(C) Marina Viguier

Niché à deux pas de Caen dans le château du même nom, le festival Beauregard accueillait cette année plus de 150 000 festivaliers sur 5 jours. Très attendus, les garçons coiffeurs de Blur ont annulé leur venue au dernier moment. Pas grave. Nous sommes là pour voir Alias, responsable avec « Jozef » d’un des plus grands albums de 2022. Problème : on n’a rien préparé. Solution : se jeter à l’eau sans bouée, juste après avoir vu le concert du groupe sur l’immense scène du festival.

Je t’avoue que j’ai très mal préparé cet interview par manque de temps. On y va en mode bordel ?

Alias : Let’s go !

Allons-y, droit au but. Ton morceau What a Shame, c’est un hommage déguisé à Alan Vega de Suicide, non ? C’est une de tes influences ?

Alias : T’as peut-être un peu raison. Je n’y avais jamais pensé. De toute façon, je ne me fixe jamais une référence particulière pour un morceau. Pour moi, What a Shame, c’est une sorte de classic boogie, un peu « surf » avec du spoken word où je raconte une anecdote de Jozef, le personnage de l’album. Mais maintenant que tu le dis, peut-être qu’inconsciemment, j’ai fait le lien avec Vega.

Ta musique est assez fascinante. On sent énormément d’influences dedans, beaucoup de pistes différentes. C’est un énorme foutoir, mais tout a été magnifiquement digéré, et ça devient quelque chose de très personnel. D’où viens-tu ? Quel a été ton rapport à la musique pendant ton enfance ? On te faisait écouter Jefferson Airplane à 3 ans ?

Alias : Je viens d’Aix-en-Provence, et aujourd’hui je vis à Montréal. Mon rapport à la musique ? Je viens d’une famille de musiciens. Mon père me jouait des chansons de Walt Disney à la guitare quand j’étais tout petit. Il n’y a rien de très original là-dedans. Ma tante est prof de piano. J’ai baigné là-dedans, et de toute façon j’étais pas bon dans les études. J’étais même vraiment mauvais., donc j’ai pas eu d’autres choix que de me concentrer sur la musique. J’ai eu la chance d’avoir une famille qui m’a toujours soutenu, poussé là-dedans. Je suis parti au conservatoire pour découvrir le jazz pendant pas mal d’années, sans avoir aucune idée de ce vers quoi je m’embarquais. Grâce au jazz, j’ai compris plein de choses dans la musique de manière générale.

 « Jozef », ton premier album, est sorti il y a quelques mois. Aujourd’hui, tu joues au festival Beauregard, devant 30 000 personnes. Une première ou tu t’es déjà frotté à un public aussi nombreux ?

Alias : J’ai jamais joué devant autant de monde. Jamais. Je me chiais dessus avant d’y aller ! J’étais stressé. Dernièrement, on a fait un concert où on avait déjà « upgradé » le nombre de personnes. C’était dans un festival de jazz, à Montréal. J’étais surpris de voir qu’il y avait autant de monde, surtout dans un festival de jazz, parce que la musique d’Alias, c’est pas vraiment du jazz. Ils étaient restés, et avaient aimé ça. Ca m’avait touché, j’avais passé un très bon moment. En venant ici, j’avais une petite idée du festival, mais je ne réalisais pas. Déjà la taille de la scène !  

C’est grand ?

Alias : C’est énorme. Physiquement, déjà, quand je cours dans une petite salle, j’en peux plus. T’imagines ce que c’est sur une scène de cette taille. J’avais plus de poumons, mais c’était cool. J’aime ça. Je pouvais regarder les gens, échanger avec eux, voir leur réaction. Devant toi, t’as des familles, des personnes plus réceptives qui bougent énormément, des mecs qui se barrent pour prendre un sandwich… C’était vraiment une belle expérience. Je m’attendais pas à ça, je suis agréablement surpris.   

