Deux ans après le disque « B » et un an après un concert anniversaire douloureux, le leader maximo à gueule d’ange revient avec un opus (dei) solitaire. Nom de code : Turzi Electronic Experience. Plus proche de Jarre que d’Hendrix et plus près de toi Saint Thetiseur, le parfait prétexte pour une rencontre aérienne. C’est bien connu : là où y’a pas d’Oxygène, y’a pas de plaisir.

Notre dernière rencontre, c’était il y a un an, presque jour pour jour. Romain Turzi et son groupe tentaient tant bien que mal de fêter les quatre ans du groupe sur la scène du Point Ephémère transformée, l’espace d’un soir, en radeau de galériens. Groupe à deux doigts de l’explosion – c’était du moins mon sentiment, impression de faire face à un groupe de vétérans lassés du vivre ensemble, Turzi – le groupe – semblait comme fatigué de tourner sur lui-même, comme si – je cite mon propre papier de l’époque – « deux albums [« A » en 2007 puis « « B » en 2009] avaient suffi à faire le tour de l’alphabet ». Du krautrock incandescent des premiers jours, ne restait qu’une bande de copains fatigués par deux disques confidentiels publiés dans un pays qui ne comprend jamais rien à rien. Resterait tout de même une digne filiation avec les groupes laboratoire des seventies, un certain talent à sortir du cadre puis ce nom à cinq lettres qu’on évoquerait nostalgique en 2020, en se remémorant la contre-culture française des années 2000 ; mais bon tout ça c’était pour la postérité. Et en l’attendant, les raisons de parier sur l’avenir de Romain Turzi étaient bien minces.

S’il fallait résumer Romain Turzi en un mot, la persévérance serait un bon qualificatif. Marathonien perdu sur une autobahn, fétichiste de l’esthétique Kraftwerk et des embardées synthétiques, le parisien n’a jamais baissé les bras, en dépit des revers et des contraintes. Dans l’ombre de ce troisième disque « C » qu’on attend encore, Turzi façonne depuis deux ans déjà un virage, un voyage en solitaire, où le jeune disciple pourrait enfin laisser exploser au grand jour ses fascinations pour la musique électronique, la religion, la transe et KLF, les mathématiques modernes et la symétrie des notes étendues sur une partition. La conclusion de toutes ces adorations trop longtemps laissées au fond du placard, c’est un disque solo monté comme un side project : Turzi Electronique Experience, dit T.E.E., le tout mixé par le pro du clubbing, Pilooski. Radical. Pour mieux s’affranchir des passés et regarder vers un horizon où l’on devinerait le salut lointain de Jean-Michel Jarre. Loin, très loin, du hippisme des origines. Disque de rupture, donc ! Etonnant madeleine proustienne où Romain Turzi éteint l’ampli des guitares pour délivrer une messe des temps pressants, un drôle de mélange entre l’acid house des 80’s et le mantra chrétien porté par des mots tels que croissance, déviance, descendance, constance. En France, ce sera peut-être l’indifférence. Persévérance donc.

En arrivant ce matin au Point Ephémère pour l’interview, j’apprends que Roman Turzi n’est plus tout seul dans ce studio de répétition désormais partagé avec Sunn O))). On a connu pire colocataire. Plus discret aussi. Enfin bref. D’énormes enceintes tapissent les murs de ce petit espace et la fumée opiacée, jadis une marque de fabrique de ce repaire à freaks, a laissé place aux saines atmosphères. Ambiance de travail, concentration, méditations. Si T.E.E. ne répond pas à toutes les attentes du fan initial, la transe de Goa qui suinte littéralement par tous les pores de ce disque solo laisse entrevoir de nouveaux possibles, de nouvelles jonctions. Que cela soit avec la world synthétique de Koudlam ou avec la techno urbaine de Dopplereffekt. Au détroit, à la croisée des chemins, entre l’homme et ses machines.
C’est ainsi que l’interview débute, sur fond de révélations visionnaires (son envie de revisiter les chorales médiévales) et de confessions sur sa conception de cet art mineur. Chers lecteurs, si vous cherchiez encore le témoignage d’un musicien autant capable de théoriser sa musique que d’expliquer ses ambitions, les lignes ci-dessous sauront peut-être vous redonner la foi. Par delà les câbles et des circuits imprimés, un Turzi humain, après tout. Croyance et confidences : la bande tourne.

