Vous avez remarqué comme les interview d’écrivains français sont ennuyeuses, et surtout photocopiées sur on ne sait quel modèle, tiré du cerveau bourbeux des journalistes de la

Vous avez remarqué comme les interview d’écrivains français sont ennuyeuses, et surtout photocopiées sur on ne sait quel modèle, tiré du cerveau bourbeux des journalistes de la presse culturelle ?

Combien de fois avez-vous lu les bouleversantes révélations suivantes:« Alors, j’aime surtout les auteurs anglo-saxons et les Sopranos et bien sûr Michel Houellebecq ou Pierre Guyotat mais pas trop la littérature française et sinon … ». STOP.

Bien sûr il arrive que Houellebecq parle de Chateaubriand et des Stooges, ou Virginie Despentes d’AC/DC, mais dans l’ensemble, c’est comme s’il y avait une conspiration de l’ennui, à cause de ce conformisme poussif qui imprègne les pages des journaux Alors pourquoi rencontrer Tristan Garcia, et son CV déjà épuisant : 27 ans, normalien, entrée fracassante à la NRF, Prix de Flore? Dans les dizaines de dossiers de presse photocopiés qu’on avait pu lire ici ou là, il disait pourtant bien la même chose que les autres. Une intuition ? Le désir d’en savoir plus ? Rendez-vous Porte de la Villette, pour éclaircir l’énigme. Au bout de trois minutes, on est rassuré : Tristan Garcia adore Melrose Place, se déclare ouvertement Mac Mahonien, et surtout, surtout ne veut plus parler de son livre. On peut commencer. (NDLR : Mac Mahoniens : tendance cinéphilique snob née dans les années 60, visant à détourner la ligne déjà officielle des Cahiers de la Nouvelle Vague).

Est-ce que tu pourrais nous parler de ta thèse de philo, j’ai vu que tu avais fait une thèse avec Alain Badiou ?

C’est ce disent les journalistes, mais c’est faux en fait, ce n’était pas avec lui. Mais bon c’est vrai que je fais partie des jeunes gens qui ont été marqués par ce qu’il a fait en métaphysique. D’une certaine manière, c’était le dernier à croire à la philosophie, après toute la toute la pensée française autour de la déconstruction; qui personnellement a fini par me saouler. Il faut le prendre comme Sartre, c’est son dernier disciple, Sartre qui tout en ayant écrit des conneries politiquement, était un excellent philosophe. Si, je trouve que Sartre en tant que philosophe est très sous estimé, mais bon c’est normal, c’est le creux de la vague. Sinon, ma thèse, c’est une thèse d’esthétique, autour du concept de représentation. J’essaie notamment de contester le grand lieu commun des études sur la modernité, à savoir : l’art contemporain présente des choses au lieu de les représenter. Et, je défends de façon assez optimiste l’art du XXème siècle en disant que, contrairement à ce qu’ont cru tous les intellectuels, le plus important dans l’art du XXème, ce n’était pas l’art contemporain, Warhol, Duchamp, Beuys, mais c’étaient au contraire les nouvelles formes de représentation, le plus souvent populaires, et qui viennent pour la plupart du XIXème siècle : la photographie, le cinéma, la science-fiction, le policier, la musique enregistrée, la télévision. Je suis assez méfiant envers l’art contemporain aujourd’hui, et en tous cas je pense que pour être vraiment moderne aujourd’hui, il faut arrêter d’être contemporain.

Back to basic maintenant. Parlons livres !

L’auteur qui m’a marqué adolescent, c’est Joyce. Tout Joyce : je suis de ceux qui lisent Finnegans Wake en entier, plusieurs fois de suite. Je le connaissais par cœur, je peux encore réciter la première phrase. Pour moi, c’est le dernier écrivain à avoir cru en la littérature au point d’en avoir fait quelque chose d’universel, d’encyclopédique, de vouloir y mettre le monde entier. Et je trouvais ça très beau, j’y croyais – et j’y crois- toujours un peu. Après j’ai une culture très classique de latiniste, j’aime beaucoup Tacite, les poètes comme Catulle, et de germaniste : j’aime Hans Henni Jahnn, Schiller, et comme tout le monde Thomas Mann, Musil, Doderer, toute cette période du roman germanique qui visait le roman total.

Et Walser ?

