Pourquoi faire un album de techno en 2012, pourquoi aligner dix plages d’instrumentaux mutiques affublées de sobriquets tels que Lowly Spock Zaat ou Flux et appeler l’ensemble « Ssss » ?
Prenons Single Blip par exemple. Ca fait La Tchoum La Tchoum La Tchoum (pour vous aidez à entendre, le « La » est joué par un synthé analogique et le Tchoum c’est un kick sec et sans fioritures) sur quelques mesures. Puis on a un Si Tchoum et c’est reparti pour un tour. Quelques blips, un grincement de chaise de temps en temps, puis on rajoute un snare sur le La (en réalité les notes sont Do# et Ré). Les mesures sont dorénavant relancées par ce qui pourrait être des bruits de machines à vapeur ou bien de portes pneumatiques qui s’ouvrent du genre de celles utilisées dans La guerre des étoiles avec un petit gimmick de rien du tout sur trois notes. Et petit à petit je comprends certaines choses. Il semble il y avoir beaucoup de monde dans ce petit morceau de rien du tout. L’écouter c’est contempler une usine au travail, une chaîne de montage animée par des robots avec des bras articulés, chacun vissé à une tâche bien particulière.
Sur la chaîne donc, un morceau de techno minimaliste, dont on assiste à la création, un peu comme dans certaines publicités pour les voitures avec les robots qui peignent les carrosseries.
Un monde inhumain, disons un monde où la tâche de l’homme se résume à la programmation de la séquence, Gore et Clarke qui par mails interposés s’envoient les différentes strates qui finiront par s’empiler pour former tel titre – ils ne se sont jamais retrouvés dans le même studio pour travailler sur cet album. Les boucles sont lancées, en voici la restitution sonore sur disque. A se demander ici s’ils n’auraient pas pu au lieu de ça publier les fichiers commandants aux machines. Au lieu des Mp3 les fichiers Reason. Au lieu de l’écoute passive sur Youtube, voir les synthétiseurs s’animer en live dans le logiciel, les petits briquettes de couleurs qui s’empilent, avec les réglages des blips, que l’auditeur puisse aussi s’amuser un peu à triturer l’ensemble. Mettre un peu de bordel là dedans.
Parce qu’il y a quand même une impression de rigidité. On peut même se demander si la fonction de cette musique n’a pas été de remettre de l’ordre dans des têtes fracassées par la drogue. Un programme de réhabilitation du chaos. Plein de petites machines qui viendraient réarranger les neurones barrés de travers : en tout cas voilà l’impression que ça me donne. Sensation d’avoir des robots-insectes pénétrant mes oreilles pour venir me remonter le cerveau. Ecouter au casque, VCMG semble former un cordon sanitaire contre le désordre protéiforme de la vie organique. Contre les rues crades aux trottoirs défoncés, les lueurs sales des néons rouges et la masse des personnes affairés que nous croisons sans les connaître, une bulle d’ordre et de symétrie. A partir de ces considérations, il m’est difficile de conclure quand à la valeur de l’ouvrage. Techno néo-classique à la conception impeccable, davantage évocatrice d’une fourmilière mécanisée que d’un dancefloor enflammé, certes. C’est pas vraiment du Magic System, c’est pas du « bougez bougez ». Et toujours pas de réponse au pourquoi ce disque. Bon disque ? Finalement tout dépendra d’où vous placer la mort et l’inorganicité dans votre échelle de valeurs. C’est un disque qui ravirait H.P. Lovecraft, même si bien entendu il finirait par y entendre entre les lignes les mélopées de quelque cérémonie très ancienne, l’appel d’un culte secret et ignoble. Ce qui pourrait être un début d’explication.
VCMG /// Ssss // Mute (Naïve)