Sur scène, tu portes une combinaison de travail rouge, avec le nom « Jozef » derrière. Tu ne crains pas le petit côté Mario Bros ?

Alias : N’hésite pas à écrire que mon batteur ressemble à Luigi, car c’est vrai.

C’est comme si c’était fait.

Alias : Très bien. La combinaison, c’est une sorte de déguisement du personnage fictif de l’album, « Jozef ». C’est quelqu’un qui a plusieurs métiers, plusieurs couvertures, puisqu’il s’agit d’un psychopathe serial killer. Cette combinaison rouge est une couverture pour Jozef. C’est l’uniforme de quelqu’un qui fait des manucures pour chiens. Il se pointe chez les gens pour dire qu’il vient faire des manucures pour chiens. Tu réponds « Mais j’ai pas de chien », et en deux secondes, tu te retrouves ligoté. 

T’as besoin de concept pour créer ?

Alias : Concept, j’en sais rien, le mot est trop fort. Mais il faut toujours que je trouve une thématique pour écrire un album. J’aime pas écrire comme si j’empilais des singles. J’ai besoin de sentir que je suis dans un truc global, un peu comme si j’écrivais une sorte de journal quotidien. Ca va faire cliché, mais ça me permet de trouver une source d’inspiration. Cinéma, série, voyage, tout peut être le point de départ de quelque chose. Très souvent, c’est des long-métrages ou des séries. Dès que j’ai trouvé, j’ai écrit l’histoire d’un personnage fictif et je me suis dit « Faisons un album sur ce gars-là ».

Sur scène, ta musique est assez différente de l’album. C’est plus brut, plus puissant. Pourquoi ce choix ?

Alias : J’adapte. Obligé. Déjà parce que je suis très gourmand, et qu’en studio, je mets énormément de choses dans ma musique. Des guitares, des violons, beaucoup de synthés, beaucoup de percussions… Comment tu veux redonner cet effet là à 4 sur scène ? C’est juste impossible sauf si tu joues sur bande. De toute façon, même si on était 12 et qu’on refaisait tout l’album, je trouve que ça serait trompé le public. J’aime quand on est moins, qu’on décide d’accélérer les tempos, de mettre deux fois plus de « fuzz » dans le « fuzz ». Si je prends mon expérience, je te dirai que je vais jamais voir un concert pour écouter l’album. Je vais voir un concert pour voir un concert. Je veux que la personne me tape dans le ventre. J’aurais pas la prétention de dire que c’est ce que je fais, mais j’essaie de faire ça.   

Désolé d’en revenir à ça, mais ton album « Jozef » est hyper riche. On y entend des Beatles, du Shoegaze, du Ty Segall et un milliard d’autres choses. C’est quoi ta culture musicale, comment tu découvres tous ces courants ? Quels ont été les grands groupes de ton adolescence, par exemple ?

Alias : Les grands trucs de mon adolescence, c’est essentiellement du glam, du Bowie, du Queen. Je me suis pas vraiment calé sur les cds de mes parents pour découvrir la musique, mais j’imagine que ça m’a quand même nourri sans que j’y fasse attention. Ce que j’aime le plus, ça va être l’identité non identifiable d’une personne. Tiens, Thom Yorke, par exemple. Parlons de lui deux secondes. J’adore ce mec. Quand il sort quelque chose, je ne sais jamais ce qu’il va sortir. Et j’adore ça. Donc je me penche énormément sur sa musique. Dans le hip-hop, Tyler The Creator, c’est pareil. Je sais jamais ce qu’il va sortir. J’essaye de m’inspirer d’eux. Pas de leurs sonorités, mais de leur approche. Jack White, c’est pareil ! Le mec fait du classic rock, et tout d’un coup, il sort un truc avec Q-Tip d’A Tribe Called Quest. What the fuck ? J’adore ça quand ça n’est pas convenu.

Si je comprends bien, ton deuxième album peut très bien être du reggae estonien.

Alias : Avec de la cornemuse, aha !

