Ne vous fiez pas à leur dégaine de groupe de rock indé venu de Rouen : les deux membres de Vox Low ne la jouent pas profil bas, et sont déterminés à prendre enfin leur revanche. On pensait avoir affaire à de jeunes hipsters parisiens en jean skinny et anorak en polyester. Mais en fait, non. « Oui, c’est vrai, on n’est pas des jeunes premiers » rigolent Jean-Christophe (le cheveu long) et Benoit (le cheveu moins long): « Avec Benoit, on se connaissait depuis douze ans. On était potes, on a commencé à faire de la musique ensemble. Classique ». Histoire classique, oui, avec des hauts et des bas. Car Vox Low, c’est d’abord l’histoire de mecs qui ont jadis tenté de percer dans un Paris post-French touch et qui se sont un peu ramassés. Un groupe parmi tant d’autres qui a joué dans la seconde division de la scène française, qui a eu un passif avec le business du disque qui lui a laissé comme un goût d’inachevé.

Something is wrong

Pour reprendre l’histoire, il faut se mettre dans le contexte: Nous sommes en 2004, l’industrie musicale est encore florissante, la scène house française s’est noyée dans le champagne. C’est l’époque de l‘electroclash allemande, de l’éternel retour du rock, et une scène techno new-yorkaise pointe son nez : la déferlante DFA et LCD Soundsystem. Jean-Christophe a vécu cette époque de près: « je faisais un peu le DJ pour la Fabrique, un club sur le faubourg St Antoine, et de la musique dans ma piaule. Et ouais, c’était le tout début de DFA qui sortait ses premiers trucs, c’était un peu la révélation. Moi je bossais aux puces chez un disquaire, Copa Music. Il y avait un mec en face, spécialisé en rock psyché. Chaque jour, il me filait des piles de disques, je rentrais chez moi, j’écoutais tout. Je samplais, je me suis refait toute la culture post-punk qui m’avait échappé. De là j’ai commencé à faire mes premiers disques et ça donnait ces trucs un peu disco punk. »

Avec Benoit et d’autres musiciens, il forme le groupe Think Twice, et se retrouve signé chez F.Com, le label culte de Laurent Garnier. A l’époque Think Twice est l’un des rares groupes à allier influence punk et énergie discoïde en France. Très vite, il se retrouve propulsé sur le devant de la scène. Un peu trop vite, même: « c’était les débuts, on était encore fragile et on nous a un peu envoyé au casse-pipe. Pour notre premier live, c’était les dix ans de F Com et on se retrouve à la Cigale, direct. Ça commençait à buzzer de partout, on disait qu’on était les DFA Français. Sauf que derrière, bah, c’était sympa ce qu’on faisait mais ça demandait du travail encore. Du coup, ça a refroidi pas mal de monde qui s’attendait à un gros truc. La hype est un peu retombée. »

« Il y avait un mec qui chiait la porte ouverte pendant le concert et qui nous regardait jouer. »

Benoit, Jean-Christophe, et les autres membres de Think Twice s’accrochent et continuent malgré tout de tourner « c’était magique, on dormait dans des hôtels formule 1. On se souvient particulièrement de la salle des fêtes du coté de Sochaux devant quatre mecs. Un truc associatif tenu par des ex-toxico, très sympas. Je me souviens, en face de la scène, il y avait les chiottes, et il y avait un mec qui chiait la porte ouverte pendant le concert et qui nous regardait jouer. Ouais, ce mec soufflait dans son harmonica toute la soirée sur son chiotte, c’était l’enfer! Il devait y avoir cinq personnes ce soir-là, dont un vieux avec du pâté hénaff dans un sac plastique. Il nous en a refilé quand on est sorti de scène. »

Et puis, l’épopée Think Twice retombe pour de bon: « on a fait notre petit bout de chemin, et le label F Com s’est cassé la gueule. On a fait un deuxième album sur un petit label parisien, Dialect Records. On a refait un peu de live, et puis on est tous devenus papa, on gagnait pas d’argent, on avait tous un travail régulier. Et ça c’est essoufflé vers 2011 ». Les deux lâchent finalement l’affaire et l’histoire aurait pu s’arrêter là : Jean Christophe et Benoit se seraient tranquillement dirigé vers le cimetière des éléphants, là où des centaines de groupes, faute de reconnaissance, s’entassent. Mais dans toutes ces histoires de losers magnifiques, ce que l’on aime le plus, c’est quand les héros reviennent d’entre les morts, non?

Roue de la fortune

Comme Mickey Rourke dans le film The Wrestler, Jean-Christophe et Benoit ont pansé leur plaies et repassé en revue ce cirque qu’est l’industrie musicale. Ils se sont enfermés dans leur studio pour mettre au point, dans le plus grand secret, un des projets musicaux les plus inspirés et ambitieux qu’on ait entendu depuis longtemps : Vox Low.

