Il a les mains de Cole Porter et le charisme de Frank Dubosc, le nez rouge de Jerry Lewis et le coeur en punching-ball de Foreman; Gonzales et son nouveau disque « Ivory Tower », l’histoire d’un clown triste boxé sur tapis rouge. La tour d’ivoire quand on est seul, ce n’est pas forcément qu’une fiction.

« OUH, OH, LET’S DO THIS INTERVIEW, WHOOOO! » Mesdames et messieurs, Jason Beck s’apprête à enlever le peignoir. Son nouveau disque, Ivory Tower, est un nouveau match. Son adversaire, comme à chaque fois, sera double. La critique d’un coté, le public de l’autre.
Contrairement aux matchs de boxe, l’ennemi n’est pas forcément celui qu’on pense. Sur le ring, Gonzales a le gras adipeux qui transpire sans raccord. Voilà dix ans qu’il mouille le maillot pour imposer sa statue d’artiste incompris. Mégalomaniaque? Certainement. Doué? Carrément. La demie-mesure, la subtilité, il laisse ça aux mauviettes. Son combat? Tailler son image au piolet, affiner les défauts d’album en album, gommer les aspérités au marteau mais ne jamais sombrer dans la dentelle. Produit par Boys Noize, aucune chance de voir Ivory Tower finir sa course dans un sentier. Le berlinois, pro des prod’ d’autobahn désaffectés, s’est fait un malin plaisir de creuser les cernes du Gonzo (surnom de Gonzales, pour ceux qui auraient été les épisodes précédents, NDR) sur un étrange disque qui pianote la solitude d’un clubber défoncé sur le carrelage des squats allemands. Richard Clayderman Vs David Guetta, le son des pianos lâchés du haut des buildings. « To hate me is to love me », un proverbe qui lui colle à la peau moite.

Gonzales par Guillaume Arramy
Tiens, Feist lui vient de lui faire envoyer un beau bouquet de pivoines. Feist, une autre canadienne, l’amie des débuts avec qui Gonzales s’est déjà par le passé fourvoyé. Le mot n’est pas correct, parlons plutôt de collaborations. Il y a eut d’autres, bien évidemment: Jamie Lidell, Peaches, Beck plus récemment, tous ont gouté aux deux mains du Gonzo, si talentueuses pour composer des chansons à la pelle mais si peu habiles pour s’exprimer face au micro. Persuadé d’être une victime, Gonzales a le syndrome de la paranoïa juive, un trait de caractère si bien développé qu’il en devenu une marque de fabrique, une belle manière de se relever à la fin de chaque round. Mordre la serviette, puis repartir fabriquer ses pains.
Quelques semaines plus tôt, en écoutant Ivory Tower chez l’artiste, il y avait déjà de quoi être surpris. Des propositions bien matinales (« Tu veux de la weed? », il est 10h du matin, NDR), un album de musique minimaliste piano-processeur aux frontières de l’instrumental, mâtiné de sonorités technotroniques à vous en décoiffer Angela Merkel. Deux ans plus tôt, Gonzo s’était perdu dans la schizophrénie sur Soft Power, un album de gym tonique réalisé comme à la grande habitude en solo, soutenu par une incroyable campagne d’auto-médiatisation avec The Art of the Interview, pastiche journalistique à insérer entre Peter Sellers et Raphael Mezrahi. Gonzales contre le reste du monde, une tangente fiable et solide qui tient toujours sur le fil d’un string. Parce qu’il faut bien faire rire l’audience. Stand up comedy. Applause. The show – route de Damas du Gonzo – must go on.
Le Gonzales 2010 a l’air apaisé, à l’aise avec ses doubles troubles. Fatigué aussi, parce qu’Ivory Tower c’est un disque mais également un film écrit par Gonzales, avec lui-même et ses parents, ses amis, au générique. L’histoire romancé de joueurs d’échecs canadiens avec en bande-son, je vous le donne en mille, la musique de Gonzales. Une autarcie artistique qu’on pourrait confondre avec de la suffisance, on aurait bien le droit.

