En dépit du temps qui passe et qui progressivement euthanasie la concurrence, Mathieu Lescop continue d’avancer sur la bande d’arrêt d’urgence de son autoroute à une voix. Après trois albums en douze ans, dont le récent « Rêve Parti », c’est l’heure d’une interview bilan pour le chanteur pop descendu de sa forêt noire.
Voilà une quinzaine d’années, ils étaient les maitres d’un royaume sans sujets, patrons d’un supermarché sans produits. Eux, c’étaient les nouveaux chanteurs de la pop française, dixit les Inrocks. Daho les invitait tous à sa table ; Paris n’avait d’yeux que pour Aline, La Femme, Mustang ou le plus visible d’entre eux, Lescop. Poussé par son single La forêt (4 millions de vues sur YouTube), l’ancien leader d’Asyl imposait cette pop noire qui savait faire un peu la gueule sur les photos promo, au point de signer sur le label du même nom, créé par Johnny Hostile et Jehnny Beth.
Puis presque dix ans sont passés, et presque tout sont tombés pour la France. Alors forcément, le troisième « Rêve Parti » sonne un peu comme un lendemain de gueule de bois. Changement de décennie, changement de label, changement d’heure. Pour Lescop, c’est toujours un peu l’hiver. Et alors que l’Humanité doit se farcir le retour pénible des Libertines et de Pete Doherty – encore plus déprimant depuis qu’il est sobre – le Français n’a pas dévié de sa route. Au point qu’à 45 ans, il peut désormais briguer une carrière à la Bashung, soit une possible victoire du temps long sur le tube éphémère. On en parle dans cette interview réalisée sans filtre, entre copains d’avant et monde d’après.
Nommer ton troisième album « Rêve parti », au-delà du jeu de mots qu’on aura tous compris, ça signifiait quoi pour toi ? Au final, nommer un disque c’est comme donner un prénom à son gosse. Pourquoi celui-là ?
A vrai dire, c’est la pochette qui m’a donné le nom pour l’album. Quand on a vu la photo de la pochette, il y a eu une sorte d’évidence, comme une nostalgie dans l’image de cette voiture luxueuse venue d’une autre époque et placée sur une remorque. Les roues sont crevées, tu auras noté. Je trouvais que cela racontait quelque chose par rapport à ma génération, à des rêves qu’on a eus. Et à titre personnel, le fait d’avoir changé d’entourage, d’avoir tourné la page des années Pop Noire […], c’était aussi la fin d’un rêve : celui de bosser entre potes venus du même endroit.
Pourquoi ce rêve s’est-il arrêté ?
Parce qu’il fallait que ça s’arrête, qu’on n’aspirait plus aux mêmes choses. J’ai donc repris les choses en main pour amener mon projet là où je voulais.
Tu as mentionné les pneus crevés de la pochette de « Rêve Parti ». Ce titre, cette pochette, était-ce aussi une façon de traduire positivement une certaine amertume ?
C’est normal, dans une carrière, de traverser des périodes de vague à l’âme. Cette période de regrets, c’est comme quand une histoire d’amour se termine, la vie continue et cela m’a permis de sortir du rêve, revenir au réel et être vraiment moteur – pour rester dans le lexique bagnole. C’est en reprenant le projet à zéro que j’ai compris ce dont j’avais vraiment envie. Il y a d’abord eu mon autre projet Serpent, et puis les chansons de « Rêve Parti » sont arrivées naturellement.
« Me pointer à un défilé Hedi Slimane ou à une soirée Yves Saint-Laurent, c’est une façon de revendiquer l’existence des gens comme moi ; parce que je viens d’un milieu qui était jusque-là invisibilisé. »
Tu occupes une place dans la musique française assez atypique : tu as été un temps le fer de lance d’une véritable scène pop (Aline, Mustang, Adrien Viot, etc) qui s’est progressivement dissolue. Et toi, 45 ans, tu continues encore et encore alors que si l’on s’en tient aux standards jeunistes du « rock », une fois passé 35 ans, on n’est plus bon à rien.