Comme sur chacune de nos rencontres depuis 4 ans, on est ici dans ton studio, à quelques mètres seulement de la scène du point Ephémère. Commençons par les choses qui fâchent, c’est ici que tu as donné, voilà presque un an, ton concert anniversaire avec Turzi, le groupe. Cela avait donné lieu à un papier plutôt dur de me part et je me demandais si…

Ouais ouais j’ai lu, t’inquiète pas… y’avait ma photo en gros, c’était cool. Sur le coup j’ai rien dit, je me suis dit « ah ouais, bon, voilà ». Mais bon…

Le chapitre consacré à Turzi n’était pas méchant, j’avais simplement l’impression que c’était la fin d’une période pour le groupe. Et quand je vois que tu sors aujourd’hui ton premier disque solo, finalement ça semble assez cohérent.

Pour moi, l’approche reste la même. Mais effectivement à ce moment là, Sylvestre (le batteur) et Arthur (bassiste historique et fondateur de Pan European) s’étaient déjà cassés et on devait tourner sur différentes formations, avec différents musiciens. Alors forcément le problème de ce concert anniversaire, c’est que c’était chiant  de jouer des morceaux faits avec d’autres gens avant.

Avais-tu conscience à ce moment là que tu étais en train de tourner la première page du groupe ?

Non, non. C’était simplement une évolution, c’est tout. On n’allait quand même pas jouer « A » pendant des années, ras le bol. Et le Turzi Electronique Experience, c’est pas la fin de Turzi, c’est juste un projet parallèle.

(Entre Turzi le groupe, Turzi le musicien et Turzi le side project, je suis un peu paumé) Bon alors c’est quoi le T.E.E., un projet solo ?

Bah… Justement je l’ai pas appelé Turzi pour le démarquer du groupe. Moi j’ai toujours fait ces trucs là [la musique électronique, s’entend] et y’en a toujours eu sur nos disques. Mais bon, sans dire que les gens du groupe étaient partagés sur l’électronique… disons qu’il y avait des musiciens qui aimaient bien la musique électronique et d’autres qui préféraient les morceaux rock. Et moi j’ai toujours voulu mélanger ces trucs là, mais [avec le groupe] on n’a jamais réussi, trop de machins, trop de matos. Sylvestre, par exemple, il a toujours refusé de jouer sur une pulsation qui lui était donné.

Donc le Turzi Electronique Experience, en fait c’est un peu ton « Kid A ».

Euh… c’est quoi le Kid A ?

Le disque de Radiohead où Thom Yorke s’engueule avec tous les musiciens du groupe à cause du virage électronique, un peu dictatorial.

Ah ouais ? Je connais pas trop. Mais je comprends tout à fait. Avec Turzi, notre principe c’était la liberté, avec le désir d’évoluer à chaque fois. Simplement jusque là on n’a jamais réussi à trouver le moyen pour que ce soit le batteur qui donne l’impulsion aux séquences, donc…

… donc là ton disque tu l’as fait tout seul ?

Ouais. Enfin avec Pilooski au mixage. Ca m’aurait semblé aberrant d’aller prendre d’autres musiciens, cette fois fallait que j’aille au bout de la démarche, tout seul. Ce disque, c’est l’aboutissement de – il compte – trente morceaux qui n’ont pas été retenus sur le tracklisting. Entre l’album que j’ai commencé voilà deux ans et celui qui sort aujourd’hui, il y a une énorme évolution. Moi au départ j’imaginais simplement de grandes plages électroniques ambiantes et puis de fil en aiguille, le défi est devenu de composer de vrais morceaux. C’est devenu plus excitant.

