Une Australie conquérante où Bonnie Tyler aurait été élue présidente et où le calendrier s’arrêterait à l’année 1989 avant de recommencer à 1981, c’est grosso modo le rêve qu’a fait Alex Cameron et qu’il a transposé sur « Forced Witness », deuxième album à la gueule nettement plus FM que son prédécesseur. « Qui perd gagne » disait-on dans le round précédent. Cette fois, c’est peut-être l’inverse.

Il y a plusieurs manières de foirer une interview avec un musicien. La première d’entre elle étant d’accepter une interview trop vite, au simple prétexte que vous étiez fan du disque précédent. La deuxième : avoir déjà rencontré l’artiste par le passé et, pire que ça, en avoir gardé un bon souvenir. La troisième enfin : avoir cru que la première écoute, mitigée, du nouvel album, avait été mal branlée parce que c’était l’été, que vous étiez rincé, et que tout s’arrangerait comme par piracle (un miracle, en pire) à la rentrée.

« Forced Witness », deuxième album d’Alex Cameron, sort donc en ce début de mois septembre, presque en concurrence directe avec les come back d’Arcade Fire et de LCD Soundsystem, deux gros poids lourds de l’industrie avec lesquels l’Australien tente de rivaliser, à sa manière. Gros robinet de chansons FM rétro 80’s ouvert à fond, double ration de sax et passage chez Jacques Dessange pour se tailler une grosse permanente choucroute.
Comme on dit dans les debriefs de match, on ne va pas se mentir, mais on préférait lorsque Cameron montrait ses cicatrices à même la pochette, et que ses chansons étaient un peu moins ambitieuses ; ici tout est slow-tempo, les blessures du visage, littéralement, sont gommées et c’est à se demander si le témoin forcé de ce disque, finalement, n’est pas l’auditeur lui-même.

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Forcément, si vous êtes né(e) dans les années 80, il y a de grandes chances que ce disque vous tape dans l’oreille, puis par la grâce des connexions synaptiques, dans le cerveau. Grosse madeleine de Proust enfoncée dans vos souvenirs d’enfance, « Forced Witness » ne mérite pourtant pas (forcément) de prendre perpet’ : Cameron étant mille fois plus subtil et talentueux que d’autres gros mous de l’indie (cf le retour raté de War On Drugs sur son léthargique « A Deeper Understanding »), on se doute bien que l’artiste cache autre chose que des réminiscences fainéantes – comme par exemple un immense foutage de gueule. Mais bon, il faut quand même bien chercher.

Dans ses meilleurs moments, « Forced Witness » évoque la grandiloquence du « Achtung Baby » de U2 rejoué avec des instruments MIDI par Toto. Mais la plupart du temps, il réussit surtout l’exploit de faire penser à du Meat Loaf surdosé (et si vous ne connaissez pas Meat Loaf, disons que c’est grosso modo le Maître Gims du rock wagnérien) ; voire au « Nebraska » de Springsteen enregistré avec le No E Street Cred Band (fanfare et castagnettes à l’appui). On a certainement la main un peu lourde, mais difficile de trouver dans « Forced Witness » autre chose qu’un pastiche de karaoké étalé sur dix morceaux.

Plutôt que de continuer à s’exciter tout seul sur un clavier, appelons tout de suite Alex au téléphone pour tenter de mieux comprendre son virage à droite. Et comme on n’est plus à ça près, je vous le donne en mille : j’ai mal préparé mon interview et complètement raté ma première question, à la fois trop complaisante et pas assez sur la pente. Quatrième raison d’une interview foirée. Allô, Alex ?

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Bon, je suis le premier sur la liste des interviews ou pas ? [Il est 11h du matin, NdLR]

J’aimerais pouvoir te dire que tu es le premier, mais non désolé.

Première question stupide alors : disons que « Forced Witness » me semble assez étrangement ficelé, notamment au niveau des sonorités choisies.

D’abord je tiens à dire que tous les choix faits sur cet album sont consciemment réfléchis, tout est assumé.

Donc c’est complètement ok le gros virage 80’s ?

Ca, c’est surtout dû au choix des instruments, du matériel. En termes de songwriting, je ne regarde que rarement – voire jamais – vers une époque en particulier ; ma vision est plus organique à la rigueur, plus tournée vers les 70’s, mais bref : j’avais simplement pas assez de pognon à disposition pour enregistrer un album comme ça. Donc j’ai dû utiliser des synthés pour simuler les cordes. C’est toujours un problème de circonstances, plutôt que de goûts.

D’accord. Prenons par exemple Stranger’s Kiss, en feat avec Angel Olsen. On dirait un morceau de Pat Benatar.

C’est un superbe compliment, j’apprécie.

Nan mais j’ai l’impression d’être le premier à t’en parler, ça m’inquiète.

