Les étiquettes musicales ne voudraient plus dire grand-chose. Variété, pop, électro de salon, Fender Rhodes, batteries 90’s… Tout serait dans tout, et rien dans pas grand-chose. Fatigué, usé, lassé par le tsunami des sorties ? Et si on tentait le premier album de Johnny Jane, enregistré au studio Motorbass, antre de feu Philippe Zdar ?

Johnny Jane ? Une balade connue, signée Serge G et chantée par Jane B, mais aussi un mec signé chez Columbia, se prénommant Emile dans le civil, venant d’Orléans, ayant étudié la musique pendant une dizaine d’années au Conservatoire puis les beaux-arts à Bruxelles. Sa biographie indique aussi qu’il a fait du théâtre et cite même Marcel Duchamp. Pour le dire simplement, Johnny Jane coche toutes les cases de la grille « tête à claques » du lecteur moyen de Gonzaï. Un lecteur lambda que tu n’es peut-être pas, toi qui possèdes une curiosité sans faille, une neutralité digne des Suisses bienveillants (il en existe) et un QI au-dessus de la moyenne provinciale. Une chance pour toi qui va pouvoir découvrir « Attitudes(s) », premier album pop réussi d’un jeune espoir dont on devrait rapidement reparler après écoute et interrogatoire : Johnny Jane.

Après quelques EP’s remarqués, tu sors ton premier album, « Attitude(s) ». Dans quel état d’esprit étais-tu au moment de ce changement de format ?

Johnny Jane : A aucun moment, je ne me suis fait violence. C’est venu assez naturellement, parce que j’ai pris le temps. Avant l’album, j’ai eu plusieurs projets. Trois EPs, ce qui représente entre 15 et 20 chansons. C’était le terrain dont j’avais besoin pour être prêt à faire un album. Si j’avais dû sortir un album en 2021, juste après le premier EP, ça aurait été très compliqué pour moi. J’aurais probablement été en proie à beaucoup de doutes parce que je n’aurais pas eu la même maturité musicale. Là, je me sentais prêt. Le fait d’avoir sorti sur 3 ans 3 projets différents m’a permis de faire évoluer ma musique, mes goûts. Et aussi de savoir où je veux aller. Avant l’album, je me cherchais plus. Une période indispensable, selon moi. Ca ne veut bien sûr pas dire que ma musique va être figée à présent, mais de comprendre ce que je voulais faire sur ce premier album. Du coup, je n’appréhendais pas du tout de passer au format album.

Johnny Jane, c’est un groupe ou c’est toi ? Qui sont les autres membres ?

Johnny Jane :  Nous sommes plusieurs sur scène. Je ne travaille bien sûr pas en mode solitaire et cloisonné mais c’est moi qui incarne seul Johnny Jane. C’est un nom qui fait référence à une chanson de Jane Birkin, écrite par Gainsbourg.

Quel rapport entretiens-tu avec le personnage et sa musique ?

Johnny Jane : Je ne sais pas vraiment. Ce nom me correspond encore bien aujourd’hui. Je l’ai choisi en 2019, pour pas mal de raisons différentes. Bien sûr pour la référence à Gainsbourg qui a un peu bercé mon enfance. Le film d’où est issue cette chanson était incroyable. Il y a aussi dans ce nom une sorte de dualité, quelque chose d’un peu androgyne. Je me souviens de ces paroles dans la chanson « Tu balades tes cheveux courts, ton teint livide, tes baskets, tes yeux candides ». Plein de choses qui me rappelait moi, en tout cas à ce moment. Choisir ce nom, c’était une évidence quand je l’ai fait. Au départ, j’avais cherché un nom pendant quelques temps. Puis cette chanson est apparue un peu par hasard, et voilà.

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As-tu eu l’occasion de visiter sa maison rue de Verneuil ? Elle est ouverte au public depuis quelques mois.

Johnny Jane : Pas encore non. Je suis allé au bar qui est en face – Le Gainsbar –  mais je n’ai pas encore pu visiter la maison. Je le ferai dès que possible je pense.

«  J’avais pas forcément envie de signer sur un label qui m’aurait demandé de faire des trucs indés chelous de 7 minutes. »

Ta bio indique que tu es « doté d’une oreille aiguisée ». Quels sont tes artistes de chevet, ceux qui ne te quittent jamais ?