Ils se mettent alors à pratiquer un Krautrock sous haute influence Can, mais avec un son ultra racé, classieux tout en injectant une bonne dose de drogues dures. Le tout servi dans un écrin de velours sexuel, armés de guitare Rickenbacker, de bass Relic Rebel et de synthé ARP Odyssey. Mais leur particularité, surtout, c’est d’être à cheval entre deux cultures: la techno et le rock’n’roll: « on a les deux cultures, moi je suis vraiment un enfant des raves de 91, grand fan de LFO, donc oui il y a cette touche là. Mais c’est vrai qu’on est quand même étonnés de tous ces retours de la scène dance » confie Jean-Christophe. Les influences froides de Joy Division, la chaleur de Gil-Scott Heron, mais pas seulement. Benoit énumère: « Pink Floyd, le Velvet, Lou Reed. Mais aussi du rock progressif, comme Genesis. Tu sais quand tu parles de Genesis, tout le monde se fout de ta gueule avec Phil Collins, mais leur disque ‘The Lamb Lies Down On Broadway’ de 1974 est un album génial! »

Et c’est là que ça fait réfléchir. Sans rien demander à personne, juste pour le plaisir, ils expérimentent dans leur studio des messes noires électroniques qui raviront, à leur grand étonnement, des curators prestigieux comme Laurent Pastor (boss du label Astro lab recording.NdA), Ivan Smagghe ou Andrew Weatherall. « Ca fait seulement deux ans qu’on a recommencé à faire de la musique, rien de plus que des tourneries qui durent 15-20 minutes très inspirées par Can où on se lâche. On a tout foutu sur Soundcloud»

« On préfère sortir des EP »

Repéré par Laurent Pastor pour leur morceau I wanna see the light, remixé par Ivan Smagghe sur une compilation maison, Vox Low se retrouvera ensuite sur le label Correspondant de Jennifer Cardini, qui s’est entiché d’eux. Résultat : l’EP ‘Someting is Wrong’ avec des remix sulfureux par les Italiens de Boot & Tax ou l’espagnol Javi Redondo. Jusque-là sympathique groupe de papas Kraut, le groupe devient membre de la fascinante scène des Nouveaux Punks : une famille musicale underground restreinte, racée, érudite et novatrice. Suivra un autre maxi pressé à cent vinyles: « assez dingue, en un week-end tout est parti ». On attend encore la suite sur Correspondant, mais pas d’album en vue: « on est un peu frileux par rapport au long format, c’est beaucoup d’énergie pour peu de résultat au final. C’est tellement éphémère: tu te tapes trois semaines de promo et puis ça disparaît d’un coup. C’est ce qui c’est passé pour Think Twice à l’époque: ça nous a demandé beaucoup d’énergie, couté beaucoup en émotions. Tu donnes, tu donnes, et au final et tu t’en prends plein la gueule. On préfère sortir des EP ».

Prochaine étape: d’autres maxis à venir comme celui de ‘Trapped on the moon’ (déjà soldout) et du live comme prochainement à la Maroquinerie avec Camera et Fujiya & Miyagi, ou voilà quelques mois au Andrew Weatherall Festival à Carcassonne : « lui aussi adore ce qu’on fait. C’est assez magique, c’est inattendu, en plus il faut savoir qu’on avait pris le parti de ne pas démarcher, de ne jamais demander quoi que ce soit, on n’a pas envoyé de démos, ni rien, on s’est plutôt dit : laissons faire les choses. Ca viendra ou pas, mais on va pas courir après ».

La voie du lent

Un autre projet, qu’ils aimeraient concrétiser, c’est bien sûr le cinéma. Une évidence, à l’écoute de leur musique. Leurs références coté septième art ? : « Wim Wenders, Lynch, Carpenter, Argento. On adore tout le travail de Jim Jarmusch aussi. Ce qu’il fait avec son groupe SQÜRL, sur la B.O du film Only Lovers left Alive ». C’est vraiment le genre d’ambiance qui nous plairait, c’est sûr».

Alors les mecs, en fait Vox Low c’est encore un groupe de niche pour trentenaires fans de musiques tristes ? « Bah, c’est marrant que tu dises ça, c’est ce qu’on pensait aussi. Mais quand je mate les gens qui nous supportent, ça bouge beaucoup: récemment il y a le célèbre DJ Dixon qui a joué notre remix de Date With Elvis dans les soirées Time Warp, des soirées énormes. Du coup on se retrouve avec des kids de 18 ans. »

Vous l’avez compris: Kids ravers de 18 ans qui se prennent à coup de MDMA, trentenaires érudits fans de 13th Floor Elevator, papas dandys de province admirateurs de Gary Numan, parisiens bobo en jean slim passionnés de post punk: Vox Low, incarne l’entité du groupe de rêve. Comme peu d’autres avant lui, il a réussi le très difficile grand écart qui consiste à réunir des familles éloignés et peut désormais reprendre fièrement l’adage d’une pochette de The Cult : «Music for rockers, ravers, lovers and sinners ».

https://voxlowparis.bandcamp.com/
En concert le 23 septembre à la Maroquinerie (Paris) avec Fujiya & Miyagi et Camera (Gonzaï Night)

Article initialement paru dans le Gonzaï n°11 (soldout)

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