Comment t’es venue l’idée de ces mantras vocaux qui balisent la moitié du disque ? Je suppose que c’était, quelque part, le refus du chant…

Oui, carrément. Chanter, je me suis rendu compte avec « B » que j’aimais bien ça, notamment un morceau comme Baltimore. Mais là l’idée c’était de mettre mes tripes dans la musique, pas nécessairement dans la voix. Donc plutôt que de faire de belles phrases, je suis systématiquement parti d’un mot que j’ai multiplié en gardant les rimes, avec des progressions qui donnent tout et son contraire : gentillesse, politesse, grossesse, bassesse, etc… Pareil pour Croyance, où je suis plus dans l’énumération de mots qui finit par faire sens, à force d’être répété. Finalement c’est un peu la même chose qu’AeroDynamik de Kraftwerk, ou même Primal Scream qui vire les voyelles, j’aime bien cette forme de simplicité minimale, les anagrammes, la symétrie qui crée l’asymétrie. Et puis bon, chanter c’est quand même plus agréable quand t’as un groupe qui joue derrière. A l’inverse, la musique électronique que j’aime, elle est plutôt impersonnelle ; bon y’a toujours le coup du Vocoder mais c’est quand même la facilité.

Ca me fait penser à l’album solo de Jean-Benoit Dunckel, alias Darkel : refuser de chanter, n’est-ce pas aussi la peur du ridicule ?

(Il sourit) C’est bien pensé. La peur du ridicule, ouais… Pour assumer le chant, il faut être suffisamment à l’aise pour être capable d’assurer sur scène. Pour moi, le disque ne s’y prêtait pas, c’était pas comme ils disent souvent dans la presse « l’album introspectif qui révèle l’auteur, blah blah », comme j’ai pu le lire sur mon disque.

Ca me semble être tout l’inverse : tu sembles terriblement détaché de ton propos.

Bah oui. La part de moi, elle est davantage dans la musique que dans les mots, c’était un choix. Et j’ai pris des mots en français parce que j’aime bien la France, ça me semblait intéressant. J’allais quand même pas chanter en allemand – comme Kraftwerk – ou en anglais. Moi je tenais à ce que ce soit un disque français, mais pas au sens chanson française type maison de la radio.

Oui parce qu’il y a quand même peu de chances que ta musique passe à la radio, faut bien le dire.

Malheureusement. Et mine de rien, c’aurait été intéressant, avec ce disque, d’accéder à autre chose.

Trouves-tu, comme j’en ai l’impression, que ton disque se divise en deux faces ? D’un coté la première face, plutôt chantée, et la deuxième, plutôt instrumentale acid-house type Hacienda ?

Ca, je le lis à travers les impressions des autres. Le dernier morceau par exemple, En France, je voulais que ce soit un morceau « Barbès », très africain et tribal. En fait je trouve ça assez élitiste et réducteur de ne s’adresser qu’à un public indie pop qui ne s’est mis à l’électro – comme tout le monde – qu’en 2007, après s’être rendu compte qu’il n’avait plus le choix, parce que plus de rock, plus de sensations. On vient tous du rock, toi comme moi ou le public, mais on a tous du se rendre à l’évidence que c’était fini. En ce qui me concerne, je dois bien avouer que j’écoute plus beaucoup de musique, j’ai gardé les mêmes références qu’avant et je les exploite. Surtout les quatrièmes albums, ceux qui n’étaient pas les albums évidents de ces gens que j’ai pu considérer comme influents.

En parlant des influences, je me souviens précisément de ta discothèque, avec tous ces vinyles classés, non pas par genre, mais par pays. Sans dire que ton disque a des influences World, je suis quand même tenté de penser que Koudlam t’a pas mal inspiré, dans les emprunts aux « sonorités venues d’ailleurs ». Vrai ou faux ?

Oui, pourquoi pas. Après, moi je ne me suis pas naturellement mis à la musique africaine comme  d’autres membres de Turzi, moi j’en ai gardé un espèce de préjugé, sans même avoir les références, puisque j’en écoute pas. Pour moi cela représente une sorte de transe, une rythmique, une couleur sonore. Avant, c’est vrai qu’on était un peu bloqué sur le son psyché & synthé analogique, alors forcément ce genre de son je n’y avais pas accès. Et donc Koudlam, faut bien le reconnaître, nous a décomplexé sur l’utilisation des technologies numériques, comme le MIDI. (…) Il fallait évoluer, aller vers autre chose. Et puis à force de faire l’apologie de l’analogique avec du « viens que je te fais visiter mon studio et que tu peux toucher mon synthé pour palper du vintage », tu finis par devenir un nazi de l’analogique prêts à mettre 3000 € dans un mini-moog pour retrouver le son de Klaus Schulze…

Là aussi ton discours a changé. Je me souviens du dos de pochette de « B » où tu apparaissais seul en fish-eye dans ce même studio, entouré de tes machines et claviers…

Bah ouais. Mais à partir du moment où on a publié cette photo, ça a commencé à me travailler. Déjà tout le matériel n’était pas à moi, et puis ce qu’on aimait dans cette esthétique c’était surtout le fait de pouvoir travailler autour de plein de machines. On s’inspirait vachement de ça, en fait.