Johnny Jane : Oreille aiguisée, je crois que c’est de famille. Mon père est musicien. Petit, j’ai très vite eu la capacité de reproduire au piano des chansons que je n’avais entendues qu’une fois. J’ai ce type d’oreille musicale et de passion pour écouter, reproduire et comprendre comment ça fonctionne. Et après, bien sûr, faire ma propre musique. Quand j’étais jeune, j’écoutais beaucoup de classique puisque j’en faisais. A l’adolescence, de manière assez classique, je suis devenu un peu plus rebelle et j’ai bien sûr écouté du rock. Mais aussi du rap. Pas simple de répondre à la question sur les artistes qui ne me quittent jamais. King Krule. Depuis que je l’ai découvert, j’adore tous ses projets. En ce moment, j’écoute beaucoup le Velvet Underground. J’ai aussi longtemps écouté Odezenne, et je les écoute encore un peu aujourd’hui. Finalement, il y a très peu d’artistes que j’écoute sur une très longue durée. Je suis plutôt du genre à énormément écouter un projet pendant deux ou trois ans jusqu’à épuisement sonore. Et ensuite je passe à autre chose.

Ta musique est très variée. On y trouve entre autres de l’orgue Fender Rhodes, du vocoder, un peu d’électro atmosphérique à la french touch, des batteries 90’s. Tu évoquais le fait que ton père était musicien. Ta famille a eu une grosse influence sur tes découvertes musicales ?

Johnny Jane : Je suis issu d’une famille où il y a deux branches différentes et c’est une très grande force. Du côté maternel, c’est très populaire. Ma mamie n’écoute que Nostalgie dans la voiture, et ma mère écoute RFM. En tout cas quand j’étais jeune. Du côté de mon père, c’est plutôt l’inverse : musique classique, jazz. Quand j’étais jeune, je baignais dans ce mélange et ça m’a beaucoup apporté. C’est peut-être ça qui me donne envie de faire aujourd’hui une musique populaire et pointue à la fois. En tout cas d’y mettre les deux.

Quand j’ai découvert ton album, j’ai eu le même sentiment qu’en découvrant celui de Zaho de Sagazan à sa sortie. Vous ne faites bien sûr pas la même musique, mais on sent effectivement une exigence mêlée avec la volonté d’être universel, en tout cas accessible à tous. Tu n’es pas à l’abri du succès. Comment vas-tu vivre ça si ça devait se produire, notamment ton rapport aux médias, ou à la scène?

Johnny Jane : La scène, c’est pas du tout une corvée. C’est un plaisir. Quand j’étais jeune, j’étais assez timide. Je le suis encore un peu aujourd’hui mais la scène génère une adrénaline. C’est très intense et c’est aussi ce que je cherche dans ma musique. Pour ce qui est des médias, répondre à des interviews ne me dérange pas du tout. Je trouve même ça hyper intéressant. Parfois, je tombe sur de très bonnes questions qui peuvent me perturber et me faire réfléchir pendant plusieurs jours après. De manière générale, je ne suis pas du tout un solitaire. J’ai commencé avec Carl et Renaud (NDLR : du groupe de musique électronique Jersey) que j’ai rencontrés au collège. Eux faisaient de la musique électronique. Cela m’avait amené à travailler avec eux sur des projets plus électroniques. Il y a aussi eu plein d’autres rencontres. Ma musique, c’est le fruit de partage avec les gens. Musical bien sûr, mais pas uniquement. On a des conversations plus intellectuelles parfois, où on réfléchit même au sens de ce qu’on fait en tant que musiciens.

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Ton album sort chez Columbia, un label de chez Sony. Pourquoi ?

Johnny Jane : Au début, j’étais à Orléans. Puis j’ai fait quelques mois à Bruxelles quand j’étais aux Beaux-Arts. Après, je suis venu à Paris pour rejoindre Carl et Renaud qui y étaient. J’ai alors lâché l’art plastique. Je m’ennuyais là-dedans, peut-être justement parce que ce n’était pas assez populaire. Je suis venu à paris pour refaire de la musique, et j’ai été pris en résidence au FGO-Barbara. C’est une résidence un peu exposée. Les labels, les tourneurs s’y intéressent. J’ai été contacté, puis il y a eu une pause avec le Covid. Après, j’avais sorti deux morceaux et j’ai fini par signer avec Columbia. Pourquoi eux ? J’avais confiance dans cette maison, dans cette équipe. Le directeur artistique me comprenait aussi. Et c’est agréable de sentir que je pouvais là-bas faire à la fois quelque chose de personnel et de populaire. Je me sentais entendu. J’avais aussi envie de quitter le milieu des beaux-arts, un peu arty et underground d’où je venais.  J’avais pas forcément envie de signer sur un label qui m’aurait demandé de faire des trucs indés chelous de 7 minutes. Quoique peu de labels doivent demander ça, aha ! En tout cas, dans mon inconscient à ce moment-là, je n’avais pas du tout envie de ça. Je voulais me frotter à des chansons que j’avais le potentiel de faire, comme « Plus rien à perdre », « Bye bye » ou d’autres.