On pourrait s’épancher des heures durant sur la complexité du personnage et ses nombreux multiples. Mais Gonzales possède un frère, Chris. Son histoire est moins connue, elle est pourtant révélatrice des antinomies et des failles. Quand Gonzales apprend le piano en autodidacte dès l’âge de trois ans, Chris prend des cours avec un professeur. A l’adolescence, le premier s’engage vers le jazz, l’autre vers la musique de film. Quand Chilly (encore un autre de ses pseudos) se passionne pour le rap, le grand frère étudie la composition aux cotés de Jerry Goldsmith (Auteur de B.O.F. telles que La planète des Singes, Alien, Poltergeist, Star Trek, etc) puis débute sa carrière en tant que score composer pour Buffy contre les Vampires ou les remakes ratés de La Panthère Rose. Deux horizons différents, une jalousie respective qui se joue en sourdine: la célébrité ou la reconnaissance. Entre l’aile et la cuisse, Gonzales Jr semble avoir son choix: ne pas en faire. Rastignac de l’entertainment à la fois pathétique et grandiose, le canadien est désormais seul. Distribuer son disque et son film sans l’aide de personne, c’est un choix. Fini les majors, fini les grimaces. Tant qu’à ressembler à Andy Kaufman, le comique triste de Man on the Moon, autant allumer ses fusées avec des allumettes. Sans transition, Gonzo s’allume un joint, sans prompteur:

En dix ans de carrière, d’ « Uber Alles » à « Solo piano », ta discographie c’est un peu la montagne russe. Il s’insère où ce disque, précisément?

Pour Ivory Tower, artistiquement, j’avais envie d’être aidé, que quelqu’un prenne le relais sur tous les choix qui sont durs à faire pour quelqu’un comme moi, qui possède un don plutôt scientifique pour la musique. (A l’époque d’Ivory Tower) j’arrivais dans un labyrinthe par rapport à mes goûts musicaux, j’avais déjà essayé plusieurs astuces psychologiques pour me forcer à faire des choix – comme faire un album uniquement au piano, un truc très pur – mais cette fois j’avais envie d’un truc moins rétro que Soft Power dans la couleur musicale, parce que je me suis rendu compte – et j’aurais du le savoir – que lorsque les références sont trop marquées dans le passé, cela force les gens à penser à leur propre passé.

Et c’est grave, ça?

Ben… disons que si je l’avais compris profondément, peut-être aurais-je fait l’album différemment. Sur Soft Power, la musique était comme coupée au genou pour plein de gens; j’avais pris de mauvaises contraintes pour faire mes choix. Pour Ivory Tower, je savais que tout ce que je fais à toujours un peu à voir avec le rétro, donc pourquoi pas faire comme à l’époque de Uber Alles: confier ma musique à un producteur électro, Boyz Noise? Sur Uber Alles, j’avais juste la chance d’avoir découvert les machines et d’avoir fait cet album, mais sur la longueur je me suis rendu compte que je ne m’exprimais pas bien avec ces machines, donc j’avais un peu laissé tomber l’électro. Fallait que je trouve quelqu’un qui pourrait rentrer dans ma musique, qui ferait comme moi j’aurais fait si j’en avais été capable. Au début de l’enregistrement il devait y avoir plusieurs producteurs mais rapidement Boyz Noise s’est imposé – il avait réagi le plus vite déjà, il avait l’avantage – et puis au bout de trois morceaux j’ai vu qu’il avait la largeur pour penser l’ensemble. Et puis moi je pensais déjà à mon film.

A l’époque de « Soft Power » tu mettais en scène ta névrose du control freak, à jouer toi-même de tous les instruments. Faut-il comprendre que pour ce disque tu étais arrivé dans une impasse par rapport à Gonzo dieu tout puissant?

J’ai cette impasse sur chaque album. Il faut que je trouve un autre truc à chaque fois, une nouvelle contrainte. Ca peut être un alter-ego comme Boyz Noise ou mon truc des faux adieux en 2003 avec un grand concert pour faire une rétrospective de seulement 3 ans de carrière. J’ai toujours besoin de faire évoluer mon personnage, mon film en est peut être le meilleur exemple. Et comme je savais que le film serait un effort gigantesque, j’avais envie que la musique soit confortable et facile, donc besoin d’un partenaire avec qui partager cette envie.

Boyz Noise, c’était le choix d’un univers radicalement différent du tien?

