Le rock français a connu ses lettres de noblesses à partir de la fin des années 1970 avec des groupes comme Téléphone, Trust ou Océan. Il a depuis connu plusieurs mues. Mais depuis que le rock est devenu un mouvement underground uniquement célébré via quelques vestiges du passé, le rock français continue d’exister dans une indifférence médiatique quasi-générale. Ces jeunes musiciens sont pourtant les nouveaux guerriers électriques. Il est temps de célébrer la nouvelle génération du rock français et ses nombreux groupes de talent.

Un soir d’octobre en province

Il y a bien longtemps que je n’étais pas allé à l’Antonnoir de Besançon. La salle est pourtant à 500 mètres de chez moi à pied, au bout de la rue Louis Pergaud. Pour être tout à fait exact, mon dernier concert dans cette salle remonte avant la crise du Covid. J’y ai pourtant vu quelques bonnes prestations de groupes essentiellement anglo-saxons comme GBH ou les Thee Hypnotics. Je me souviens cependant que la salle était souvent faiblement remplie, et le public était essentiellement composé de têtes blanches, des vieux punks assagis ayant réussies à se sortir de leurs canapés pour aller voir un groupe sur scène à la hauteur de leurs goûts un peu blasés. La programmation de la salle était alors coupée en deux entre les sets de DJs pour les étudiants, et les concerts de rock punk ou hardcore pour les vieux.

Depuis, la direction de la boutique a changé, et je n’ai pas encore goûté aux éventuels ajustements. Si je m’y rends, c’est parce que le guitariste-chanteur du groupe The Spitters m’a invité après quelques échanges par messages sur les réseaux sociaux. Ils sont en première partie des anglais de Bad Nerves. Je ne connais ni l’un ni l’autre, mais ces deux jeunes groupes me donnent envie d’en savoir plus. J’arrive sur place parmi les premiers. Je suis surpris de trouver devant la porte encore fermée une majorité de très jeunes gens. Voilà qui est un bon signe.


La salle se remplit rapidement, et lorsque The Spitters prend la scène vers 9H15, elle est quasiment pleine. L’apparence du groupe est surprenante, et des plus plaisantes. Il y a derrière un batteur en short, torse nu, à la gueule charismatique, presque buriné alors qu’il n’a qu’une vingtaine d’années. Il est déjà survolté, monte sur son tabouret, harangue la foule, puis se lance dans une série de roulements de caisses particulièrement bien exécutés. Au chant et à la guitare, on trouve un jeune homme moustachu aux cheveux longs. A ses côtés se tient un autre guitariste filiforme, jeans et tee-shirt, portant sur ses épaules une Telecaster Fender, à l’attitude rapidement charismatique. De l’autre côté de la scène, on trouve une silhouette discrète portant un tee-shirt marin siglé des Ramones, avec de petites lunettes et une touffe de cheveux noirs. Il ressemble à un bassiste de jazz, mais rapidement, lorsque le riff rugit, il se tient campé sur ses deux guiboles et racle le sapin avec son médiator. Ces quatre garnements sont incroyablement complémentaires visuellement parlant comme au niveau musical. On les sent prêt à l’attaque, se renvoyant sans cesse la balle.


Leur musique est très clairement punk-rock. Leurs influences sont pourtant bien loin de leur génération : Damned, Sex Pistols, Buzzcocks mais aussi Misfits, dont le guitariste à la Telecaster porte un tee-shirt. Ils reprendront ce soir-là le morceau Halloween. Quelque chose de psychédélique transpire sur certains morceaux, mais ils n’ont que trois quarts d’heure à consacrer. Il faut donc frapper les esprits et envoyer un set vif et sans fioriture. Le dernier morceau est cependant l’occasion de se lancer dans quelques expérimentations psychédéliques. Les deux guitares se complètent à merveille, parfaitement soutenues par la basse. Le batteur montre une maîtrise assez stupéfiante. Le groupe quitte la scène pour laisser la place aux Bad Nerves. Les membres des Spitters seront au plus près de la scène durant le set des anglais, en bons fans de ce groupe effectivement très efficace, et visiblement apprécié d’un jeune public fervent qui s’est massé devant la scène durant la prestation des Spitters.

