De Cerrone à Amanda Lear, de Cortex à Voyage (tiens tiens), et sans compter les producteurs de l’ombre qui y sont pour beaucoup (Bernard Fèvre, Jacky Giordano ou encore Bernard Estardy), on a toujours su que les Français avaient la fibre disco. Bon Voyage Organisation reprend ainsi le flambeau de la dance à la française tout en déviant considérablement sa trajectoire…

« Entre pop chinoise et variété française des années 80 ». « Bourré de références à l’Occident d’hier, à l’Afrique d’aujourd’hui et à l’Asie de demain ». On oublie. Bon Voyage Organisation, c’est surtout un concept aux striures de vieux feuilleton TV bien plus ambitieux. D’un avion l’autre, c’est la bande-son d’une épopée en Airbus grande vitesse passant du bitume d’Orly à Brazzaville, de Maya-Maya à Shanghai. Ce sont les croisades aériennes du vieux monde qui se heurtent aux puissances émergentes. Va-et-vient Eurasiatiques. Mais aussi le choc des cultures qui s’entremêlent, du groove black à la disco pressurisé, du jazz polonais à la Cantopop… C’est enfin et surtout les pensées du jeune Adrien Durand, tête pensante de BVO, passionné d’histoire et insomniaque notoire, qui choisit ses couleurs non sur une palette mais sur un atlas pour mieux les appliquer à sa musique. À l’annonce de son nouvel exposé de Géographie, nous sommes allé frapper au cockpit pour en apprendre un peu plus. Au programme une interview marathon où il sera question de chinoiseries, de SF et de rétro-futurisme.

Adrien, peux-tu nous parler de ton parcours musical avant l’éclosion de Bon Voyage Organisation ? Tu as déjà sorti une poignée d’EP sous le nom des Aeroplanes entre autres…

Oui ça s’appelait les Aeroplanes en référence à mon morceau préféré de Gainsbourg sur ‘L’Homme à la tête de chou’. Un EP est sorti en 2009 sur Mathematics Recordings, un label de Chicago avec un morceau Ils disent que l’orient est rouge qui à l’époque m’a permis d’être identifié dans le réseau House et Nu Disco. Deux autres disques sous le nom de Bon Voyage sont ensuite sortis sur un label que j’avais monté en Angleterre pour l’occasion avec Stevie Kotey des Chicken Lips. Puis enfin ‘Xingie’ sous le nom de Bon Voyage Organisation qui est sorti sur Disque Pointu, le label de La Femme. Au cours des années, on a développé un vocabulaire musical qui s’est enrichit avec l’arrivée de chaque nouveau membre. Je propose des idées et oriente les arrangements. C’est la constante recherche de l’équilibre entre servir les compositions et laisser aux musiciens un maximum d’espace pour s’exprimer.

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Comment s’est amorcée la collaboration avec les membres de La Femme ?

On ne peut pas vraiment parler de collaboration, c’est plus un service qu’ils m’ont rendu, pour être honnête. On se connait depuis très longtemps, on a déjà partagé de nombreuses scènes ensemble. Je ne me suis jamais vraiment trouvé d’affinités avec le milieu musical parisien. Avec La Femme c’est différent, ils ont tout de suite compris ce qu’on essayait de faire avec BVO et j’adore leur musique et leur démarche, à la fois spontanée et sophistiquée, je les trouve vraiment brillants et rafraichissants. Donc quand ‘Xingie’ a été fini, ils se sont gracieusement proposés de le sortir, il faut dire qu’il n’y avait pas foule au portillon pour signer un disque avec un track en chinois et une chanson d’amour sur fond de Chinafrique… Je leur suis très reconnaissant d’avoir pris ce risque.

Les Aeroplanes, Bon Voyage, cette idée de voyage est récurrente dans tes projets… Tu es plutôt du style pantouflard Deuleuzien à voyager dans ton studio ou aller vérifier que les choses s’y trouvent réellement ?

Je travaille énormément et dort très peu, je ne pense pas pouvoir être qualifié de pantouflard, on revient juste d’une tournée en Chine et on remet ça en janvier… Je lis énormément, surtout des bouquins d’histoire, particulièrement du 20ième siècle (même si j’ai aussi une grande passion pour Le Goff). Des récits de voyages et d’aventures aussi, par exemple je viens de finir Hong Kong et Macao de Kessel. De manière générale les choses qui m’inspirent appartiennent à des périodes assez révolues…

« Les artistes ont-ils vraiment plus d’intérêt sur douze titres que sur trois ou quatre ? »

Cette idée de voyage me rappelle les transhumances de Bowie au Japon et toute cette fascination autour de la mode, des tissus, des couleurs… Pour toi ça évoque quoi cet orient fantasmé ? C’est aussi une référence aux mouvements migratoires présents et à venir ?

