Les rockers en perfecto trouvent le reggae dégueulasse? Pas de chance pour eux: à travers deux compilations érudites, le sorcier anglais Adrian Sherwood réconcilie les fans des Clashs, Prince et Sisters of Mercy.

8 Novembre 1978. La scène se déroule au Studio Museum of Harlem. Invité pour un discours, l’écrivain noir et militant de science-fiction Samuel Delany, prononce ces mots: « Nous avons besoin d’images du futur et notre peuple en a besoin plus que tout ». Ce speech donne naissance au mouvement afro-futuriste, qui part d’un constat simple: si les afro-américains ont toujours été absents de l’imaginaire sci-fi, comment peuvent-ils se transposer mentalement dans le futur? Ce n’est pas pour rien que l’année 1978 marque le commencement d’une flamboyante affirmation noire dans la culture pop: George Clinton, Grace Jones ou Herbie Hancock, pour les valeurs sûres. Ou encore Gil Scott-Heron avec ses paroles lourdes de sens sur la track futuriste 1980: « Space is the place/but you stuck on the ground ». Au début des années 80, c’est le mouvement électro-hip hop qui prend le relais avec des artistes dingues tels que Death Comet Crew, Egyptian Lover ou le Jozun Crew. C’est aussi la révolution dans les comics book avec l’apparition des premiers super-héros noirs: Black Lightening, Luke Cage ou Tyroc.

Au cinéma, le film de John Sayles, The Brother From Another Planet (1984), fait grande impression, et dans un registre plus arty, on peut citer Born In Flames (1983) de Lizzie Borden, de la sci-fi féministe militante.La consécration arrive en 1986 : on retrouve Samuel Delany, notre prophète de l’Afro-futurisme, en plein travail avec William Burroughs sur une adaptation ciné du Neuromancer de Gibson. Quant à l ‘Angleterre, ils n’ont pas Stevie Wonder, mais ils ont … le reggae.

Adrian Sherwood et Bim Sherman
Adrian Sherwood et Bim Sherman

Les nombreux artistes issus de l’immigration jamaïcaine déversent leur Sound-system aux basses subatomiques et s’associent avec des petits punks blancs trop maigres. Le producteur Adrian Sherwood est l’un d’eux : il a tout vu et tout connu. Dès 1980, il crée le label On U Sound Records pour rendre compte de la vivacité et de l’essor artistique de la scène anglaise.

En 2016,on n’a toujours pas fini de redécouvrir ces pépites-pour-le-gouter qui dorment dans les armoires du label. Après la superbe compilation Science fiction Dancehall Classics, c’est Sherwood himself qui nous invite à monter dans sa DeLorean post-punk. La bonne nouvelle, c’est que l’on peut fumer à l’intérieur. Le premier volume de ‘Adrian Sherwood At The Controls’ étant sorti l’année dernière dans un silence médiatique gênant, on profite de l’arrivée du deuxième volet de la série pour revenir sur ces must have.

The Guns Of Brixton

«When they kick at your front door / How you gonna come? ». Le premier tome s’ouvre avec des mecs abandonnés sur l’aire d’autoroute qui mène au succès: Medium Medium. Ça traine son spleen de blank génération, saxophone à la James White en bandoulière, en hurlant: « On est affamés/on est en putain de colère ». Punk?

Plus loin c’est l’énigmatique Nadjma, une suisso-irakienne qui propose une EBM new-wave issue de son seul et unique disque sorti en 1984, ‘Rapture in Baghdad’. Nadjma, petit oiseau enfermé dans sa cage de cristal, attend le jour où son calife viendra la sauver. Qu’est devenue cette jeune princesse électronique d’une vingtaine d’années? Personne ne peut le dire, mais en 84 on retrouve déjà un Sherwood défoncé et aviné derrière la console.

Au rayon défonce toujours: Mark Stewart échappé de The Pop Group qui collabore avec le sorcier anglais dans un sound system de hooligans remplis de samples à la Brion Gysin. On continue de déambuler dans la compilation au son de valeurs sûres telles que ces tarés de The Fall qui semblent gratter leur cordes de guitares avec une lame de cutter. Quoi d’autre?

Voice Of Authority par exemple, un des nombreux projets musicaux de Sherwood: ligne claire, voix blanche new-wave encore et 1984 au compteur. Puis vient le tour des punks féministes de The Slits qui reprennent le rocksteady des Parangons de 1968. Horace Andy chantait déjà ce morceau produit brumeusement par King Tuby (avant Massive Attack, oui, mais on s’en branle de Massive Attack). Devant ce voisin bruyant, ce Man Next Door qui cogne aux murs et se plaint de la musique, les Slits nous racontent qu’elles veulent s’en aller et trouver un endroit plus bruyant encore.