Non.. déjà c’est un mec qui fume de la weed à Berlin, donc finalement pas très différent de moi. Lui avait fait un projet nommé Kid Alex sur une major allemande, un truc qu’il n’avait pas du tout aimé parce qu’il s’y était trop mis en avant, il n’était pas prêt. Moi c’était pareil au Canada avec mon groupe Son. Là où on diffère complètement, c’est dans notre approche de l’image, lui est plutôt confidentiel et moi je montre beaucoup. Moi j’ai exagéré le problème et lui s’en est éloigné. Mais on est très proches, humainement.

Il y a des références qu’on entend pour la première fois dans ce disque, des parties de piano qui font étonnamment penser à William Sheller.

C’est vrai, c’est un artiste que j’ai découvert récemment. C’est donc normal que ce soit la première fois que cela ressorte consciemment dans mes chansons. Ratatat m’a aussi beaucoup marqué, un groupe qui a trouvé une façon maligne d’incorporer son coté virtuose à la guitare, pour la bonne cause – celle du public – et pas seulement pour eux. Ils ont évité le rock masturbatoire, cela m’a inspiré pour tenter d’incorporer mon piano, aller vers un coté Steve Reich multipistes. Tout ça c’est parti d’une jalousie face au boulot de Ratatat, je suis toujours motivé par la jalousie positive quand je découvre un artiste qui défriche une idée que j’aurais pu avoir. Du coup, j’essaie de faire mieux.

Moralité, c’est pas un truc très commercial.

Ca veut rien dire, ça. Mon disque le plus « commercial » c’est Solo Piano, une vraie surprise pour moi. C’est une question tellement subtile et compliquée, de savoir si l’on fait exprès de « sonner commercial »… c’est vrai que je l’ai fait sur Soft Power par exemple, dans un coté pop. Donc oui, Ivory Tower ressemble davantage à Solo Piano, dans l’esprit. Et moi là, je suis beaucoup plus focussur le film. For the first time, it’s not about the position to be in. Comme c’est nouveau pour moi, je me demande s’il faut que je me motive plus pour le disque lui-même, mais tout s’est passé tellement facilement pendant l’enregistrement, en comparaison avec le film…

Quand on connait ton parcours, cette question a du sens: que n’as-tu PAS fait sur ce film?

J’ai co-écrit, j’ai amené cette histoire familiale qui parle aussi d’où je viens, je joue le rôle principal, mes parents jouent aussi, j’ai produit – dans le sens artistique et financier. Il n’y a que la réalisation où je n’interviens pas, ma mégalomanie a des limites. Quand je ne peux pas assumer un minimum, j’engage d’autres personnes.

D’où t’es venu la fixation sur le monde des échecs? C’est ton coté machiavélique qui a refait surface?

Ca s’est réveillé au moment de la composition avec Boyz Noise. Je venais de lire un livre sur tous les champions du monde des échecs depuis cent ans, des profils des plus grands joueurs écrit par Kasparov, en trois pages pour chacun. En lisant ça, j’ai pensé à la façon dont je consommais le rap, avec des personnages forts: le dandy qui donne l’impression qu’il bosse pas trop, le nerd avec ses tics, etc. Ca m’a semblé intéressant de montrer ce monde des échecs, en sachant que je pourrais aussi concentrer cela sur le Canada, avec des personnes exagérés, plus excentriques.
C’est l’approche des échecs, la philosophie du « c’est quoi un joueur d’échec », qui m’a semble le plus proche du monde musical, dans le sens Entertainment VS Art. C’est un peu l’histoire de ma vie, surtout depuis dix ans. C’est le même sujet que dans mes paroles, mes interviews.

C’était quoi ton référent filmique en écrivant le film? Steak de Mr Oizo?

