TOY ça déchire. Comme un éclair blanc le ciel noircis d’épais nuages. Détonation sèche, tympans explosés. Cinq Anglais qui ont décidé qu’un passage annuel chez le coiffeur était superflu dans leur vie d’artiste. J’avais déjà fait remarquer à quel point la longueur des cheveux pouvait prêter à confusion, encore plus quand on compte une fille dans ses rangs. Sur les photos, ça ressemble à une partouze entre des mannequins Topman et ceux des pubs pour shampooings, cuirs chevelus sensibles, senteur vanille. Quant au bassiste, c’est Hulk Hogan qui chante Made in Normandie avec Eric Charden – rapport au bouc et à la coupe de cheveux, très Stone. Au merchandising du groupe après le concert, le vendeur porte une chemise charcoal avec de petites fleurs blanches de chez Topman. Je le sais parce que j’ai la même. Si on ajoute à cela les trois vidéos tournées pour Topman CTRL – site web de la marque de fringues anglaises où la mode et la musique sont censées se rencontrer, il ne fait aucun doute que ces cinq-là s’intéressent un minimum à l’esthétique, à défaut d’avoir une touche avec le monde de la mode.
On avait déjà évoqué TOY chez Gonzaï, au début de l’été, alors qu’ils sortaient leur EP avec un Left myself behind porteur d’espoir. Manque de bol, ils ont décidé ne pas le garder pour leur premier album. La raison ? Ca ne collait plus trop avec ce qu’ils font à présent. On les a souvent comparés aux Horrors, avec qui ils tournaient, en première partie. Le clip de Left myself behind ? C’est Sea within a sea. Mêmes plans, mêmes couleurs. D’un point de vue visuel, la ressemblance est frappante. Jeans serrés, testicules atrophiées, air blasé et cernes en bandoulière, T-shirts noir ou chemises à motifs ; un groupe à la dégaine tendancieuse. Certains appellent cela un look de pédale. Je ne compte plus le nombre de fois où on me l’a fait remarquer, que ce soit en province ou à Paris. Comme quoi, il n’y a pas que les jeans qui sont étriqués. Faut-il voir là une volonté de leur part de s’éloigner de la comparaison avec la bande à Faris Badwan ?
J’en suis toujours à me demander quelle mouche les a piqués. Left myself behind n’aurait pas fait tâche avec ce qu’ils proposent dans cet album. Au contraire. Il y a cette même impression de voir un bombardier sur le tarmac s’envoler dans les airs. Toujours ce bruit de réacteurs au décollage, ronronnant tel un chat repu de ses croquettes au saumon, et les lèvres en caoutchouc qui se séparent du sol sur lequel elles étaient collées. Les ailes semblent se détendre et s’allonger en même temps. Toujours ce son dilaté, jusqu’à l’extrême limite, tandis que le nez de l’appareil perfore l’air avec la même douceur qu’un sexe dans le minou d’une vierge.
Sous l’amplitude capillaire, les disques qui les ont inspirés varient du très très bon au très très bon.
De Can au Velvet Underground, de Neu ! au « Raw Power » des Stooges, en passant par My Bloody Valentine, jusqu’au « Marquee Moon » de Television, c’est un sans-faute dans la jungle, terrible jungle musicale. Et le lion n’est pas prêt de mourir avec un groupe comme TOY. Leur musique peut certes paraître répétitive de prime abord, mais au lieu d’être chiante, elle est hypnotique. On sent le krautrock à dix kilomètres et c’est souvent pour le meilleur. Quel groupe a les couilles aujourd’hui, en 2012, de mettre en fin d’album une chanson longue de dix minutes ? Certainement pas les Dum Dum Girls. D’un point de vue physiologique, en tout cas. Bon ok, peut-être que 75% des groupes le font, mais sur ces dix minutes on en compte souvent sept aussi bruyantes qu’un pet de mouche dans une église. Quel intérêt y a-t-il à mettre sept minutes de silence si c’est pour avoir un bonus de quarante secondes où l’on entend le batteur éructer « au clair de la lune » en vocoder, accompagné par un flutiste péruvien perdu dans un couloir du métro parisien un soir d’hiver ? Je ne vous fais pas l’affront d’attendre une réponse, vous et moi serons d’accord sur ce point. Avec Kopter, ce sont dix minutes d’une longue montée en puissance. C’est une horde de hussards à dos de cheval qui labourent les plaines par leur soif de conquête. Encore mieux, c’est Usain Bolt sur un cent mètres âprement disputé. Départ impeccable, tête baissée, levée des épaules à vingt mètres, les cuisses bien hautes, verrouillage des épaules, le buste droit, regard vers l’avant, prise de vitesse, « I’m feeling supersonic » et médaille d’or. A certains moments, il y a un côté très Sonic Youth période « Daydream Nation« , dans l’amour du son et la place qu’on lui laisse pour s’exprimer. Le chant de Tom Dougall en deviendrait presque accessoire, la musique parle déjà d’elle-même.