Je suis à la recherche de quelques traces du futur dans cette brume d’informations et de préjugés qui nous assaille chaque jour. On peut dire que je suis profondément anti-francocentriste… Cette obsession que la France a pour elle-même, je trouve ça carrément indécent. Le futur n’est pas un parisien avec une application de la sécu dans son iphone, c’est une famille métissée Sino-Nigériane à Lagos avec les parents qui s’engueulent pendant que les gosses jouent à League of Legends. On a beau se donner cet air de pays progressiste, on a quand même Marine le Pen pas loin du trône, ne serions-nous pas finalement les petits bourgeois réacs du monde. L’avenir est ailleurs.

Es-tu du genre à écouter du rock tchécoslovaque ou du funk lituanien ?

C’est marrant cette formulation. Oui j’écoute beaucoup de disques issus de pays au rayonnement culturel plus mince que l’Angleterre ou les Etats-Unis. La Pologne particulièrement, qui a surement eu dans les années 60, 70 la scène Jazz la plus intéressante d’Europe … Et Israël aussi, ou pour des raisons évidentes, le message rock’n’roll a eu un très fort écho donnant naissance à de superbes disques. Je suis aussi très amateur de Cantopop, la pop de Hong Kong et Taiwan des années 70 et 80.

« Comment tu fais pour aller à Ibiza s’il n’y a pas du low-cost aérien ? »

Et le jazz dans tout ça ? Dans une interview tu conseilles même au lecteur d’acheter le ‘Bitches Brew’ de Miles Davies plutôt que ton album…

Et donc tu l’as fait ?

J’ai récupéré l’original il y a quelques années dans la collection de mon père. Il y a cette chanson de Bon Voyage qui s’appelle Sorcier des Aéroports : penses-tu que le développement des aéroports ait popularisé certains styles musicaux ?

Comment tu fais pour aller à Ibiza s’il n’y a pas du low-cost aérien ? Je pense que 48 heures de bateau et de train ça aurait pas mal calmé le développement de la Techno en Europe…

Les romans de gares (S.A.S.) ou ex-nanars de série B destinés aux salles d’attentes, ça te parle ?

Non je ne lis vraiment pas ce genre de trucs. Mais j’adore en général tout ce qui est de bonne facture mais de contenu inégal. Ça explique ma passion pour un film comme Alien, scénario de série Z réalisé avec un budget de film de série A.

Et la SF dans tout ça ?

J’adore l’humanisme qu’il y a dans la science-fiction, merci Isaac Asimov. Cosmos 1999 n’est toujours pas arrivé, on attend toujours… Je suis aussi fasciné par les écrits du courant dit de la contre-utopie, Bradbury, Huxley et surtout Orwell. J’en ai tiré une peur viscérale de l’uniformité et des diktats intellectuels.

Ne penses-tu pas qu’il y ait une panne des imaginaires dans la SF de nos jours ?

J.J. Abrams a niqué la SF, il mériterait bien la prison. Star Trek, Star Wars et avant ça Lost, avec six saisons sans chute…

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Pour en revenir à ta musique, places-tu la production au cœur de ton processus de travail ?

Certainement. Je suis fasciné par les techniques de production des années 70, maîtriser les outils et les modus operandi de cette période c’est un peu mon sacerdoce.

Y a-t-il des groupes français dont tu te sens proche musicalement ?

Musicalement proche non, mais il y a pleins de choses que j’adore, Adrien Soleiman, Grand Blanc aussi et La Femme bien sûr.

L’album est pour bientôt ?

Je ne suis pas vraiment attaché à ces histoires de formats qui n’ont plus trop de sens en terme de fabrication. Les artistes ont-ils vraiment plus d’intérêt sur douze titres que sur trois ou quatre ? Avant d’en arriver là, il y a un nouvel EP qui va sortir en septembre, dont un morceau Geographie qui vient de sortir. C’est un EP qu’on a fait assez vite derrière ‘Xingie’ pour ne pas rouiller après deux ans de travail sur ce dernier. L’amorce d’un autre départ…

http://bonvoyageorganisation.com/
En concert le 14 septembre au Badaboum

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