Puis Tonton Sherwood sort sa lampe de poche pour exhumer un morceau de la mystérieuse Annie Anxiety, artiste newyorkaise arty du début 80’s: chanteuse, poétesse et peintre. Elle apparaît sur la scène underground anglaise dans l’entourage du groupe punko-arnarchiste Crass, collabore avec Lee Scratch Perry, Coil ou encore le Gun Club. Elle réalise ce disque dingue produit par Sherwood en 1984, ‘Soul Possession’.

Tiens, entre deux dubplates de reggae on croise aussi Vivienne Goldman et son Private Armies Dub, sorti en 1981. Il s’agit de son unique album, produit par Sherwood et John Lydon; et il faut se rappeler que Goldman est alors aux premières loges de l’aventure punk grâce à ses papiers dans le NME et Melody Maker.

Bref, vous l’aurez compris: c’est du high level. Et pire que tout, la compilation n’est jamais chiante. Je précise cela pour les fans d’Eric Clapton qui n’aiment pas le reggae: ce disque permet d’approcher cette culture anglaise par son côté new-wave, et de voir le lien entre les deux sans être obligé de citer les Clashs. Sinon, vous avez encore de la place pour le dessert?

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Crédit : Gerard Love

Just One Fix

Pourquoi cette fascination pour le cuir? Quand on a interrogé Vince Taylor en 1962 sur son costume de scène, il a lâché : «on ne chante pas la fureur de vivre en tricot de flanelle, voyez-vous».

Ce deuxième volume fait donc la part belle au cyberpunk : exit les petites punkettes blanches avec un collier de chien, ici on navigue dans une scène musicale fin 80-début 90 qui flirte avec l’EBM et l’Indus’ la plus malsaine. C’est donc beaucoup plus martial et les cheveux sont coupés courts autour des oreilles.

On peut y observer des groupes métal-batards comme KMFDM qui nous rappellent l’époque, avant les Pokémons, où il existait des clubs goths. Les morceaux de cette compilation sont le plus souvent issus de faces B vaguement dance, mais qui sentent toujours les Rangers cloutées,destinés à être jouées entre deux Bauhaus et Sister of Mercy dans ces drôles de discothèques. Imaginez une version disco de Christian Death: funk gothique, Creepers en daim et mascara. Des groupes EBM qui veulent réunir Depeche Mode et Black Sabbath. Un peu comme ces italiens de Pankow, qui nous offrent cette obscure reprise du Girls and boys de Prince.

https://youtu.be/x1dpRiSnW7g

On quitte le carcan étriqué de l’Europe, on voit bigger : cela nous donne cette collaboration avec Ministry. On parle bien du Ministry new-wave du début, celui du magnifique ‘With Simpathy’ de 1983. Sherwood a bossé sur les deux premiers disques du groupe, mais aussi sur les tous premiers Nine Inch Nails (pour des questions de droit, On U Sound n’a pas pu insérer de morceaux de NIN et Sherwood sur la compilation).

On assiste ici à une mutation du punk: c’est bondage arty, ambiance Démonia, cuir noir brûlant et brillant tel la saisissante sensation du contact d’une fermeture éclair glacée sur ton cul. Le disque est rempli d’une armée de mercenaires, sorte de replicants neü-wave, habillés de mitaines et célébrant le culte d’Heinrich Cornélius : rampant, servile et suintant, devant le dieu Baal. C’est aussi le grand frisson d’un tour en bagnole avec le serial killer Richard Ramirez. Ce tueur satanique, surnommé Night stalker par les tabloids, qui arpentait les rues crasseuses, humides du Los Angeles de 1985, au son de Night Prowler d’ACDC, à la recherche de victimes nubiles à découper au cran d’arrêt.

Question: si je suis fan d’Eric Clapton, ces compilations sont-elles pour moi?

Et bien, on est face de deux compilations qui se complètent à merveille et nous documentent sur deux moments de l’histoire de la pop culture, à la loupe d’Adrian Sherwood. Pour résumer, souvenez-vous de la pub eighties pour les sirop Tesseire :

– le premier volume est semblable au sirop sport fraise-grenadine, pour les gamines » : plus accessible, du reggae pour les lecteurs blancs à lunettes de Magic ou d’autres trucs qui auraient pu sortir sur le label Factory.

– le deuxième disque, lui, est plutôt « sirop sport fraise, pour les balaises »: EBM en slip, Dub industriel, dance gothique, la rencontre de UB 40 et de Frankie Goes To Hollywood.

Adrian Sherwood // Compilations At The Control Vol 1 et 2 / On U Sound Records (Differ-Ant)

8 commentaires

  1. Le dj tour management avait un PERF! en 8O, il a sorti 2/3 compils aussi ou l’on peut voir sa tronche & il devait être ‘friend’ du Sherwood.

    1. Dézo mais l’emploi des mots bobo et LOL est fermement condamné par la loi depuis 2002. Trouvez autre chose quoi, un truc plus personnel, moins stéréotypé : be yourself.

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