Nan, c’est juste que cette chanson, j’ai tenté de l’écrire comme le truc parfait à écouter en cas de rupture. Y’a l’emphase nécessaire pour avoir l’envie d’aller de l’avant et de se relever, quelle que soit la douleur qu’on peut éprouver. « Et toi qui m’as planté, tu pourras peut-être avancer sans moi, mais c’est pas mon problème », en gros c’est le sens des paroles.

Très bien. Le nom de l’album, « Forced Witness » (« témoin forcé » en V.F.), est-ce un clin d’œil à ta propre histoire, lorsque tu bossais comme assistant juridique ?

Plus ou moins oui. Je bossais pour un cabinet d’investigation, et des tas de dossiers de corruption ou de meurtres me passaient sous le nez, tous les jours, sans même que je l’ai décidé. Mais le constat fonctionne de manière universelle si je puis dire : on est tous quotidiennement témoins d’un gigantesque bordel qui nous laisse impuissant. Peu importe qu’on agisse ou pas, on y est tous confrontés. C’est là que débutent mes chansons, ce sont des petites vignettes dramatiques qui révèlent les actes monstrueux dont l’humain est capable, et à quel point ils peuvent impacter la société.

Depuis tes débuts dans des rades pourris jusqu’à cet album, disons ambitieux, as-tu réglé tes griefs à l’égard de l’industrie musicale ? Je me souviens d’une époque où tu affirmais que c’était un milieu globalement pétri d’enflures.

Mmmh… J’ai surtout utilisé l’industrie comme une métaphore, mais jamais décrié son fonctionnement dans mes chansons. Je suis davantage un storyteller qu’un musicien, si tu veux tout savoir.

Il paraît justement que tu as un projet de livre sur le feu [c’est une métaphore ça aussi hein, NdlR].

Effectivement. C’est en chantier, je manque juste de temps. Mais ça va venir. J’y tiens, en tout cas.

« La production de l’album tient beaucoup à mon amour du son de synthétiseur utilisé. »

Bon je ne sais pas comment ça se passe dans le reste du monde, mais à Paris tu es devenu la coqueluche de l’indie. Il y a eu ton passage au Pitchfork Festival, un showcase impromptu chez un disquaire où même Kevin Parker (Tame Impala) a ramené ses fesses… Bref, tu es devenu un winner. Tu le vis comment ?

Bon franchement, rien n’a changé. Toujours dans la même position : terriblement ambitieux, mais toujours empêtré dans des relations compliquées, avec l’envie permanente de faire mieux que ce que je fais. Franchement ravi si ça donne l’impression d’une grosse win, ah ! ah !

Le fait est que « Forced Witness » te présente, musicalement, sous ce qui semble être ton versant le plus positif.

Tant mieux si ça te semble gai ; moi ce que je sais c’est que les paroles sont archi glauques. Car le monde l’est aussi. Alors oui, certes, les mélodies sont plus enjouées ; c’est dû à mon envie de conquête du monde. Des tas de chansons font danser le bas du ventre avec des paroles terriblement dark ; moi quand j’écoute les chansons à la radio j’entends surtout des coquilles vides, un robinet d’eau tiède vaguement positif avec des paroles dénuées de sens, ça me semble mille fois plus violent que tout ce que je peux écrire. Donc j’ai un trou de souris pour exprimer quelque chose, parce que de nos jours, ne rien dire est plus criminel que de dire quoique ce soit.

Pour boucler avec la question du début, sur les sonorités 80’s, n’as-tu finalement pas voulu faire un « MTV album », un truc que des millions de kids auraient pu écouter entre 85 et 90 ?

Je vois… L’objectif c’est surtout d’écrire des chansons soignées et honnêtes. Et la production de l’album tient beaucoup à mon amour du son de synthétiseur utilisé. J’ai composé toutes les chansons pour qu’elles entrent en collision avec ce synthé.

Ouais donc si je comprends bien, « Forced Witness » est donc un immense cheval de Troie.

Absolument et 100 % vrai. L’idée c’était d’inséminer des mots, des paroles, dans la tête de l’auditeur, sans qu’il s’en rende compte. Les gens ne croient pas à la philosophie « dans ta gueule », tu peux leur hurler dessus, ça ne servira jamais à rien ; la seule manière de convaincre quelqu’un, c’est de faire en sorte qu’il arrive lui-même à la conclusion.

« Je voulais écrire des chansons qui touchent le maximum de monde. »

D’où le fait que tu ai foutu le côté low-fi de ta musique à la poubelle.

Correct. Je voulais écrire des chansons qui touchent le maximum de monde.

Et donc tu as écrit une chanson sur les chihuahua.

Ah. Ca parle de personnes qui croyaient qu’elles allaient être célèbres et adulées, et qui se rendent compte à la fin, quand tout a merdé, qu’elles ne sont que de petits chihuahua.

C’est parfait ça. Sans transition, qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour les prochains mois ?

Du boulot, du boulot, du boulot. Je veux bosser. Ecrire un maximum de morceaux, jouer, jouer putain, plein de shows partout.

Alex Cameron // Forced Witness // Secretly Canadian
https://alkcm.bandcamp.com/

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