Non pas trop. J’ai un peu de mal avec la littérature de l’extinction, du silence.

Donc tu n’aimes pas trop Blanchot ?

Je déteste. Je trouve en plus qu’il a fait énormément de mal à toute une partie de la littérature française en la stérilisant. Il y a des gens qui ont littéralement arrêté d’écrire à cause de lui. Vraiment, ce qui m’a sauvé de Blanchot, ce sont les littératures populaires, comme la science fiction, ou le policier. Mais bon de manière générale, la littérature française, pas plus que ça en fait, ma grande passion c’est le polar et surtout la SF.

Tu as commencé par lire quoi en SF ?

J’en ai lu systématiquement, je ne lisais que ça quasiment à l’adolescence. Déjà, j’aime beaucoup la SF française, qui est très méconnue. Il y a ainsi toute une tradition, qui n’est plus trop éditée maintenant et un peu tombée dans l’oubli : des gens comme Rosny aîné, ou Messac, un type assez attachant, qui a fini tué par les nazis. Il a écrit un livre fantastique et complètement introuvable aujourd’hui : Le Detective Novel, qui est en quelque sorte l’histoire du roman policier, avant le roman policier. Il a écrit de la SF aussi, un mélange de SF et de fantastique qui se passe en province. En fait, la SF française, c’est vraiment bien, bien mieux que le polar français qui lui, a gagné au jeu de la reconnaissance: Daeninckx, Joncquet, ce sont des noms que tout le monde connaît. Les gauchistes auraient pu – comme ça s’est passé dans le monde anglo-saxon – s’emparer de la SF, mais ils ont préféré prendre le polar et le ruiner complètement.

Et la SF anglo-saxonne, alors ?

Ce qui m’a le plus marqué, c’est Cordwainer Smith, l’auteur de Les Seigneurs de l’instrumentalité. Il a inventé une manière de faire de la SF quasi mythologique sans science, qui ne soit pas dure, ni machiste, quelque chose qu’on trouvait chez Sturgeon par exemple. Et je trouve que c’est vraiment magnifique. Sinon, dans les auteurs plus contemporains, j’aime beaucoup les allemands : on ne le sait pas mais il y a toute une école allemande de la SF, qui est vraiment bien. Notamment, un auteur que j’aime beaucoup c’est Michael Marrak, avec un livre au nom affreux Lord Gamma, qui est un très beau roman à la K Dick.

Et en polar ?

Celui que j’aimais énormément, mais là il vient de mourir c’est Westlake, tout ! J’adore Dortmunder, c’est un des trucs qui me fait le plus rire au monde, je suis même allé jusqu’à voir l’adaptation avec Christophe Lambert. Sinon, j’aime bien le polar classique anglais, avant Agatha Christie : Anthony Berkeley, par exemple, un des premiers à avoir créé l’idée de suspense dans les années trente. Et sinon Crofts un type assez génial, qui a écrit Le tonneau, le roman préféré de Chabrol.

Bon puisqu’ on parle de Chabrol, on va reprendre notre conversation sur le cinéma, tu as commencé par aimer quoi ?

J’ai d’abord aimé des choses générationnelles, le cinéma américain des années 70, 80 : Spielberg, Lucas, Joe Dante. Mais ce qui a fondé ma cinéphilie c’est Dreyer, ça a été un choc quand je l’ai découvert. Le premier film ça a été Dies Irae, ensuite j’ai vu Gertrud, que j’ai mis plus de temps à aimer. Après j’aime aussi énormément Murnau et surtout Stroheim, Queen Kelly notamment, ou Greed.

Parle-nous de ta période Mac Mahonienne !

En effet, je me suis rendu compte que finalement, j’étais proche d’eux, même si je n’ai pas forcément d’affinités politiques avec eux, mais voilà j’ai énormément aimé Losey, Preminger, et Lang. Notamment, mon film préféré de tous les temps c’est Bunny Lake a disparu, de Preminger, qui est très difficile à trouver. Pour moi c’est comme Vertigo, une sorte de film absolu , qui tourne sur un enfant dont on ne sait pas s’il existe ou pas, un peu comme le personnage de Madeleine dans Vertigo.

Et Lang, alors ?