Le couteau entre les dents

A la fin du concert, je vais converser avec Maxime Richard, le chanteur-guitariste des Spitters, nous conversons entre deux ventes à des amateurs conquis. Les Spitters ont déjà dix ans d’existence. Ils se sont formés à Toulon, dans une ville du Sud où l’influence marseillaise est plutôt portée sur le rap. Les niaiseries à l’auto-tune de Jul, Soprano, Naps ou SCH ont littéralement écrasé toute autre belligérance musicale.

Les guitaristes Max et Barny, le batteur Dorian et le bassiste Florian ont débuté leur carrière dans un esprit de Do It Yourself absolu. Il en est d’ailleurs toujours ainsi. Ils ont quatre disques au compteur, et Max m’a appris que leur attaché de presse venait de décéder récemment, les laissant pour le moment orphelin de tout moyen de communication avec les médias. C’est pour cela qu’il m’a contacté. Il voulait que je parle de leur set sur Radio BIP, mais je n’y suis plus. Par contre, à la vue du set de ce soir, un article devient indispensable, et vous êtes en train de le lire.

L’heure avance, et comme les musiciens, le papier rock ne paie pas. Aussi, l’auteur de ces lignes doit rentrer afin de gagner sa pitance le lendemain avec un boulot alimentaire de plus en plus absurde. Je salue les gars de The Spitters. Décidément, à la réflexion, en revenant sous la pluie battante dans le nuit bisontine, ils ont été une tête au-dessus des Bad Nerves, à tous les niveaux. Et puis, il y avait tout ce jeune public fervent, devant ces jeunes groupes affamés, et cela était une magnifique vision à l’heure où le débat stérile sur le nouvel album des Rolling Stones résonne encore.

Quatre garçons de Toulon

Toulon n’est pas vraiment une ville rock. Marseille le fut un temps : Wild Child, Quartiers Nord, et maintenant Dagoba. Toulon est une ville à l’activité militaire ancestrale, et donc pas vraiment portée sur la rébellion du rock. C’est une ville de garnison, de marins, plutôt portée à l’extrême-droite. Que ces quatre garçons aient réussi à faire émerger un groupe de rock punk dans un tel carcan est d’autant plus honorable, voire héroïque.

Les fondations du groupe remontent à 2013. Maxime Richard et Dorian Lahais-Cazalé sont deux amis de collège. Ils partagent une passion commune pour le rock, et notamment celui qui tape plutôt fort. Les années 2010 sont le début de la déshérence du rock par le grand public, et les grands albums datent désormais des décennies précédentes. Nirvana et Kiss servent de premières influences musicales, suffisamment solides pour pousser les deux jeunes gens à se mettre à jouer d’un instrument : pour Maxime, ce sera la guitare, pour Dorian, ce sera la batterie.

Les goûts musicaux vont peu à peu se radicaliser pour des sons plus punks : Ramones, Damned… Les Hives et les Pixies entrent également dans l’équation. Ils vont trouver un nom qu’ils veulent nerveux comme ceux des groupes punk de la grande époque 1977. The Spitters fait l’unanimité, les deux adolescents ayant l’habitude de glavioter machinalement par terre comme la plupart des lycéens du Sud de la France.


Leur énergie et leur volonté leur permettent d’enregistrer un premier album nommé « Crazy », publié le 3 décembre 2014. La pochette comme l’esprit appelle autant les Strokes que les Libertines, des groupes essentiels dans la scène rock mourante du début des années 2000. Il y a cependant un nerf punk plus affirmé que sur ces références anglo-saxonnes, que l’on retrouve sur des titres comme So Blind, Miss, I Hate You, Kill A Monster ou Waste. Après quelques écoutes du disque, les Buzzcocks deviennent une référence évidente entre le côté pop nerveux et celui du punk plus rageur. Il y a aussi des choses plus rock psychédélique magnifiquement amenées comme I Wanna Meet A Grizzly ou What’s Happening. Malgré le manque de puissance de la prise de son, l’énergie est déjà folle, et les compositions de très bonne qualité. L’interprétation est également à saluer, précise et carrée.

Les Spitters se lancent dans le grand bain de la tournée rock avec toute la naïveté des jeunes gens de vingt ans. Le manque de professionnalisme est compensé par une énergie scénique à toute épreuve qui met à genoux n’importe quel public. Le duo a été complété par Alex à la basse et Arnaud à la seconde guitare. Les Spitters subissent le fameux syndrome du groupe local coincé dans son secteur local, sans pouvoir trop en sortir. Ils sont donc une formation des Bouches-Du-Rhône, et le reste du pays semble presque inaccessible.