De vos débuts sur cette même scène du point Ephémère en 2006, période krautrock drogué, à « B » où tu as commencé à utiliser de nouvelles machines comme le Tenori-On jusqu’au Turzi Electronique Experience, j’ai l’impression que tu es constamment porté par la nécessité d’une rupture avec ta propre histoire. Comme si chaque nouvel album était une manière d’enterrer le passé. Vrai ?

Bah oui. L’autre fois je mangeais avec mon pote Arnaud Rebotini, qui me confiait que son album préféré c’était « A ». Il me disait regretter qu’on n’ait pas tenté le triptyque A+B+C. Mais on n’en est pas loin, on répète le « C », on est en train de l’enregistrer…

Ah bon ? Donc Turzi, le groupe, n’est pas mort ?

Ah pas du tout. Aujourd’hui le groupe c’est Matthieu – des Chicros – au synthé, Clément – de One Switch to Collision – à la basse et un nouveau batteur, Jérôme – du groupe Antilles. Avec cette formation, la guitare va certainement devenir de plus en plus abstraite, et sans vouloir devenir esclave de la boite à rythmes, on va sans doute s’approcher de la pulsion électronique, jouée par un humain.

Tu te rappelles la dernière fois qu’on s’était vu ici, après l’enregistrement de « B » ? Tu m’avais parlé d’un livre acheté à Londres, une sorte de manuel pour apprendre aux musiciens à rester en groupe, bref à éviter l’explosion…

Ouais, je l’ai prêté à des potes du groupe, ils me l’ont jamais rendu d’ailleurs. Tu devrais le lire ce livre, c’est intéressant…

C’est compliqué de rester un groupe, sur le long terme ?

Ouais… (il hésite) sauf que chacun, comme dans beaucoup de groupes, a ses aspirations du moment, ses influences, ses frustrations – et ça valait aussi pour moi – mais ça n’a pas pour autant donné lieu à un split. Avec certains membres de Turzi, on était simplement arrivé à un moment où on préférait rester potes plutôt que de continuer la musique ensemble.

On touche là la corde sensible de tout musicien : tu es désormais trentenaire et père de famille, avec trois albums à ton actif, et le temps de l’insouciance, de la précarité assumée, semble désormais loin derrière. As-tu senti passer le passage de l’état adolescent – la vie en van, les tournées – à celui de l’âge adulte, avec toutes les contraintes – l’intermittence, les responsabilités – que ça suppose ?

C’est très difficile à retrouver, cet état. A la rigueur, l’insouciance tu la retrouves dans un side project. Mais ça a beau être toujours la lutte, financièrement, je continue quand même, parce que ça continue de me fasciner, de me passionner, même si nos disques se sont jamais super bien vendus. Sans parler de sacrifice, c’est une forme de choix.

C’est quoi qui te porte, en tant que musicien ?

Je vais pas te dire que j’ai un rôle à jouer dans l’histoire, parce que je ne suis pas un messie, mais je considère que j’ai une mission personnelle, un truc à faire pour moi ; pouvoir repousser mes limites et aller le plus loin possible. La musique, j’y pense toutes les nuits, je m’intéresse à toutes les technologies. D’ailleurs à mon avis avec chaque nouvelle technologie on doit pouvoir être capable de créer le même postulat, le même discours, qu’à nos débuts avec « Made Under authority » et « A ». Tout est question d’enveloppe, dans la musique. Et je ne suis même pas certain, dans tous les morceaux qu’on a composé avec Turzi, qu’un seul puisse être considéré comme le truc ultime, le truc qui résumerait tout à lui seul. Ce morceau, j’ai pas encore l’impression de l’avoir composé, alors tout n’est qu’une histoire de tentatives sur tel ou tel mode musical pour y parvenir, comme une succession de pièces différentes qui essaieraient toutes d’aller au même endroit, dans chaque album. C’est cette insatisfaction perpétuelle qui reste le moteur de ma musique. Voire de ma vie.