Non, je l’ai pas encore vu ce film. L’ambition c’était de faire notre… en sachant que… en général moi j’essaie de faire un tube à chaque morceau, parce que je sais que je ferais jamais vraiment un tube1, c’est pas vraiment dans mon ADN. But if I force myself to try, peut-être que je peux trouver quelque chose qui est accessible, qui montre quelque chose. Avec le film, c’était pareil, je tenais absolument à ce qu’on conserve la structure d’un film de sport, normal et conservateur, de Rocky aux Roi des Patins. On est parti de ça en sachant que tout ce qu’on mettrait dedans serait tellement excentrique que ça servirait à rien de vouloir absolument composer des chansons sans refrain. Ca sert à rien, ça. Moi je veux toujours composer un truc avec au mois trois refrain dans la chanson. Pareil si je fais un film. C’est marrant parce j’ai croisé Quentin Dupieux qui parlait de Rubber en disant « oui je voulais faire un film sans intrigue, sans personnage attachant, blah blah », en fait il s’auto-protège, il va pas s’empêcher de faire un film avec une histoire touchante parce que.. il est comme ça. Moi, je préfère me mettre en danger en faisant un film de sport qui te touche comme le film de Eminem, Rocky ou Flashdance. On n’a pas fait l’impasse sur l’intrigue et les personnages attachants.

Le parallèle est tentant parce que tu as « joué » ses mains dans Gainsbourg Vie Héroïque mais c’est pas plus facile pour toi d’avoir des succès en composant pour les autres?

Bien sûr. Parce que je connais des gens qui ont un rapport moins compliqué avec l’idée d’un tube. Je ne dis pas que je ne suis pas musicalement capable, c’est psychologiquement que ça bloque. Bosser avec des potes comme Feist ou Jamie (Lidell), c’est plus facile parce que je peux me concentrer sur le tube, pas sur le background. Ca me permet aussi de voir que j’avais raison: quand je vois ce qu’ils vivent quand ils ont des tubes, moi je sais que je ne serais pas prêt à vivre la même chose.

T’arrives à quel moment en France?

2003.

Depuis cette époque, j’avais cette image de toi en mec gonzo, le type extravagant qui en fait des tonnes pour se faire remarquer. Quand on te rencontre, c’est tout l’inverse. T’es calme, discret, moins arrogant. Toi l’entertainer américain, t’as pas été écrasé par cette pression française qui consiste à dénigrer les gens qui réussissent?

Non, non. J’éprouve juste une légère pitié pour les français ambitieux, ils sont pas super encouragés par l’état et la culture. La mentalité du hustler entrepreneur, une mentalité très hip hop qui m’inspire beaucoup, c’est pas très présent ici. Je me dis que c’est dommage, c’est frustrant.

Et paradoxalement tu te verrais pas repartir au Canada maintenant.

Bah non. Surtout qu’ici j’ai un avantage: ici je suis un hustler parmi plein de gens qui ne se le permettent pas. Disons que mon égo me permet de faire des choses extrêmes, je capitalise sur cet avantage. L’égo a besoin d’être nourri toujours plus, I’m looking for food.

***

Après s’être nourri d’une interview sans bandages, le Gonzo doit déjà repartir pour un shooting mode avec L’Officiel (« ils ont loué un bateau pour une croisière d’une heure et demie, juste pour moi »). En bon control freak, Gonzales embarquera deux tenues dont l’une de capitaine, il en rigole: « dans la Croisière s’amuse, j’aimerais bien être le docteur juif qui se tape toutes les meufs, « Doc » Bricker. Y’en a pas beaucoup des comme ça, souvent les juifs c’est des loosers qui y’arrivent pas, Woody Allen tiens !». A l’étroit dans un seule costume, Dr Gonzo n’a pas encore trouvé tous les remèdes. Aussi vrai que son disque sonne comme une ligne Maginot entre bon et mauvais goût, le clown préfère les rings qui tanguent. Un nez rouge en plastique, ça flotte toujours à la surface.

Illustrations par Guillaume Arramy: http://guillaumearramy.over-blog.com/

1 Et pourtant dieu sait que Gonzo est très fort pour placer ses chansons dans les publicités. Après Gogol, issu de l’album Solo Piano, pour BforBank, et Working Together pour Sodeb’O, son Never Stop illustre la nouvelle campagne d’Itunes. Trop fort Gonzo.

Gonzales // « Ivory Tower » // Indie
http://www.myspace.com/gonzpiration

3 commentaires

  1. La question à poser était de savoir combien il dépense par mois en drogue, histoire de comparer avec Delarue.
    Et mise à part ‘La Croisière s’amuse’, que pense-t-il de la série Weed ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*
*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

partages