« Jozef » est sorti fin 2022. Aujourd’hui on est en 2023. Les choses vont décidément très vite. As-tu déjà avancé sur le deuxième album ou restes-tu concentré pour faire vivre « Jozef » jusqu’à son dernier râle ?

Alias : J’ai avancé sur le prochain. J’aime ça, avancer. Mon équipe autour de moi essaye souvent de me calmer. Ils me disent que c’est important de ne pas se précipiter, d’éviter qu’une sortie se transforme en coup d’épée dans l’eau. On ne va pas se mentir, le « game » a un peu changé depuis le Covid. Depuis toute cette merde on ne sort plus les  choses de la même manière. On n’est plus sur l’ancienne école « Un album, une tournée, un album, une tournée ». C’est fini, ça. Maintenant, c’est plutôt « Un single, un autre single, un EP, un album »… Donc finalement, tu te retrouves à parler de la même chose pendant 3 ans, et au bout d’un moment t’as envie de changer, de parler d’autres choses. Quand je joue un album, je suis déjà ailleurs musicalement, mais j’ai toujours plaisir à le jouer. Faut savoir se calmer et se dire « Attends, t’as fait quelque chose de bien, va falloir aller le défendre en live maintenant pendant un moment ». Mais pour répondre à ta question, oui, je suis déjà ailleurs. J’ai déjà 12 démos, et je suis en mode « Deux salles, deux ambiances ». Le deuxième n’aura rien à voir avec « Jozef », je peux te le garantir.

Tu bosses avec Melville Music et Simone records. Qui fait quoi ?

Alias : Simone records, c’est mon label, l’équipe avec laquelle je travaille et avec qui j’ai signé il y a environ deux ans. J’ai eu de la chance, parce que j’ai signé dans un label pendant la pandémie. J’ai eu le cul bordé de nouilles pour ça, d’autant que c’est une super équipe. Je peux faire le lèche-cul un peu ?

Bien sûr.

Alias : Je les adore. Et Melville Music, c’est la boîte de Paco. Paco, c’est mon gérant, mais aussi mon éditeur et mon partenaire d’entreprise. Car on a une entreprise ensemble.

Ah oui ? Tu peux nous en dire plus ?

Alias : C’est une entreprise de films pornos, aha. Non, c’est bien sûr dans la musique, et ça s’appelle Alias Musique. Quand j’ai rencontré Paco, on travaillait dans XS, une boîte de composition. Lui sur la gestion et le développement, et moi sur de la composition. J’avais un boss. Grâce à ce boss, on avait beaucoup de demandes clients. De la pub, des documentaires. Je faisais beaucoup de musique à l’image, avec des briefs de mon boss. Paco était plus sur les aspects négociations, etc. Il s’occupait de tout ce merdier. Au moment où j’ai signé avec le label, on a décidé de monter une entreprise tous les deux. A ce moment-là, j’avais d’autres contrats de musique à l’image en dehors de mon job. Je n’arrivais plus du tout à gérer tout ça, je dépensais tout mon argent n’importe comment. Paco m’a dit « Ok, prends quelqu’un pour te gérer, hein ! ». On a monté une entreprise tous les deux pour pérenniser un peu ma situation. Très vite on a eu des contrats. J’ai fait la direction musicale du cirque du soleil, j’ai travaillé pour des séries, et pas mal de choses. On fait tout ça ensemble, à côté du groupe Alias.

Finalement, tu es multi-identités. Alias porte bien son nom.

Alias : On me l’a dit récemment. J’avoue que je n’y avais pas pensé, car je suis né avec ce nom là. Quand on m’a demandé « Est-ce que Jozef est un alias ? », ça a fait tilt. Tant mieux, finalement.

Tu es hyper productif. Ecoutes-tu aussi énormément de musique ? Es-tu un mélomane boulimique ou pas du tout ?