Revenons à ton disque solo. Et plus précisément au titre Croissance, avec son introduction à la guitare au style reconnaissable entre mille. La question qui me démange, c’est de savoir s’il s’agit là d’un hommage à peine déguisé à Alpes et Catherine Ribeiro, ou plutôt d’un plagiat.

Hommage, complètement ! Certains pensent même au titre Alpes (le titre de Turzi composé pour « A », déjà un hommage en soi au groupe éponyme, NDR). Du moins sur les trente premières secondes, puisqu’après ça dérive sur autre chose. Paix de Ribeiro et Alpes, pour moi ce morceau il veut tout dire, il annonce cinq albums, c’est sur ce morceau qu’ils ont réellement touché du bout des doigts ce quelque chose d’indéfinissable, de magique, notamment sur la face B. C’est ce quelque chose qui m’a ému, chez eux, et qui continue de me hanter. Cette transe, ça m’intéressait de la foutre avec une ligne de basse hyper rapide, limite tuning belge genre électro d’entrepôt, pour faire le lien. Derrière Ribeiro, c’est encore une fois un hommage à Patrice Moullet (le compositeur méconnu de Alpes, NDR), le tout enrichi avec un vocoder. Mais pas un truc vintage à la con, hein, celui là c’est une autre version. Je te montre en deux secondes :

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Connaissance, Constance, Deviance… Avec tous ces morceaux en « ance » on s’y perd un peu mais il y a sur cet album le morceau Croyance où tu abordes le coté gospel, voire liturgique.

Je te rassure, moi aussi j’ai du mal à retenir le nom des chansons. Tu vois, par exemple la première (Connaissance, NDR) pour moi c’est Rock Monsieur – une face B présente sur la compilation Motors – de Christophe, avec la ligne de basse. Ce titre, c’est parti d’une reprise de Christophe, donc. Mais pour revenir à Croyance, plus qu’un titre chrétien c’est gospel, parce que c’est comme ça que le son s’appelle, et parce que c’est comme ça que je voyais cette musique. Pour moi, religion égal mantra, un truc complètement défoncé avec un skippy qui vient te dicter « tu vas t’endormir… », c’est le coté preacher face aux masses qui m’intéresse, le coté monotone des textes messes qui tait que tu t’endors, que tu divagues. Le rapport à la religion, c’est donc autant un regard vers le haut – l’élévation – qu’un regard vers le bas – la confession. Je me dis que si j’ai des remords dans la vie, qu’il m’arrive de regretter d’avoir fait du mal, quelque part c’est déjà une forme de croyance. Si j’étais un animal, je n’aurais aucune de ces sensations.

Le grand paradoxe, c’est qu’en dépit de ton attrait pour la musique de masse, ton disque ne passera jamais sur MTV ; en d’autres termes tu es encore loin du mainstream.

La musique de masse, aujourd’hui, c’est plus une musique commerciale. Mais j’ai tout de même gardé l’un des conseils de Marc (Tessier-Ducros, boss de Record Makers, NDR) qui me disait souvent pendant les enregistrements que la musique devait pouvoir plaire aux filles. Plus qu’aux barbus, qui sont déjà conquis. L’idée c’était de pouvoir faire comprendre la même bizarrerie à un nouveau public, que ce soit des nanas ou un public de transe, assez éloigné de l’indie rock parisien. Musicalement, moi j’ai le cul entre deux chaises et j’aimerais bien arriver à être reconnu, du moins écouté, par de nouvelles personnes. Quand je fais ma musique, je ne pense pas qu’à vous [traduire par : les journalistes rock parisiens], je pense aussi à moi, à mes envies.

En tant que grand fan de Sonic Youth, tu ne sembles pas partagé la grande philosophie du rock indé’ des 90’s, à savoir rester fidèle à une chapelle, un certain type d’audience, par principe.