Pourquoi Motorbass ? Peut-être parce que c’est le temple de la musique à Paris. C’est un endroit où plein de gens sont passés, pour enregistrer ou en mode amical. C’est un lieu qui évoque la French touch, Phoenix, Tellier, Daft Punk,…

On sent dans tes paroles une forme de désenchantement, presque un détachement existentiel. C’est une volonté de ta part ou le ressenti d’un mauvais journaliste ?

Johnny Jane : Détachement, je ne sais pas. Je suis un peu comme ça, c’est vrai. Après, il n’y a aucune volonté de texte au départ. J’ai pas une idée préconçue de ce que je vais écrire. Dans la musique comme dans la vie, je suis très spontané. Peut-être trop, d’ailleurs. Ma mère parlerait d’astrologie. Je suis bélier. J’ai un côté imbécile du zodiaque. Je fonce et je réfléchis après. Souvent, c’est aussi comme ça quand je travaille musicalement. Dans les textes, pareil, je fonce. Sans me dire « Ah, il faudrait que je parle de ci ou de ça ». C’est très spontané. Parfois, il y a très peu d’écriture. C’est un peu de l’impro. « Une fleur », c’est mi-impro mi-écriture par exemple. Souvent, je compose très vite, je passe rarement 3 jours sur une chanson. Elle jaillit d’un coup. Je ne suis pas un auteur qui se dirait « Tiens, il faudrait que ça soit un peu plus désenchanté ou détaché ». Ce que j’aime, c’est raconter les émotions qui me traversent. Il y a parfois un état second là-dedans, quand j’écris. Ce que j’aime faire, quand je finalise l’écriture, c’est cacher des petits détails ou des choses qui peuvent avoir un tout autre sens.

Il peut aussi à l’occasion y avoir un peu d’humour. En 2024, je pense que tu es le seul chanteur français à pour voir faire rimer high, fly et sky sans tomber dans le ridicule. Ca se passe dans le morceau Bye Bye.

Johnny Jane : Je ne dirais pas que c’est de l’humour, mais il y a une recherche – et ça ça vient de Gainsbourg, c’est certain – de malice, une volonté de s’amuser. Mais ce n’est pas de l’humour. Je ne cherche pas du tout à faire de la musique drôle. Il y a un fond plus dur, plus secret, mais parfois il y a de la malice, ou des jeux avec les mots, comme dans Kleenex par exemple. La malice, c’est en mode « j’essaye de capter l’attention en surface », mais il y a un fond qu’on découvre souvent au fil des écoutes de la chanson. C’est comme ça que je vois les choses.

Au fait, il y a quelques mois, tu as sorti un EP où figurait le titre Missiles, une vraie réussite électro-pop. Tu n’as pas été tenté de le mettre sur l’album ?

Johnny Jane : Non. J’aime beaucoup ce titre et je le joue d’ailleurs en live, mais… J’avais envie de mettre sur l’album des tracks dont j’étais à 100 % fier et convaincu. Et des morceaux qui ne vieillissent pas dans ma conscience de la musique. Je trouve qu’avec « Missiles », il y avait un entre-deux pas assez direct au niveau de la direction artistique, là où « Normal » se lie vachement avec Les lois de l’univers et Attitude par exemple.  Missiles a une production un peu plus électronique que l’album, et je pense que ça aurait été une info de trop dans l’album. J’aime beaucoup le morceau, mais je considère qu’un album, ça doit être complet quand on l’écoute. Tous les sons qui sont dans l’album ont été faits dans des grands studios.

Ton manager est Azzedine Fall, un ancien journaliste des Inrocks qui a aussi été directeur artistique chez Barclay. Aujourd’hui, il est « Director of Music » chez Deezer. Comment l’as-tu rencontré et que t’apporte-t-il ?