J’aime quasiment tout dans Lang. Aussi bien la période allemande qu’américaine. Autant Man Hunt, Moonfleet, le Dyptique Indien que les Nibelungen par exemple. Ses deux westerns notamment : Le Retour de Franck James et l’Ange des Maudits sont magnifiques. L’Ange des Maudits c’est un chef d’œuvre, avec l’incarnation même du héros langien. J’aime un tout petit peu moins certains de ses polars, comme l’Invraisemblable Vérité, ou Fury que je trouve plus grossiers.

Si je te dis Bazin ou Daney…

Disons que ce qui m’a formé, c’est avant tout le dictionnaire de Lourcelles, bien qu’il m’énervait avec ses parti pris, et son côté provocateur, par exemple il n’y avait qu’un Godard et encore en petite notule. Mais c’est vrai que Lourcelles c’est Misogushi, Lang… Là où je ne le suivais pas, c’est que j’ai toujours eu du mal avec Renoir, même si j’aime certains films de manière éparse : comme La Nuit du carrefour.

Et les autres français : Becker, ou Melville ?

Le problème de Melville c’est que c’est devenu un lieu commun de l’aimer, on a l’impression d’être Tarantino. Non, celui que j’aime énormément, c’est Franju, Les yeux sans visage, Pleins feux sur l’assassin. Mes deux préférés ce sont vraiment Franju et Tati, Playtime notamment.

Si j’ai bien compris, tu ne portes pas La Nouvelle Vague dans ton cœur …

Le problème c’est que c’est un peu comme Blanchot, je pense qu’ils ont surtout fait beaucoup de mal au cinéma français qui est venu après.

C’est quand même un peu réducteur de dire ça, parce que Godard, Rohmer, Truffaut et Rivette ont fait des carrières très différentes.

Oui, mais je pense que différemment, ils ont fait du mal. Truffaut a introduit bien malgré lui un nouvel embourgeoisement du cinéma, et, c’est terrible pour lui, mais il a recréé la Qualité française.

Non mais ça c’est le cliché qu’on entend partout, mais ses films méritent mieux que ça quand même !

Oui, La Peau Douce peut être.

On cite toujours celui là ! Mais pas seulement : prenons L’enfant sauvage, ou La Chambre verte par exemple…

Oui, La Chambre verte, le film préféré des « vrais amateurs » de Truffaut, mais reconnais qu’il joue comme un pied dedans…Et puis bon chez Truffaut, il y a tout un côté réac qu’on occulte, prends Vivement Dimanche par exemple, ou Le Dernier Métro, l’exemple même du film à César.

Mais aujourd’hui, c’est plutôt le cinéma américain qui joue sur cette corde avec plein de films à reconstitution, comme Loin du paradis, les films de Gray…

Mais je ne suis pas sûr d’aimer ça, je ne suis pas sûr d’aimer James Gray par exemple, ni tout ce néo-classicisme. Je pense que la série télé est plus inventive que ça.

Aujourd’hui pas mal de gens, dont moi, défendent la thèse que le dernier truc intéressant du cinéma américain ce sont les comédies de Judd Apatow et Will Ferrell.

Ah je ne suis pas sûr d’aimer ça. J’aimais beaucoup Jim Carrey, Ben Stiller et encore pas toujours. Les premiers frères Farrelly sont très bien, mais toute cette comédie devient de plus en plus vulgaire.

Même Superdbad ? Pourtant c’est un film où le cinéma américain retrouve une sorte de désinvolture 70’s qu’il avait perdu…

Non, ça ne m’a pas plu. Tout le monde s’enthousiasme sur la comédie américaine, et trouve que c’est un nouvel âge d’or, mais je suis plus circonspect, je trouve que ces films sont sur une ligne très fine entre la vulgarité et une forme de marginalité. Prends Superbad, c’est quoi la morale du film : deux gamins pas très bien dans leur peau qui finissent par sortir avec deux filles canon…

Ben c’est ça le cinéma justement !

Oui, mais est-ce que c’est si différent d’une morale très mainstream : accepte toi, les jolies filles sortiront avec toi Il me semble que les frères Farrely, c’était plus original : je préférais quand même Fous d’Irène ou Deux en un. Mais, de toute façon, je suis très désabusé du cinéma hollywoodien, quand a-t-on vu récemment un film hollywoodien qui ait été un vrai choc esthétique ? Je crois que le dernier que j’ai vraiment aimé, c’est Apocalypto de Mel Gibson, ça c’est du vrai cinéma hollywoodien épique dans sa démesure, c’est Cecil B De Mille. En tous cas, je me sens plus proche de Mel Gibson que des films de super héros.