J’ai toujours dit que ma musique ne se réduisait pas à un style, mais plutôt à une approche. Mon grand défi à moi, c’est de pouvoir aborder plusieurs genres et de pouvoir reproduire, non pas la même mécanique, mais la même émotion. Je suis complètement autodidacte, alors j’essaye de composer du Turzi à différentes facettes.

T’es tu tapé les reproches de fan hardcore qui n’ont pas compris les virages successifs de Turzi ?

Ouais. Ce que je me prends en pleine gueule, c’est l’incompréhension des gens alors que là c’est la première fois que je me lance dans un side project, contrairement aux autres membres du groupe qui font ça depuis longtemps. Moi je trouvais cool de garder le mot Experience dans ce projet, même si je suis pas un grand fan d’Hendrix, ça te renvoie au trip, comme l’acide, l’expérience qui t’ouvre les portes d’un monde.

Comment gères-tu, en tant qu’auteur de ce disque, les inévitables comparaisons qui fleurissent un peu partout entre toi et Jean-Michel Jarre ?

Ca m’insupporte, parfois. Ce que je vais dire est horrible, mais bon allez, en France les pauvres, ils ne connaissent que Jarre en musique électronique française, je vais pas leur enlever ça, parce qu’il y a des choses bien chez Jarre, mais y’a aussi d’autres choses en France. Dans chacun de ses albums, il y a une facette qui ne m’inspire pas, que je n’écoute pas. En revanche dans ces mêmes disques il y a quelque chose de fabuleux qui me touche directement : l’enveloppe, l’énumération des synthés, les grilles de lecture… Il y a l’aspect techno, le coté fan de synthés, de Klaus Schultze, la grille romantique type Château de Versailles, le baroque. Mais je m’entends bien avec l’homme. La semaine dernière, je l’ai croisé après mon concert au Silencio, il est venu me tapoter l’épaule pour me féliciter ; je suis assez content quand il me cite en interview pour parler des groupes qu’il écoute aujourd’hui.

Tu l’as rencontré quand, pour la première fois ?

Mon premier contact avec sa musique, c’était à Versailles quand il a joué sur la place d’Armes (en 1993, NDR). J’avais jamais écouté ses disques à la maison mais depuis ma chambre on voyait les feux d’artifices au dessus du château. Et puis il y a un voyage en van vers Copenhague, où Arthur et moi on a découvert « Oxygène IV » sous MDMA, mortel. Et lorsque Jarre a rejoué « Oxygènes » en 2007 avec le matos d’époque au théâtre Marigny – alors que Khadafi avait sa tente juste derrière – j’ai trouvé ça fabuleux. C’était joué en analogique, tout en live, avec l’humain au premier plan ; c’était la première fois que je voyais un concert de musique électronique des 70’s, en vrai. C’était une sacrée différence avec toute la merde à laptops, type Tangerine Dream. Tout ça pour dire que quand je l’ai croisé au Silencio, et comme mes couilles étaient bien gonflées par mon concert, j’ai fini par lui demander où il en était sur son album – ça fait trois ans qu’il est dessus – et je lui ai conseillé de faire appel à des mecs comme Arnaud Rebotini, Etienne Jaumet ou moi, des mecs qui touchent aux synthétiseurs analogiques et qui pourraient l’aider à le finir, son disque. Enfin bon, à chaque fois qu’on se voit on se dit qu’il faut qu’on s’appelle mais moi j’ose pas. Je me dis qu’il doit avoir des fans tellement lourds…

Comme chez Jarre, il y a chez toi ce coté homme Vs machines, très martial, l’idée que le compositeur n’a pas d’autre adversaire que la technologie. Comment fait-on pour dompter son égo, quand on pratique une musique si solitaire ?