Johnny Jane : Je l’ai rencontré quand il travaillait chez Barclay. Avant le Covid, il voulait me signer là-bas. Il y avait aussi dans les équipes Pierre Le Gall, qui aujourd’hui est mon directeur artistique chez Columbia. Azzedine m’apporte beaucoup de confiance. C’est aussi une question de références. Nous avons des goûts assez proches, mais pas totalement. C’est quelqu’un qui a une énorme culture musicale et qui m’apporte aussi beaucoup de connaissances. Je suis quelqu’un de très curieux, et j’adore parler musique avec lui.

Composer cet LP t’a-t-il aidé à mieux comprendre qui tu es ? Entre les « Attitude(s) » avec un S entre parenthèses et le masque sur la pochette, on sent une volonté d’avancer à pas feutrés vers le milieu de la musique.

Johnny Jane : Derrière le titre et la pochette, il y a surtout le ton de l’album. Beaucoup de profondeur, ce qu’on peut trouver derrière un masque. Une profondeur qui se cache derrière une malice, comme je te le disais tout à l’heure. Ce que je montre, c’est la surface. Le masque représente une certaine malice. C’est quelque chose de plus figé avec lequel on joue, comme au théâtre Sur la pochette, il y a un peu de barbe derrière le masque. Esthétiquement, ça crée deux visages. C’est un peu ce que je suis aussi. « Attitude(s) », c’est mon rapport à la chanson, mais aussi et surtout toutes ces facettes que je présente dans l’album. C’est un titre qui sonne bien, et qui laisse un flou. Bien meilleur que « Facette(s) », par exemple.

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Comment expliques-tu le côté hypnotique de l’album ?

Johnny Jane : Je crois qu’il faut parler de quelque chose d’important. Je me suis entouré de musiciens extrêmement doués pour l’enregistrer. Tu parlais tout à l’heure de Zaho de Sagazan. Elle compose bien sûr, mais elle bosse aussi avec Alexis Delong, un monstre. L’arrangement d’un morceau, c’est hyper important. J’ai enregistré l’album au studio Motorbass, et le travail fait là-bas était excellent. C’est les moments les plus fous de toute ma vie. Quand t’es à Motorbass, t’es dans un temple, et tu es entouré de cadors, de gens qui sont extrêmement doués pour faire des arrangements. Des gens qui ont travaillé avec des boss comme Sébastien Tellier. Ils apportent un énorme plus aux morceaux.  Bye Bye, par exemple, c’est Martin Lefebvre qui l’a composé avec moi. Au deuxième couplet, il y a un synthé qui rentre au tout début, et il l’a fait en une seule prise. Le solo à la fin de Justine, c’est aussi lui, en une seule fois. Ces moments de magie, ces personnes, ça crée quelque chose de plus sur un album. Comme Alexis Delong, avec qui j’ai déjà bossé, ces gens sont des monstres de talent. Tu composes une chanson en piano-voix ou guitare-voix, et grâce à leur apport, la chanson se transforme par petites touches. Dans Bye Bye, par exemple, il y a 4 voix mélangées. Tu ne les entends presque plus, mais elles sont là, avec du Flanger, etc.

Pourquoi avoir choisi d’enregistrer l’album chez Motorbass, le studio mythique de feu Philippe Zdar ?

Johnny Jane : Aujourd’hui, c’est Antoine Poyeton qui s’en occupe. Avec Pierre Juarez qui s’est occupé du mix de l’album. C’est eux qui ont repris le studio. C’est une histoire assez belle. Antoine était arrivé là-bas à l’improviste. Il avait toujours été fan de Motorbass, et s’était mis à bosser avec Zdar. C’est quelqu’un de très doué, qui a énormément donné de temps pour « Attitude(s) ». Des week-ends, des semaines entières… Pourquoi Motorbass ? Peut-être parce que c’est le temple de la musique à Paris. C’est un endroit où plein de gens sont passés, pour enregistrer ou en mode amical. C’est un lieu qui évoque la French touch, Phoenix, Tellier, Daft Punk… Quand on a enregistré le vocoder sur Justine, j’ai senti un lien. Les solos de guitare sur ce morceau, ça fait aussi pensé aux solos de guitares d’Air. C’est quelque chose que j’aime aussi faire, prendre des choses du passé pour les remettre à ma façon. La musique, c’est que ça, une évolution permanente.

Johnny Jane // Attitude(s) // Columbia 

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