Mais oui, ras le bol des films de super héros. Tout le monde nous fait croire que c’est le renouveau d’Hollywood, mais c’est nul !

Oui, c’est complètement pompé sur ce qu’a fait la BD, il y a très longtemps, ils n’inventent rien du tout. Mais bon, je ne vais pas énormément au cinéma. C’est une position un peu banale, mais je dois reconnaître que je préfère vraiment les séries. Même si j’ai beaucoup de retard, parce que je n’avais pas la télé. Disons que je me suis mis à considérer les séries au moment où tout le monde commençait à intellectualiser le truc : en gros entre Urgence et la fin des années 90. En tous cas, j’aime toute l’histoire des séries, des années 5O, aux productions d’Aaaron Spelling. Ce sont des choses que j’aime sans snobisme, c’est une forme populaire qui a été inventée à part de la critique pour les ménagères, les ados, les gens au foyer. Et Desperate Housewife n’en est qu’une version avec supplément culturel et références pour rendre le soap classique des années 70 visible par les classes supérieures.

J’ai beaucoup aimé les séries pour ado des années 80-90, Beverly Hills, Felicity, Buffy, et aussi les séries de la grande époque, j’en ai regardé énormément dans les années 2000, mais c’est devenu sur écrit, surconstruit, je trouve qu’on ne peut plus en voir une de loin…

HBO quand ils avaient de l’argent ont fait quand même des choses vraiment bien, les Sopranos c’est pas si bien , mais Six Feet Under c’est vraiment un chef d’oeuvre Mais c’est intéressant de constater que lorsqu’un art se forme, ce sont toujours les mêmes questions qui se posent. Au fond, on est dans la même situation que le cinéma des années 40-50 avec la constitution du système hollywoodien classique, les majors, et des gens qui disent comme toi : « C’est bien joli Walsh et Huston, mais on regrette le muet ! »

Je pense que c’est pire que ça, avec les séries c’est allé beaucoup plus vite, disons d’un coup des années 40 aux années 80, en à peine cinq ans. Par exemple, as-tu regardé une série qui ait commencé cette année et que tu trouves bien ?

Bon ça fait un ou deux ans qu’il y a moins de choses, mais il y a eu la grève des scénaristes aussi, les problèmes d’argent. Une série que je défendrai vraiment et qui arrive à être naïve au premier degré, c’est Veronica Mars.

Ah oui, c’est vraiment très bien pour le coup !

Oui, ils ont réussi à faire ce que les séries HBO ne faisaient pas, c’est à dire à se reconnecter au genre adolescent, et à s’adresser à ce public au premier degré, tout en construisant des choses très belles : le personnage de Logan est magnifique par exemple. Je crois que je suis dans une position intermédiaire, je dirais que comme pour l’évolution du cinéma, ce n’est pas grave qu’il y ait une intellectualisation, c’est normal, quand un art se forme, il y a un moment où l’on renonce à un mode de création plus spontané et populaire. Mais ce n’est pas très grave, parce que dans le cinéma par exemple, ça a donné Hitchcock. En tous cas, dans les séries, on n’a pas encore subi l’étape « années 80 », il n’y a pas encore de mauvais goût, ça viendra, pour l’instant on est encore dans, l’équivalent des 70’s au cinéma : il y a de l’argent, c’est florissant…

Et en musique, tu écoutes quoi en ce moment ?