Ca me gêne un peu de remettre ça sur la table, mais moi j’ai ce respect de Kraftwerk. J’ai beaucoup écouté, c’est très important pour moi, j’ai lu leur bio, et avant même de faire de la musique électronique j’ai tenté de comprendre leur approche, leur discours. Eux ils ne sont pas à danser sur scène comme Jarre ou David Guetta, il y a cette espèce de recul par rapport à leur musique, l’association aux machines, la dépersonnalisation robot. Une certaine prise de distance, où tu dois être en retrait par rapport aux machines, mais où la machine doit tout donner sur scène, ce qui revient à dire que tu deviens la machine. Alors pour moi qui ai construit mon petit environnement, ici dans mon studio, l’objectif ça a rapidement été de faire communiquer mes machines ensemble, d’en devenir le maitre, le tout sans passer par les ordinateurs. Après, si je flirte avec le mauvais gout numérique sur certains morceaux, les faux marimbas et tout le tintouin, c’est l’influence de Koudlam qui nous a tous décomplexé. Ca a été un gros coup de pied punk dans l’establishment.

Pour revenir au troisième album de Turzi, le groupe, ce fameux « C » dont on parlait tout à l’heure, tu aimerais le sortir quand ?

J’aimerais l’enregistrer avant le mois de janvier 2012, et surtout ne pas reproduire ce qu’on a fait avant. Actuellement on a ce truc, un émulateur II, une espèce de grosse machine bleue, qui fonctionne avec des grosses disquettes d’origine [il montre les disquettes en question, effectivement plutôt impressionnant], plutôt année 80, qui possèdent une énorme chaleur, une présence comme sur les premiers Depeche Mode. On aimerait intégrer ça à une batterie électronique qui, limite, jouerait des mélodies, puis une basse bien martiale, le tout soutenu par une guitare presque hard-rock, agressif bas on va dire pour résumer, drone par moment. Et je chanterai dessus, avec la phase forcément compliquée qu’est l’écriture des paroles. Et surtout, surtout, un enregistrement en prise directe. Ca, on ne l’a jamais fait. Avec le recul, je trouve que « B » est plus réussi que « A », niveau production. Peut-être que les gens ont préféré les chansons de « A », mais la production est chiante à écouter, trop rapide ; à l’inverse « B » me semble plus osé, moins naïf, avec plus de relief. Mais « C », ce ne sera pas A + B, ce sera encore autre chose.

Tu comptes garder le délire alphabétique avec des morceaux qui commenceront par la lettre C ?

Ouais, ouais. On avait déjà dit dans les interviews qu’on pensait prendre des noms de fromage, mais avec l’utilisation du sampler, peut-être que finalement on sera plus sur des fromages sous-vide : Chavrou, Caprice des dieux, Chaussée aux moines, etc… Le fromage d’industrie, quoi, le 2.0. C’est tellement so pas fresh… (sourire).

Me reste une seule question, qui a plus à voir avec toi qu’avec ta musique. Voilà déjà cinq ans qu’on se pratique en interview, et je te trouve étonnamment beaucoup plus cool, relax, qu’à vos débuts. Moins sur la défensive, plus à l’aise avec ta musique et la façon d’en parler. Tu es d’accord avec ce ressenti ?

Surement, ouais. Et tant mieux, je pense. Avant, j’étais sur la défensive et sans dire que le journaliste était l’ennemi on avait quelque chose à lui démontrer, fallait qu’on soit les plus cools pour se démarquer des autres. C’était pas une stratégie à proprement parler, mais je crois qu’on était un peu paranos. Et puis quand tu es seul en interview, c’est aussi plus simple. Faut aussi dire que je suis content de ce disque, et j’aimerais bien que ça se ressente dans les interviews. Moi je suis positif par rapport à ça, et puis il y a un véritable échange avec Pilooski, une vraie collaboration qui s’est apparentée à une confrontation musicale, dans le bon sens du terme. Alors que moi j’étais dans un délire complètement stoned, lui a tout de suite entrevu le beau dans ma musique, quelque chose enfoui sous la musique, un truc caché ; ça a été un véritable défi de le faire vivre.

Pour résumer, tu croyais plus à tes pêchés et Pilooski davantage à ta rédemption.

Peut-être. Moi j’y pense jamais à ce genre de choses. Comme je t’ai dit, moi j’ai grandi en face d’une église, à faire le con à la messe quand j’étais gamin. Et cela dit, le fait d’aller voir les petits vieux le mercredi après-midi dans le cadre d’une activité religieuse, ça nous permettait d’aller boire des bières et fumer des clopes. Et effectivement, quand tu sortais de là y’avait un truc en toi qui te disait que t’avais fait une bonne action pour le petit vieux. Alors bon, le coté « religieux déviant » qu’on nous colle depuis quatre albums… en dépit de titres comme Jesus has no place for the dancefloor, A notre père, Bethlehem ou même Croyance, moi j’y pense jamais.

