Ils ont raté le coche et ont été passés sous silence à leur sortie; tout l’été, Gonzaï rend hommage à ces soldats inconnus tombés pour qui, la France ? Non, la musique. Aujourd’hui, le « Wings » de Michel Colombier, arrangeur et musicien bien connu des puristes, et auteur d’un incroyable album sorti la même année que le « Melody Nelson » de Gainsbourg, avec qui Colombier travailla. Requiem d’un génie qu’on a longtemps pris pour un con.

A l’école des Diggers, « Wings » pourrait bien faire l’objet d’une sérieuse étude de cas. Parlez-en aux connaisseurs, ils vous diront que vous arrivez après la guerre, faites-en mention auprès du grand public, ils vous regarderont comme si le premier boulet de canon n’avait pas été tiré.

Derrière le soleil exactement

C’est que Michel Colombier, dans l’inconscient collectif et si tant que cet inconscient collectif puisse penser, est au mieux ce vague homme de l’ombre dont on sait qu’il arrangea (en vérité c’est un peu plus que ça) les Elisa, Bonnie & Clyde et autres Sous le soleil exactement de Gainsbourg. Comme tant d’autres avant et après lui, celui qui a été découvert par Michel Magne au Conservatoire de Paris décide, deux ans après avoir travaillé aux côtés de Pierre Henry sur « Messe pour le temps présent », de mettre les voiles. Comme on s’en doute, ce n’est pas pour arranger les chœurs de l’armée de Corée du Nord. Le besoin de reconnaissance, comme l’envie d’un terrain de jeu plus grand, l’amèneront à atterrir aux Etats-Unis. Ce n’est pas le premier Français à y poser les pieds, pas le dernier non plus, mais « Wings » reste malgré tout un cas à part.

Trois quart d’heure américain

Un an plus tôt, Colombier a déjà croqué dans la tête de l’Oncle Sam grâce à Petula Clark, qui l’a choisi pour diriger l’orchestre d’un show à la télé américaine. Profitant de son séjour à Los Angeles, où il est encore Monsieur Personne, Colombier noue des contacts avec les studios d’Universal, et fait la connaissance de Herb Alpert, musicien et patron des disques A&M. C’est lui qui proposera à Colombier d’assembler « Wings », un concept album qui déniaise subtilement le travail réalisé sur le très naïf « Capot Pointu », publié en 1969.

C’est qu’à force de croiser la route des pointures de studio outre-Atlantique, Colombier finit presque, pour paraphraser Nino Ferrer, noir. Noir, parce que le groove, sur « Wings », suinte à tous les coins de rue, tous les deux morceaux. Loin d’être une simple variation de groove au kilomètre comme c’est de rigueur à l’époque, le disque de Colombier est surtout un gros monolithe planté au milieu de nulle part. Orchestral, pop, soul, free; c’est le meilleur de deux cultures que pourtant tout oppose. Décrit comme « la première symphonie pop », voire comme le « premier oratorio rock », le travail de Colombier avec Alpert anticipe en dix morceaux à peu près tout ce qui comptera dans les années 70 : les chœurs surréalistes de « Melody Nelson », sorti la même année, la B.O. de « Phantom of the Paradise » avec la présence sur le disque de Paul Williams, (trois ans avant la sortie du film de De Palma) sur l’un des morceaux les plus beaux au monde, mais aussi le jazz rock de Weather Report, dans ce qu’il a de mieux (ou de moins pire, c’est selon) ; et même une espèce de cavalcade avec Bill Medley des Righteous Brothers sur près de 8 minutes titanesques, héroïques, purement cinématiques. Impossible d’écouter le moindre disque produit sur Protools après ça.

Un disque à l’américaine donc, clinquant, fastueux, gourmand, tellement ample qu’on imagine la démesure de l’enregistrement, ainsi que le nombre de zéros sur le chèque en blanc signé par Alpert. Un ensemble de cuivres, un trio de cordes dirigé par Jean-Luc Ponty, des percussionnistes, cinq chanteurs solistes et l’orchestre de l’Opéra de Paris ; voilà pour le casting. Quant au film, il aboutit paradoxalement à l’un des seuls disques de Colombier qui n’ait pas servi à illustrer une bande originale.

Lettre à France

En regardant de plus près cette histoire de cordonnier mal chaussé, impossible de ne pas penser à Michel Polnareff, autre Français qui, quatre ans plus tard, tentera à son tour l’exil artistique et fiscal pour composer, avec l’aide d’Ahmet Ertegun (patron des disques Atlantic) son premier disque américain. Il n’y a pas encore Lettre à France, mais la même envie de sortir du carcan, et l’ambition de publier un disque-orchestre avec des moyens plus conséquents qu’à Paris. En réécoutant, fasciné, « Wings », on se dit que la lettre de Colombier devait elle aussi être mal timbrée ; elle n’est jamais arrivée en France. Après tout, pas bien grave : Colombier fera carrière aux Etats-Unis, gagnera trois nominations aux Grammys, puis remportera, en toute logique, le statut de disque culte des deux côtés de l’Atlantique – manière élégante de dire que « Wings » vendra peau de zob. La réédition de l’album en 77 n’y fera rien, le disque s’écrasera dans les limbes et Colombier retournera peu à peu dans l’ombre des salles obscures hollywoodiennes, bossera avec Madonna et Mirwais sur Don’t Tell Me et « American Life », puis avec Air sur « Talkie Walkie ». Et s’éteindra, touché par un cancer, en 2004.

Un Colombier qui s’envole au paradis avec un disque nommé « Wings » ; parfois la mort vous réserve des tours inattendus.

9 commentaires

  1. franc j’ai pas lu l’article, j’eccose les beans, mais pour le danze floor inaperçu, aussi ça ‘DO IT’ en twelve inch,

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