Beaucoup de choses des années 50, j’aime beaucoup le rockabilly. J’aime aussi beaucoup aussi un type de voix un peu difficile à définir un peu étranglé, et assez pur, comme Alex Chilton, ou Harrison. Sinon maintenant j’écoute pas mal de trucs avec du synthé, Moroder, la pop synthétique européenne du début des années 80. Et la musique éthiopienne- c’est la parenthèse Radio Nova- et énormément la musique brésilienne, mais surtout les tout débuts du tropicalisme. Le premier album de Caetano Veloso, ou Gal Costa, par exemple. En musique, de manière générale, j’aime bien les débuts . Par exemple j’adore le hip hop, mais surtout : Africaa Bambaataa, Grandmaster Flash… Et pour tout c’est pareil, j’aime beaucoup la techno, mais surtout la techno de Detroit, quand c’était une musique très cérébrable. Sinon il y a aussi ce que j’appelle ma « ligne Ungemuth », j’aime énormément Paul Weller, The Replacement, The Flamin’ Groovies…
Et chez les français, Manset, les premiers albums, son disque en latin : Caesar, les tous premiers Polnareff. Sinon je défends aussi les premiers Eddy Mitchell, que personne n’aime, notamment un album qui s’appelle Mitchellville, super bien orchestré, magnifique, avec une très belle pochette. C’est marrant, aujourd’hui tout le monde aime Christophe, Polnareff, ils sont tombés dans le domaine du bon goût, mais Eddy Mitchell, lui, n’a pas été intégré alors qu’il y a de très beaux morceaux de lui.
Bon, et puis en musique, ça me gêne de dire « J’aime les Kinks, les Zombies, Love et Billy Nicholls. », c’est complètement intégré les 60’s alors que finalement les années 50 ça résiste plus . C’est embêtant maintenant parce qu’en rock il y a des lignes de goûts qui sont devenues complètement obligées et qu’on partage forcément. En tous cas ce n’est plus discriminant.
Sinon, dans les groupes récents, j’aime énormément The Magnetic Fields, Merrit c’est vraiment un très bon compositeur, il sait écrire des chansons. Après j’aime énormément The Breeders, j’ai trouvé leur dernier album très beau, pour moi c’est quasiment comme Big Star. Mais sinon, là aussi c’est chiant, j’aime les trucs que tout le monde aime, MGMT, l’album de Scarlett Johanson…

Oh non David Sitek il est chiant comme la mort !

Moi ça me semble objectivement bien fait.

Et puis je ne suis pas tout à fait d’accord avec ton histoire de ligne de goûts, on peut quand même trouver des choses qu’on aime plus que d’autres non ?

C’est plus difficile dans le rock. En littérature ça a commencé depuis longtemps, il y a des strates. Et un bon exemple c’est la multiplication des compilations « trésor caché », ça finit par faire une liste B de trucs incontournables, mais qui finissent par devenir encore moins contestables que les officiels, prends les Zombies, Margot Guryan, ou Billy Nicholls par exemple.

Oui, je sais je pense aussi que la sortie de Two Lane blacktop en dvd a marqué la mort de la cinéphilie.

Il faut trouver de nouveaux moyens de se faire des lignes de goût. Même si il y a quelqu’un comme Ungemuth, que j’aime beaucoup, qui essaie encore de mettre un peu de polémique, je trouve que cela ne peut plus marcher comme avant. Le rock, contrairement à d’autres arts, a une éthique qui t’oblige à faire semblant d’avoir de la mauvaise foi, alors qu’en littérature ou en peinture ce n’est pas grave, l’histoire officielle se fait, ça passe à l’université, on écrit des livres dessus. En rock, tu es obligé de t’inventer, mais il y a un moment où c’est quand même joué. Maintenant s’il y a quelque chose que je n’aime pas, je sens bien que c’est surtout un truc d’appartenance. Par exemple sur la chanson française, tu ne te sens pas très singulier de ne pas aimer Camille, ou The Do. Le problème c’est que le rock ne peut pas – et ne veut pas accepter ça. Parce que son essence c’est d’être non écrit, c’est une musique qui s’est construite contre l’écriture de la musique, et la musique savante. Et donc dès que c’est écrit, il faut donner des gages. Prends Lester Bangs : «Attention j’écris, mais j’écris rock’n roll, pas comme Greil Marcus». Et pourtant, le rock c’est ce qui est en train de lui arriver : il devient une chose écrite. Comme dirait Valery : tout finit en Sorbonne, c’est fatal. Quand Dylan mourra, tu auras beau essayer de faire vivre tout cela, tout ça va devenir de la mémoire, de l’histoire, et rien d’autre. Dans cinquante ans, il y aura des spécialistes des 60’s, comme il y a des dix-huitièmistes aujourd’hui, mais d’une certaine façon c’est normal, les sixties c’était pas plus important que le dix-huitième finalement.

Valery et Lester Bangs, je crois qu’on peur arrêter là. Merci de nous avoir donné cet entretien.

La Meilleure Part des Hommes, Tristan Garcia, Gallimard

Photos: Gaelle Riou-Kerangal


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