Crédit photo ouverture: http://www.myop.fr/fr/serie/stephane-remael-portrait-de-romain-turzi

Turzi Electronique Experience // Education // Record Makers
http://www.myspace.com/turzi

T.E.E. – Connaissance by RecordMakers

14 commentaires

  1. Bonne interview, ça fait quand même du bien de lire un mec qui a un propos qui tient la route. Je ne suis pas un fan inconditionnel de sa musique même si je me sens proche de sa démarche, de sa confrontation avec l’effet sonore. En fait je me fous un peu du résultat, ce que j’aime c’est sa manière de chercher, d’être artiste.

  2. Yes ! Tout à fait d’accord avec toi Serlach. Rare de lire des entretiens aussi riches, techniquement et humainement. Une part de Bester connaisseur et une autre de Turzi, volontaire, cultivé et libre.

    Perso, j’écoute l’album quasi tous les jours. Le côté mantra m’a un peu gavé au début puis au fil des écoutes je me suis dit que ce n’était pas une si mauvaise idée d’utiliser ce principe, très bien exposé par l’artiste d’ailleurs. Chacun peut y projeter ses propres rêves et démons intérieurs, faire sa propre psychanalyse … même si l’objectif de l’artiste n’a rien à voir avec ça. Des mots qui arrivent comme des touches de couleurs balancées à l’arrache sur la toile d’un peintre contemporain et qui finissent par prendre un sens dans l’inconscient de celui qui regarde l’oeuvre.

    Très bon album.

  3. Ya bon cette interview. Je ne connaissais pas ce type, et j’ai bien envie d’aller me plonger dans sa disco.

    Étonnant qu’il parle de Moullet, que je visitais avec mon père quand j’étais petit dans son blockaus sous le périph. Un type qui mériterait lui aussi un article. Ses instruments totalement uniques valent réellement le détour.

  4. Je suis tout de même très circonspect sur la si grande influence de Kraftwerk sur notre cher Turzi.

    Je ne sais pas. Pour moi Kraftwerk représente la pureté, la simplicité, les lignes géométriques, une forme de modernisme passé, tout plein de concepts surpers évidents à l’écoute et au regard que je n’ai pas jusqu’ici réussi à retrouver chez notre ami.

    Vu en concert à l’Elysée Montmartre, je me suis juste fait CHIER. Ca m’embête de dire cela parce que je trouve le propos et le personnage intéressants.

  5. Alors, deux choses:
    Si vous l’avez vu hier, c’était à la Gaité Lyrique (j’y étais) et c’était avec Code Napoléon, pas avec le groupe Turzi.

  6. Alors une chose : je parlais du concert release party de « B », dont la seule jouissance aura été de découvrir Koudlam se péter la gueule et détruire son ordi, laissant entrevoir bien assez de charisme dans son smoking blanc surdimensionné pour que tout le monde s’ennuie ensuite de Turzi.

  7. Alors une chose : je parlais du concert release party de « B » dont la seule jouissance avait été de découvrir Koudlam se péter la gueule et détruire son ordi, laissant entrevoir bien assez de charisme dans son smoking blanc surdimensionné pour que tout le monde s’ennuie ensuite de Turzi.

  8. Superbe interview ! A propos de Kraftwerk, de l’Europe et des jeux de lettres : TEE = Turzi Electronique Expérience, okay, mais est-ce que, du coup, on pourrait y voir un clin d’oeil à un autre TEE : Trans Europe Express ?!

  9. lors d’une soirée pan european recording en province,Mr turzi se vanta de s’etre fait faire une fellation par une groupie en direct lors d’un précédent DJ set.Le même soir judah warsky apparu plus cocainé que jamais.Quand au pseudo directeur artiste arthur peschaud il fut très sérieusement houblonner au point qu’il percuta la platine en y renversant une partie de sa bière.Bref nous avons assister à un DJ set lamentable et pas Professionel pour un sous.Cette caste de bobo hipster trentenaire parisien est pitoyablement décadant.Silvana

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