Il aura fallu attendre la mort de Jukebox Magazine, 36 ans après ses débuts, pour que l’un de ses membres ne se décide à sortir son premier album. Voici donc l’histoire du « First Ride » de Marlow Rider, un homme à la banane rencontré par l’auteur de cet article, quelques années plus tôt.

On savait que l’on était au bon endroit lorsque on apercevait la Harley noire de Jean-William Thoury devant l’entrée de l’Espace Champerrey dans le 17ème arrondissement. Il fallait alors descendre les escaliers, et Pierre Layani ou Christian Eudeline tenait la caisse. J’étais content de les rencontrer, enfin.

Il est toujours étrange de travailler pour un journal, d’échanger longuement avec certains de ses membres par mails, principalement le rédacteur-en-chef et le secrétaire de rédaction, sans les avoir jamais vu. Enfin, si, j’avais passé un « entretien d’embauche » avec Jacques Leblanc dans les locaux de Jukebox Magazine en 2017. A l’entrée, j’avais croisé un charmant personnage à la banane poivre et sel, accompagné de sa moitié, une charmante jeune femme. Ce fut ma rencontre avec Tony Marlow, responsable des abonnements à Jukebox.

Je montai d’un étage, et au milieu d’un immense bureau recouvert de disques et de bouquins se trouvait Jacques Leblanc. C’était un personnage au visage sympathique, mais à l’allocution directive, presque cinglante. C’est que Jacques était une institution de la presse musicale depuis ses débuts à Best à la fin des années soixante. Il avait fondé Jukebox Magazine en 1984 avec Jacques Barsamian, autre autorité de la presse musicale (Extra, Rock & Folk…) et Jean-William Thoury, l’homme derrière les textes du trio magique Bijou, également chroniqueur régulier à Rock & Folk.

Jacques Leblanc me sourit, me serra la main, et me dit : « Alors c’est toi Julien Deléglise ? T’as compris l’esprit de Jukebox ? » Je lui répondis que je lisais le magazine depuis mes douze ans, et qu’il m’avait fait découvrir des groupes formidables et forcément vintage. C’est grâce à eux que je devins fan de formations aussi diverses que Black Sabbath, Jeff Beck Group, Variations, Savoy Brown… Et qu’un gamin de douze ans au milieu des années 90 puisse devenir fan d’un vieux groupe de blues anglais oublié de la fin des années 60 grâce à un article était un bel exploit.

Jacques Leblanc me parut flatté par ce compliment aussi sucré que sincère. Il me répondit avec toute sa sentence : « Ecoute, on a lu tes articles. Jean-Wi (Nda : Jean-William Thoury) m’a dit qu’un mec qui était capable d’écrire dix pages sur le premier album du Jeff Beck Group doit être embauché. T’es pris. »

J’ai donc commencé mon aventure avec Jukebox Magazine, cette institution que j’admirais tant. Je faisais partie de ces spécialistes du disque, et c’était aussi enivrant qu’effrayant. Car il fallait être à la hauteur. Je le fus, je crois, en transpirant de toutes mes connaissances ingurgitées passées et présentes.

J’eus dès lors ma place, grâce à quelques articles et chroniques. On me confiait les rééditions obscures de heavy et de jazz-rock, dont les sorties me parlaient pour la plupart. J’avais aussi ma rubrique mensuelle sur le stoner-rock, avec sa production vinyle généreuse. J’avais convaincu Jacques de cette ouverture vers l’avenir de la musique de niche, des fans spécialisés. Et il aimait cet ouverture d’esprit, brisant sa carapace de vieux fan de rock’n’roll du début des années soixante.

Ecrivant des ouvrages en parallèle, je décidai de venir à la convention bi-annuelle du disque de Paris, organisée par Jukebox Magazine. J’y fis la connaissance d’une multitude de personnages : Christian Eudeline, Pierre Layani, Jacques Leblanc, Jean-William Thoury, Grégoire Garrigues, Long Chris… Et puis il y avait Tony. Il était à part, Tony. Il avait son propre stand avec ses bacs de vinyles à vendre. On s’est croisé, et je lui ai acheté le pressage US original du premier album de Cactus.

Tony Marlow était un personnage du CIDISC. Son look rockabilly, sa banane impeccable, sa gueule en fil de couteau, posaient déjà largement le personnage. Il était aussi un musicien respecté ici, jouant régulièrement dans les shows de la convention depuis des années. Son look de rebelle à la Triumph tranchait avec sa gentillesse. Passionné de rock’n’roll 50’s et 60’s, il n’avait pas abandonné ses influences premières, à commencer par les Variations. Il vint ainsi à la rencontre du guitariste Marc Tobaly avec qui j’avais écrit la biographie officielle pour lui remémorer un concert à Ajaccio en 1972, celui qui lui donnera envie de devenir guitariste.

