir : notre reportage sur l’île de Ouessant pour le festival Diskoutal, avec notamment S8jfou.

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