Sur scène, c’est un mur de chair humaine bien décidé à faire tomber votre cérumen par la force des décibels. Le batteur, en retrait, tient les reines de ces quatre chevaux alignés là-devant et lancés à vive allure. Il y a quelque chose de l’ordre de la puissance dans cette façon d’affronter le public. D’après le nombre de personnes qui assistait au concert à La Maroquinerie, on peut facilement en conclure que ce groupe ne fait pas partie de la playlist idéal pour tout hypeux qui se respecte. Il y avait du monde, mais la salle était loin d’être remplie. Et c’est bien dommage, car les gens auraient vus à quel point ce groupe est intéressant. Certes pas encore passionnant, comme peuvent l’être des groupes avec un vrai chanteur charismatique qui gueule dès qu’on l’emmerde, mais un groupe qui a quelque chose à dire. Ils auraient vu cette attitude nonchalante derrière la tonne de cheveux, ils auraient vu les chemises taillées dans les tapisseries de grand-mère, morte d’un arrêt cardiaque à force de montées trop violentes pour son petit cœur fragile. Et eux aussi auraient pris LA FOUDRE SUR UN KOPTER FOU FURIEUX ! Tellement fou que je ne me lasse pas de revoir cette vidéo youtube de qualité pourtant assez médiocre.
En plus d’être énergique, l’album à ce petit côté charmant des sonorités psychédéliques.
Première chanson, lecture, Colours running out et on se fait sucer par l’aspirateur à combustion d’un mec sous acide. C’est un voyage intersidéral dans un tube infini allant d’un point à l’autre de l’univers, si tant est qu’il ait des limites. Rouge, jaune, violet, bleu, vert, rose, indigo entremêlés et fondus les uns dans les autres. Des sonorités hors de l’espace-temps, carrément délicieuses dès que l’on écoute My heart skips a beat, qui a la douceur d’un sein. Dead and gone ça tabasse et ça gratte, de longues minutes durant, jusqu’à en faire dresser les poils sur tout le corps. C’est la caresse qui conduit jusqu’à l’orgasme. C’est la main sur le corps de cette fille dont on rêve depuis des mois et qui, d’un simple battement de cil, pourrait déclencher un séisme dans la région pelvienne.
Plus j’écoute cet album, et plus j’ai envie de l’écouter. Mode autiste : activé. Oui, au début je le trouvais plutôt long, je me disais qu’on avait le temps de regarder un match de foot, avec prolongations et tirs-au-but, avant d’en voir la fin. Mais cinquante-sept minutes ce n’est pas si long. Et puis, c’est le genre d’album qui s’apprivoise. C’est la fille qui ne couche pas au premier rendez-vous. Peut-être au deuxième, et encore, t’as plutôt intérêt à assurer. On en connait qui se sont vite lassés, et à juste titre : parfois c’est juste la fille capricieuse qui n’est pas aussi intéressante qu’on l’aurait imaginé. « Mais tout ceci ne m’empêche pas de penser : cette fille-là, mon vieux, elle est terrible ».
Toy // Toy // Heavenly Recordings
http://toy-band.com/
4 commentaires
« D’après le nombre de personnes qui assistait au concert à La Maroquinerie, on peut facilement en conclure que ce groupe ne fait pas partie de la playlist idéal pour tout hypeux qui se respecte. »
Exactement. Le voilà l’album/artiste de l’année.
Ah, si c’est la maroquinerie qui l’a dit…
Pas terrible les croque-morts en série.
L’article est super , à l’auteur : Vous avez besoin d’aimer ce dont vous parlez pour en parler comme ça ?
merci pour le compliment, même si j’ai du mal à trouver cet article aussi bon (question d’insatisfaction personnelle chronique).
pour parler musique je suppose qu’il faut qu’elle provoque quelque chose, que ce soit en bien ou en mal. de la passion, voilà tout.