Whitney c'est le projet de deux ex membres de Unknown Mortal Orchestra et Smith Westerns basés à Chicago. Voilà pour la bio. Vous pouvez arrêter là mais passons à ce premier album, ‘Light Upon the Lake’.

Parler de Whitney à Gonzaï, c’est s’inviter à un apéro auquel on n’a pas été convié. Naturellement, l’album devrait glisser sur le conduit des freaks. À son nom, certains auront même envie de se pendre avec leur jack. De même, parce qu’il défend une certaine idée du lyrisme, l’album est en pôle position pour attirer ces haters qu’on embrassera toujours sur la bouche. Reste que la pop, comme l’a écrit Nick Cohn, c’est du Coca-Cola (et parfois bien plus que ça).

‘Light Upon the Lake’ a moins l’allure d’une énigme qu’un secret hors d’âge. Il a la texture de l’artisanat et du bois centenaire. Il fuit naturellement son époque. La balaie comme on abandonne sa carapace et rejette un corps étranger (album de rupture). Certes, il a de fortes chances d’être repris dans une réclame vantant les mérites de vacances numérisées mais c’est en réalité un diamant de repli cotonneux. Une collection de balades folk qui pourrait éteindre un feu. Dont la douce fumée pourrait soigner n’importe quelle blessure. Au-delà de ses sonorités classiques et seventies (Neil Young et The Band), les plus beaux singles font vibrer ce truc qui nous a fait tant aimer le premier Foxygen (Jonathan Rado est d’ailleurs à la production).

Or, si l’album de Foxygen était la brillante démonstration que l’on pouvait rapiécer le cadavre sixties, il y a chez Whitney une alvéole soul tenace et véritable. Cette (blue eyed) soul se greffe ici avec la délicatesse qui manquait (mais ce n’était pas le but) à la prouesse Foxygen. La voix (blanche et affectée) qui s’éclipse et se libère par endroits œuvre pour la douce incantation. Sur les meilleurs titres (Golden Days, No Woman, Dave’s song), l’orchestration qui la soutient (trompettes en fanfare) arrive toujours à point pour enluminer ce qui, ailleurs, passerait pour de naïves suppliques et de faibles harmonies. Bref, le sens du songwriting de Whitney se mesure à cet envol qui manque cruellement à la vacuité de ses contemporains.

On ne l’invente pas, mais l’Amérique (ses fictions et personnages) a toujours été partagée entre une sortie hors de soi et le repli. Le premier est tout entier dehors, criard, furibard, dans l’éructation. C’est Neal Cassady, Iggy Pop, Lester Bangs. Des mecs dévalant la pente, tout entier dans la dépense et marquant le côté beat à chaque mesure. Or, une autre part couve toujours. Cet envers est ce qui guette l’énergie quand elle est épuisée. Cela ne signifie pas qu’elle est amorphe mais comme revenue de la cavale. C’est Jack Kerouac de retour chez sa mère, la prose égarée d’Hunter S Thompson au seuil des seventies, le vanishing point, l’élan brisé. C’est le temps de la torpeur, de la lente dislocation et de l’enfermement (l’album fut enregistré dans un appartement durant l’un des hivers les plus froids de Chicago). Or, dans la fiction américaine, avant l’enlisement définitif, brille toujours un ultime rayon, un éclat capable de nous ravager par son étrange beauté. Si l’on peut relire l’histoire de la pop américaine (et des trois premiers Velvet) à l’orée de ce duellum, Whitney vient peut-être d’offrir une nouvelle couleur à cet étrange repli. Et c’est finalement quand la pop se pare de soul qu’elle sait offrir bien plus que du Coca-Cola.

Whitney // Light upon the lake // Secretly Canadian
https://whitneychicago.bandcamp.com/

En concert au Point Ephémère le 18 juin

Whitney_-_Light_Upon_the_Lake

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