C’est pourtant comme batteur qu’il débutera, au sein des Rockin’ Rebels, signés sur le label Skydog de Marc Zermati en 1978 pour leur premier simple. le groupe sortira pas moins de trois albums d’un rockabilly teigneux plutôt ovniesque, sorte de Crazy Cavan & The Rythm Rockers français. Depuis, Tony Marlow n’a jamais arrêté, sous son propre nom en dans des groupes, jouant du rockabilly, du twist et du rock’n’roll des origines, reprenant notamment le répertoire de Johnny Kidd And The Pirates.

Depuis le Coronavirus et la disparition de Jukebox Magazine après 36 ans de bons et loyaux services en avril 2020, on ne s’est pas perdu de vue. Tony trépignait comme de nombreux musiciens de rejouer enfin sur scène, et de ne plus dépendre d’aides d’État faméliques. Il me fit parvenir en début d’année le premier album de son nouveau projet : Marlow Rider. Tony savait que le rockabilly n’était pas forcément mon truc, mais il me le garantit : celui-là allait me plaire.

Conçu en trio, Marlow Rider est constitué de Tony à la guitare et au chant, de Fred Kolinski à la batterie, et de Amine Leroy à la contrebasse, soit ses deux fidèles compagnons de route depuis de nombreuses années. Marlow Rider mêle le rock’n’roll primal avec des influences psychédéliques et blues que je connaissais de Tony, mais que sa discographie ne reflétait pas. Ainsi, Marlow est un amateur de Peter Green et son Fleetwood Mac et de Jimi Hendrix. Et on ne trouvait pas le premier album de Cactus parmi ses albums préférés par hasard.

Le résultat respire la captation en direct en studio. Musicalement, il est difficile de mettre en défaut un personnage et ses deux camarades à l’expérience aussi affûtée. Plus original, sortant davantage de son sillon habituel, Marlow Rider garde cet esprit rock’n’roll proche de l’os tout en conjuguant des influences musicales plus larges, habilement infusées. Jimi Hendrix est ainsi à l’honneur avec Hey Joe, dans sa version française par Johnny Hallyday. Tony lui insuffle un esprit rockabilly, le résultat est excellent, la voix de Marlow y étant également pour beaucoup. Le jeu de guitare est incisif sans vouloir se prendre pour Stevie Ray Vaughan. On trouve aussi une reprise en français de Purple Haze : Vapeur Mauve. Plus proche de l’original, le résultat est une vraie réussite.

Marlow a un côté Eddy Mitchell dans sa manière de reprendre les chansons anglo-saxonnes en français. Les adaptations sont roublardes, et sa voix a ce côté crooner que l’on retrouvait autant chez Schmoll que chez le Elvis des années 70. Tony a décidément un jeu inspiré, tirant sans prétention du feeling de son imposante culture musicale. C’est encore à Jimi que Tony rend hommage sur Jimi Freedom, à sa liberté d’expression, et à ses improvisations passionnées tout au long de sa courte carrière.

Sur Juste Une Autre Chanson d’Amour, c’est à Peter Green que Marlow fait un clin d’oeil. Le riff rappelle Black Magic Woman, mais le chant fait penser à Eddy Mitchell au sein des Chaussettes Noires. L’alliage est audacieux, mais marche particulièrement bien. Des références, il y en a tout un tas, alimentant ce rock’n’roll teigneux et acide : Clear Blue Sky, Sir Lord Baltimore, et de nombreux groupes heavy’n’psychédélique anglais et américains. C’est notamment ce que l’on retrouve sur l’instrumental Marlow Rides Again.

La dulcinée Alicia Fiorucci vient croiser sa gorge avec celle de Tony sur le boogie Mutual Appreciation, conviant musicalement Chicken Shack. Alicia n’est pas une chanteuse virtuose, mais son côté frais et petite teigne féminine contrebalance bien avec le timbre croonant de Tony Marlow. Jean-William Thoury signe le texte de l’inaugural Debout !, comme aux belles heures de Bijou.

« First Ride », premier album de Marlow Rider, est une belle surprise de cet underground rock français vivace, de cette scène intègre qui refuse de mourir. Tony Marlow, après des dizaines d’albums, et des centaines de concerts, n’a pas perdu la flamme, réussissant à renouveler magnifiquement son répertoire, et offrant un peu de lumière au milieu du bal des nazes des Victoires de la Musique.

4 commentaires

Répondre à ça fait 'baver' Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*
*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

partages