Il est dix-huit heures. Je m’immisce, chaland, dans le nouveau cinéma IMAX de la région parisienne (1), un volumineux et hideux Pathé. Ma situation est critique, la goutte d’acide sur ma peau grisonnante, la peur au ventre, l’idée terrifiante de ne pas pouvoir entrer, se faire recaler et rester irrémédiablement derrière la ligne du célèbre «c’est plein, désolé». C’est un cauchemar récurrent et traumatisant chez le geek. C’est donc avec une heure trente d’avance que je gagne la file pour découvrir en exclusivité mondiale – rien que ça – vingt minutes du film Tron Legacy, bébé surbotoxé du révolutionnaire film de 1982 produit à l’époque sur MS Dos. Ou pas loin.

J’aurais aimé décrire l’odeur du hot-dog fumé, les chaises de camping dépliées et l’ambiance Comic con déguisée. Mais pour tout vous avouer, nous étions trois pauvres blanc-becs : un grand lisant Science et Vie magazine, un petit vociférant sur Doodle jump, et moi. Alors pour oublier mon triste sort de Rémi,  je m’offre des langues Coca-cola et des parties de Terminator Renaissance devant un public d’enfants-rois aguichés par ma force destructrice. Pour ne pas perdre ma place de jeune premier, il me faut abandonner ces frivolités et rejoindre la bande de joyeux lurons ; je reconnais Rebecca Laffler – journaliste pour Hollywood Reporter – qui débarque. Quelle drôle d’idée de voir cette clubbeuse anorexique à la face prognathe avancer vers un timide à lunettes devant moi. Avec son accent, je le concède sexy, elle lui demande : « C’est ici pour Tron Legacy ?». En bon geek sur la défensive, la réponse est spontanée : «Oui mais il faut faire la queue, comme tout le monde, par ici». Audacieux, me dis-je secrètement en attendant le retour de bâton. «Non mais je suis invitée moi, je n’ai pas besoin de ça». Petite prétentieuse. Le pauvre blondinet est décontenancé. Les yeux baissés, les pommettes rosées, il retourne à sa triste et lancinante lecture scientifique sur Yellowstone et son super volcan qu’il espère secrètement détruire, fantasmant ce foutu pays arrogant qu’il aime détester : l’Eldorado du gros.

Il est dix-neuf heures vingt-cinq. La queue s’est allongée dans une ambiance de sortie de classe pour math spé’ : du bon vieux gaillard qui suinte. La seule présence féminine est, elle, assez dégoûtante : du jogging à paillettes et un QI niveau Roland Magdane. Folklorique situation,  cette jeune mad’moiselle a cru que la file était à destinée aux chiottes. L’excitation est grandissante, les gens nerveux, les regards vissés sur la ligne d’arrivée, les coudes qui se frottent, les pieds qui s’écrasent ; les combattants se jaugent. La tension est à son paroxysme. Comme une éjaculation précoce, un abruti s’emballe. Et le voilà parti en courant avant l’ouverture de la barrière… Rapatrié immédiatement par la sécurité, éliminé d’entrée. Erreur de débutant qui lui coûtera la victoire finale. Car il est désormais temps. Je m’avance, enjambe sa redingote patchée MacBook et démarre au quart de tour. On ne court pas. On marche vite. Les escaliers comme ultime ascension, les lunettes en poche et une question fatidique, aux abîmes : «Où est la salle madame ? OÙ EST-ELLE ?» s’écrie un geek. «Vous voyez monsieur l’énorme logo bleu IMAX derrière vous, c’est ici». La scène est tordante. Un mouchoir pour éponger sa sueur et c’est d’un sourire un brin honteux qu’il me regarde, intimidé.

Des rangées de journalistes dans mon dos, un écran monstrueux devant mes yeux. La salle est loin d’être comble. Le représentant Disney se satisfait d’une bien maigre affluence : «Merci d’être venus si nombreux pour découvrir ces images exclusives». Ca piaffe dans le public, les regards dévisageant les sièges vides. La lumière tamisée devient obscurité. C’est de la VF. Ca n’arrange en rien la piètre performance de ce jeune acteur fade et vide de personnalité. Comme Sam Worthington dans Avatar, il fallait à Tron un acteur effacé pour laisser la technique parler. En parlant de technique, la 3D n’a d’ailleurs pas fonctionné lors des extraits censés nous en foutre plein la tête, genre «cinéma dynamique Futuroscope interdit au moins de 1m20». La suite est plus consistante : une puissance sonore agressive mêlée d’une ambiance 8bit parfaitement restituée, sans jamais tomber dans la facilité d’un bruitisme Nintendo. Les Daft Punk offrent du solennel à Tron. Graphiquement bluffant, la 3D s’incorpore parfaitement à la thématique «computer». Mon Dieu quelle claque, cette poursuite motorisée. Et réussir à faire bander avec un Snake Nokia 33-10, faut se bouger : chair de poule, regard en mydriase, poils dressés.

Certes, peu d’informations en vingt minutes. Mais je peux d’ores et déjà avancer que Tron Legacy ne sera pas révolutionnaire comme a pu l’être son aîné. Il ne détrônera pas non plus Avatar dans sa technicité. Et ne sera en rien la bombe annoncée. Cependant, le deux février est déjà coché sur mon calendrier. Comme un routier texan attend le prochain Roland Emmerich avec passion, le jeune geek qui sommeille en moi attend avec éréthisme Tron Legacy. Et pourquoi ? Simplement chier dans mon froc de plaisir futal.

(1) A Ivry-sur-Seine. L’autre cinéma IMAX, c’est chez Mickey.