Peut-être parce que justement je n’ai pas fait que du rock. La musique que je fais, je considère que c’est du « rock » même si le terme est tombé en désuétude. Si j’arrive à m’inscrire dans un temps relativement long, c’est certainement parce que j’ai su changer de direction, alterner musique, théâtre, écriture, cinéma, d’Asyl à Serpent, etc.
A la fin de la tournée de mon deuxième album, je sentais que j’allais commencer à tourner en rond. D’où le fait de multiplier les collaborations. Et c’est là que j’ai finalement compris que Lescop était simplement un avatar essentiel qui me permettait de m’exprimer, peu importe le nom du projet. Mais c’est vrai que de ma génération… il ne reste plus grand monde. Et encore, au moment de La forêt, j’étais plus vieux que tous ces gens-là ! La Femme, Jean Felzine… c’était déjà une génération plus jeune que la mienne.
A l’inverse, ne faut-il pas oublier sa propre jeunesse pour faire carrière ? Dans ce que je lis sur toi, on te ramène souvent à ton plus gros tube, La forêt. Un titre sorti en… 2011.
Je ne renie rien, j’assume complètement d’avoir une histoire. Et finalement, heureusement qu’à 45 ans j’ai un passé. Si je débarquais aujourd’hui, ce serait mille fois plus compliqué de faire parler de moi avec « Rêve Parti ». Il y a des choses qu’avec le recul je ferais différemment, mais finalement pour un petit punk de province, je ne suis pas trop mal débrouillé.
Pour le coup, il n’y a pas de vrai single sur ce nouvel album, mais il est très équilibré et, selon l’adage journalistique, c’est « un disque qu’on peut écouter du début à la fin ».
Je te trouve dur sur l’absence de single, aha ! [Lescop a raison, Les garçons restent en tête] Moi je pense chanson par chanson, et c’est à la fin que je prends conscience du lien entre elles et que je peux dérouler le fil d’Ariane.
Si l’on parle des thématiques abordées, et sans dire que tu bosses à la déconstruction masculine comme Eddy de Pretto, tu abordes la question du genre de façon intéressante sur Les garçons.
Dans Kid, Eddy de Pretto, il parle de lui ; c’est une chanson vécue de l’intérieur. Sur Les garçons, j’observe de l’extérieur avec un regard plutôt tendre sur un certain type de mecs qui est remis en question aujourd’hui. Les machos, les hommes patriarcaux ont tendance à disparaitre, c’est vrai, mais j’en ai fréquenté à un moment de ma vie, des gros durs, et je sais que la plupart cachent en vérité une énorme fragilité. On parle souvent de leur dureté, voire de leur violence, c’est vrai. Mais ces attitudes masquent souvent quelque chose de plus profond.
Et à l’inverse, il y a La plupart du temps en duo avec Izïa. Un titre qui fait clairement écho à cet autre duo entre Marc Lavoine et Catherine Ringer, Qu’est-ce que t’es belle.
Alors là, bravo. C’était très clairement la référence pour ce titre. Pour moi, Qu’est-ce que t’es belle c’est l’un des duos les plus réussis de la pop française. Quand je bossais sur ma maquette, je trouvais qu’il manquait quelque chose, un dialogue, un point de vue en ping-pong à écouter comme une lettre d’adieu. Le duo avec Izïa est né comme ça.
L’intégrité artistique, c’est une valeur importante pour toi ?