Le nouveau quatuor stabilisé se lance dans l’enregistrement d’un second disque beaucoup plus convaincant nommé « Movement ». Dès Terminal Vision, le son est plus puissant, l’interprétation plus nerveuse. Les Buzzcocks reste un phare dans la nuit, mais il commence à transpirer des influences MC5/Stooges. Cela est parfaitement audible sur Blue Whale, I Die, With A Demon, ou You Say No. Le groupe est encore partagé entre un punk-rock efficace et une power-pop nerveuse. Les deux se croisent avec merveille et se complètent même avec maestria. You Say No est une des grandes réussites de cette fusion sur ce fil génial. Les guitares se mêlent à merveille, et la batterie commence à dévoiler tout son potentiel Keith Moonien.

Le pain noir

C’est ce que vont manger les Spitters durant toutes ces années. Ils vont jouer partout où ils le peuvent, et essayer de faire entendre leur musique sur les réseaux sociaux. Une première grande tournée a lieu après la sortie de « Movement » qui parcourt la France, l’Allemagne et l’Italie. Les Spitters commencent à toucher du doigt la vraie carrière d’un groupe de rock.

En octobre 2018 sort le EP « Critical Strike » avec ses huit morceaux expédiés en à peine plus de deux minutes. C’est une profession de foi : il ne s’agit plus de tergiverser entre le punk-rock et la power-pop. Le premier élément est choisi haut la main sur ce EP. Le venin des Ramones, Damned, et Saints coulent dans les veines du quatuor de Toulon. Le tout est jeté avec autant d’énergie que de précision musicale. Les Spitters se permettent d’aller promouvoir le nouveau disque dans quelques villes britanniques. Ces concerts sont un nouvel aboutissement pour un jeune groupe de rock français. Ils semblent toucher du doigt une férocité rock’n’roll qui n’a besoin que d’être confirmé par un album solide.

Arnaud quitte le navire et est remplacé par Barny, musicien efficace de la scène toulonnaise et qui prend sans aucun mal les commandes de la seconde guitare. Ils reviennent aux affaires avec un quatrième album particulièrement réussi nommé « Kitty Brain » en novembre 2022. On peut trouver cela long depuis le dernier disque, mais la crise du COVID a fait du mal dans les rangs des petits groupes de rock. Plusieurs ont baissé les bras face à l’adversité, préférant la mort dans l’âme le job alimentaire à l’espoir d’un quelconque décollage d’une carrière artistique.
Tout est parfait sur ce disque : la prise de son efficace, le nerf des chansons, les choeurs californiens sur les refrains comme sur Burning Love.

L’enregistrement a tenté de conserver la qualité live du groupe, tout en ajoutant des overdubs de choeurs et de solos de guitares. « Kitty Brain » n’est certainement pas un album chantilly, avec d’innombrables arrangements postérieurs à l’enregistrement initial. Le disque reste puissant et fougueux. La rythmique est redoutable, les guitares se croisent avec une précision rare. Comme sur les albums précédents, les Spitters développent des compositions plus audacieuses. We Love Sharks ouvre un champ absolument merveilleux pour le groupe, entre MC5 et psychédélisme stoner dans lequel le quartette doit immédiatement se plonger de par son niveau technique impressionnant.

Les uppercuts punk-rock restent tout de même étourdissants, comme ce Panic At Home infernal, Fearless ou le définitif It’s Alright très inspiré par les Damned, mais magistralement interprété, sans une bavure. Les ouvertures power-pop restent dans les veines de The Spitters, avec Bloodwine ou le magnifique White Mountain.
The Spitters a changé de bassiste depuis peu. Lorsque j’ai vu le groupe, notre ami Florian, surnommé Sloog, en était à son troisième set avec les boys. Les premières parties commencent à s’enchaîner avec gourmandise : Hives, Ty Segall, Bad Nerves, Johnny Mafia… Le cinquième album est déjà en préparation et sur le point d’être enregistré. Ils ne veulent qu’une seule chose : sortir des disques excellents, les vendre, et les promouvoir par des prestations scéniques puissantes. La qualité des disques et des concerts est déjà là. Il est temps que le succès vienne à eux.

https://thespittersband.bandcamp.com/

Photographies : François Michelet et Julien Deléglise
Remerciements chaleureux à François Michelet et l’Antonnoir

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