9 commentaires

  1. En cela je ne suis pas « geek » qui est dans le fond un beauf high tech (ce film est déjà une daube que je ne téléchargerai pas) mais un nerd : moins de techno dernier cri, plus de sang critique : rejouer à postal 2 et Manhunt 2 Uncut (émulé swap magic sur PS2) en écoutant le maître John Carpenter et revoir Deep Red (avec les Goblin) le reste n’est que poussière poussife numérique et… HYPE MÈNE STREAM. Bravo tout de même pour ce texte bien fluide métal comme le sang de T2.

  2. C’est un film générationnel avec un thème générationnel. Exactement comme il y a eu (en mieux je suis d’accord) Blade Runner (tous les ados et jeune geek ou nerd mériteraient de voir les 2) il y a aujourd’hui Tron legacy Y a pas a dire que c’est nul ou pas. mais à expliquer pourquoi c’est nul, pourquoi il faut voir autre chose avant, après ou la place de Tron. Même si je pense que ce film est un É-tron.

  3. « généraFionnel » ouais tu veux dire… toute la génération post-68 est pour moi une « généraFion » !!! « É-tron » ? Oui ! Très bon comme tease çà… « c’est nul » parce que ce n’est pas « visionnaire », « original » (des mots creux certes mais je ne suis pas Serge Daney ou Bayon) ce truc est juste un produit opportuniste et hype (foutre les daft punk dans la B.O pour que les media cool en parle genre Anal +) nul ou mauvais comme l’était le très mauvais remake de Roller Ball par le papa de DIE HARD 1 aka John McTiernan qui a été du reste un gros flop au box office – tout le bien que je souhaite à É-tron – et pourris comme tous les remakes des films d’horreurs des 70’s 80’s comme « Massacre à la tronçonneuse », Halloween 1& 2, The hitcher avec le replicant , les griffes de la nuit et j’en passe, le plus plus hideux et putassier étant Piranhas 3D d’AJA, incapable d’avoir un sujet original… Allez télécharger LA HORDE plutôt.

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Rollerball_(film,_1975)

    pour les films généraFionnels je vous conseille de scruter la prog’ de l’ETRANGE FESTIVAL tous les ans au forum des images… et quand Gonzaï daignera bien passer à l’age adulte, je vous torcherai des papiers payés comme je l’ai fait à l’épok pour PLAYBOY la critique de MANHUNT 1 sur PS2…

  4. Je ne suis ni un nerd, ni un geek, mais là je m’insurge. Le Rollerball de Mc Tiernan est un film raté certes, mais le rollerball original n’est pas non plus un tel chef d’œuvre, c’est un film un peu mou, proche de la série B. Le remake est de la même manière une série B mais qui n’est pas sans quelques éclats.
    Que le Jewison soit un devenu un objet un peu culte, c’est probablement du autant au jeu vidéo du début des eighties qu’à une qualité intrinsèque du film…

  5. A quoi faut il s’attendre! ce type de film n’est pas fait pour être un chef d’oeuvre, c’est pas un film d’art et essai, ni un film avec un réflexion. C’est de la série B donc on enlève « je veux de la profondeur » de nos esprits et on regarde ce divertissement. On ne nous ment pas sur la marchandise, on est public ou on ne l’est pas. Mais de là à vouloir que ce soit Un grand film faut pas pousser ses exigences intellectuelles de spectateurs.
    J’ai même découvert qu’en 2008, on a raté « Speed Racer » (tant pis) des frères Wachowski. dernière dose de testostérone pour le Larry fraichement Lana.
    Je vous laisse le trailer, bière et pop corn.

    http://dailymotion.virgilio.it/video/x4p75w_speed-racer-trailer-final-vo_shortfilms

    Par contre Somewhere de la Coppola est une véritable imposture qui se prétend être un film alternatif « la papesse de l’alternatif » (dixit le Figaro), intelligent, poétique, simple, intello, underground, drôle, qui se moque des stars et du système….alors que c’est tout le contraire : ennui, nombriliste, égocentrique, pas un poil anti-star-système, gnian gnian, plat, lent, triste, même pas drôle, mal monté et mal écrit. Ca c’est grave. L’image qui me vient en tête c’est quand elle meurt (mal, déjà très mauvaise comédienne) à la fin du Parrain 3.
    Tiens, pour le coup, une overdose, ou un petit suisse-ide ne ferait pas de mal à son statut.

  6. Franchement, je suis effaré de voir qu’il n’y a que du négatif dans ces critiques. Tout est à jeter, le bébé et l’eau du bébé avec ! Mais comment ne pas reconnaitre, au moins, la beauté onirique de l’univers visuel et sonore du « grid », le monde digital de Tron 2.0 ? Comment ne pas avoir remarqué la justesse du design de l’appartement de Kevin Flynn, géniale citation de celui de Kubrick dans 2001 l’Odyssée de l’espace ? Comment rester de marbre, enfin, devant les scènes époustouflantes de combat en 3D ? Le scénario est basique, certes, mais il n’est pas non plus vide de sens comme le proclament l’estabishment autoproclamé de la critique (quelques exceptions : Nicolas Schiavi,Xavier Leherpeur) : un exemple ? Qui a remarqué que la scène finale, après la destruction du grid, illustre les premiers versets de la Bible (Gen I 1-3) ? Je ne suis pas un « beauf hig tech », ni un mouton Panurge qui se vautre dans le « critiquement correct » de quelques censeurs blasés ! J’ai pris mon pied en regardant Tron ! Quand à ceux qui n’ont rien vu, rien entendu, rien compris à Tron Legacy, peut être avaient-ils oublié de mettre leurs lunettes 3D ?

  7. PS : les dates de publication des critiques de cette page laissent songeur… elles sont toutes antérieures à la sortie du film en France (9 février 2011) ce qui signifient que leurs auteurs n’ont même pas vus le film qu’ils descendent en flèche ! Impayable !!!

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