L’intégrité, c’est ce qui construit un artiste, mais c’est très subjectif. Vu le milieu d’où je viens, je sais que j’ai été beaucoup critiqué par les gens du rock indépendant. Au moment de La forêt, beaucoup m’ont tourné le dos, on m’a traité de vendu parce que le titre fonctionnait. Même si je viens de la middle class, je suis d’abord un prolétaire. Alors aller à un défilé Hedi Slimane ou à une soirée Yves Saint-Laurent, c’est une façon de revendiquer l’existence des gens comme moi ; parce que je viens d’un milieu qui était invisibilisé jusqu’à ce que débarquent des gens comme La Femme ou Aline. Y’avait tout un tas de gens qui faisaient de la musique et qu’on ne voyait nulle part, alors même qu’avec Asyl on tournait dans la France entière. Montrer cela et brandir ça comme un étendard dans des endroits où l’on ne m’attendait pas, c’est une fierté. C’est ça, mon intégrité : je suis rentré très jeune dans un groupe dont j’étais fan, c’était Asyl, et j’ai réussi à en devenir le chanteur. Je ne veux pas trahir ce gamin de 17 ans.
« La new wave pour moi, c’est d’abord de la pop française post-punk. »
Depuis 15 ans, tu es catalogué dans la section « new wave », et c’est même encore écrit dans la dernière bio qui accompagne « Rêve parti ». En même temps, j’ai l’impression que ce n’est plus du tout ce que tu fais. J’aurais plutôt appelé ça de la « mini-pop », au sens de pop minimale.
La new wave, oui… au sens large. C’est comme tous les termes, c’est forcément réducteur. Pour moi, c’est une façon d’écrire la musique. La new wave pour moi, c’est d’abord de la pop française post-punk – je crois que j’aime bien cette étiquette en fait ! New wave ça me va très bien, ça renvoie autant à Daho qu’à Deux qu’à Joy Division ou New Order.
Ca pourrait presque aussi expliquer ton choix d’être toujours fringué en noir façon Hedi Slimane : avec le minimalisme du noir, on évite toujours la faute de goût.
Vrai. Ce n’est pas que j’évite systématiquement la faute de goût, mais parfois j’entends certains disques avec un truc en trop, qui dépasse. Parfois qui peut le moins peut le plus.
Est-ce cela qui explique cette « maigre » discographie de seulement trois disques en 12 ans ?
Peut-être. C’est comme ça. Si j’avais pu enchainer plus rapidement après « Echo », je l’aurais fait. Mais la situation de l’époque ne le permettait pas. Et peut-être que finalement, j’aurais fait l’album de trop !
J’ai une dernière question conne : tu connais cette couverture du magazine Actuel avec la punchline « Les jeunes gens modernes aiment leurs mamans » ?
Oui bien sûr. Tu vas me demander si j’aime ma maman ?
Exactement.
J’adore ma maman. Pour moi, il n’y a pas de punk qui se respecte qui n’aime pas sa maman. Tous les chanteurs que j’ai rencontrés, comme Daniel Darc, avaient un rapport très fort à leur mère. Comme les rappeurs, finalement. La mienne, c’est quelqu’un d’incroyable.
L’autre question, c’était de savoir si tu pensais aujourd’hui appartenir à une famille.
Aujourd’hui, oui. Je me sens proche de toute la clique qui gravite autour de mes projets. C’est ma famille disons, recomposée.
Tu as réuni des gens autour de ta solitude, en résumé.
Ce n’est pas faux. Je suis plutôt loup solitaire. Ou alors disons que j’étais un jeune lion, et que je suis devenu un vieux loup. J’ai besoin de vivre à l’écart et de me tenir un peu à distance des meutes. C’est peut-être pour cela, aussi, que faire partie d’une scène, cela m’a toujours un peu angoissé. Je repense souvent à ce dialogue de Heat de Michael Mann : « pour être un vrai gangster, il faut savoir tout plaquer en 30 secondes ». Pour être un vrai chanteur, c’est pareil : il faut être un ninja. Un loup-ninja.
Lescop // Rêve Parti // Wagram`
En concert le 4 avril à la Cigale
4 commentaires
part a kiev
un ninja ‘tuné’
kimgordon faisait flippée, now frippée!