Alias : C’est un entre-deux. J’avoue que je découvre souvent de la musique en live. Puis je suis ces personnes, je cherche. J’achète leur merchandising, leur vinyles, etc. Mais à la maison, c’est différent. J’écoute souvent les mêmes trucs. Pas par fainéantise, mais parce que je veux mon petit vinyle de Billie Holiday, mon petit vinyle de Ty Segall, celui de Wu-Tang Clan… Je tourne toujours sur les mêmes albums mais j’ai découvert récemment quelque chose de « fucking cool ». Je peux leur faire un peu de pub ?

Vas-y, on se met en mode advertising.

Alias : C’est l’application Radiooooo. Avec plein de O. C’est une appli où tu as une map du monde, et des décennies en bas de l’écran que tu peux scroller. Tiens, il y avait quoi en Argentine dans les 80’s ou au Japon dans les 70’s ? Tu sélectionnes le Japon, les années 70 et l’appli te propose une playlist. J’ai découvert plein de choses comme ça, même si c’est assez fainéant comme démarche. Tu tombes sur des trucs incroyables, c’est une mine d’or le truc. Notamment pour tout ce qui est pays asiatiques. Le Vietnam dans les 50’s, tu vas découvrir des morceaux magiques.

Admettons que tu utilises cet appli et que tu regardes ce qui se passe à Montréal en 2023. Ca donnera quoi à ton avis ? Comment tu t’inscris dans la scène de Montréal, si elle existe vraiment.

Alias : Il y a une scène Montréalaise, c’est certain. Elle est à un carrefour de pas mal de choses. Montréal, c’est un peu le New-York du Canada. Par exemple, tu vas pouvoir y manger viet’, jamaïcain, etc. Musicalement, c’est pareil. Comme New-York.  Montréal, c’est pas vraiment une ville représentative du Québec. Musicalement, il y a quand même des vagues différentes. Celle de Montréal, celle de Toronto, et celle de Vancouver. Depuis 2020 à maintenant, si je devais citer un seul mec que j’aime beaucoup, je dirais Mac DeMarco. Très vite, comme ça. 

Au fait, tu joues avec quelle guitare sur scène ?

Alias : C’est une Fender Jazzmaster de 1987 japonaise. J’ai aucune attache aux instruments. Je les achète et je les revends. Quand je trouve une guitare que j’apprécie, je la garde. Parfois très longtemps. Jusqu’à ce que je trouve une autre guitare. Je suis pas comme ça dans mon couple, hein !

C’est rassurant pour tout le monde. Dernière question sur la pochette de « Jozef », qui évoque pêle-mêle du psyché de 67, Flying Lotus, une identité futuriste ou un disque électro. Bref, on ne sait plus trop. Qui l’a réalisée et y-a-t-il un message caché dedans ?

Alias : Elle a été conçue par Arnaud People, un bon ami de Montréal, illustrateur assez psychédélique que j’aime beaucoup. Je lui ai parlé de Jozef, de toute l’histoire du personnage. La couverture de l’album représente la chute de Jozef dans l’album. Ca correspond au moment donné où il est interné dans un hôpital psychiatrique, qu’il va brûler parce qu’il a perdu sa meilleure amie là-dedans.

Au fait, cette interview a lieu moins d’une heure après ta sortie de scène. Ca t’embête pas de répondre aux questions d’un journaliste juste après un moment aussi fort ?

Alias : Vraiment pas. Une heure, ça me laisse un peu le temps d’atterrir. Si ça avait été juste après le moment où je descends de scène, ça aurait été autre chose. Déjà, tu m’aurais dit « Tu transpires, tu ne sens pas très bon, peux-tu t’éloigner stp ? ». On serait forcément parti sur de mauvaises bases.

ALIAS // Jozef // Simone records
https://aliasbandofficial.bandcamp.com/

5 commentaires

    1. Perso je crois que c’est la première mais je peux me tromper. Vous avez des exemples concrets avant qu’innse retrouve un terrain vague pour en parler en Doc Martens?

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