Après vingt ans à pondre des disques intello prog rock enregistrés dans des dépôts d’explosifs, Cedric Bixler-Zavala et Omar Rodríguez-López, alias The Mars Volta, viennent de signer une merveille de douceur, soit un ovni dans une discographie tout entière dédiée au beau boucan. De quoi décontenancer l’auteur de ce papier.

The Mars Volta - 'The Mars Volta' - Mowno

Main gauche : Tu ne peux pas être sérieuse.

Main droite : … Attends, je vérifie l’orthographe du nom de leur label sur internet… Clouds Hill… un « s » à cloud, pas de « s » à hill. Marrant, j’avais inversé… C’est tout bon. Tu disais ?

Main gauche : Je disais que tu ne pouvais pas être sérieuse. Tu ne peux pas VRAIMENT dire du bien de ce disque.

Main droite : De quel disque parles-tu ?

Main gauche : Continue à me prendre pour un moignon et tu vas le taper toute seule, ton texte.

Main droite : Je te rappelle que c’est toi qui as appuyé sur play.

Main gauche : J’aurais mieux fait d’aller curer la narine gauche du proprio. Où de le soulager de tout le cérumen qui l’empêche de s’apercevoir que ce disque est une bouze infâme taillée pour des FM qui n’existent plus.

Main droite : Je ne peux pas te laisser écrire une chose pareille.

Main gauche : Trop tard.

Main droite : Vas-y, fais ta maligne. Tu oublies un peu vite tout le bien que tu aurais dû écrire sur At the Drive-In, et tout celui que tu as écrit sur les premiers Mars Volta.

Main gauche : J’étais jeune et fainéante. Je croyais que j’avais le temps. Je regrette. Mais ça n’est pas une raison pour rattraper le temps perdu avec cette nullité, où Cedric Bixler-Zavala et Omar Rodríguez-López enterrent vingt ans de post rock tendance prog en quarante minutes de guimauve molle. Franchement, tu ne peux pas avoir oublié les soulèvements de De-Loused in the Comatorium. Les guitares folles, les bâtons de dynamite, le featuring de Frusciante, la production en partie signée Rick Rubin.

Main droite : J’ai rien oublié. J’en tremble encore. Mais ce qu’ils ont fait là, avec ce disque éponyme – on a le droit une fois, ne fais pas comme si tu l’avais oublié –, c’est extraordinaire. Bon dieu, souviens-toi : on se transformait en fulguropoings sur les dingueries hardcore de At the Drive-In, on s’est levé vers le ciel pour saisir la foudre de leurs orages tant de fois ensuite, chaque disque étant plus cintré, compliqué et dantesque que le précédent. Et après tout ça, alors qu’on attendait un énième sac de TNT, ils nous offrent cette merveille. Sois honnête. Je t’ai vu claquer des doigts.

Main gauche : …

Main droite : Sois honnête.

Main gauche : Je chassais un moustique.

Main droite : Prends-moi pour gant de boxe.

Main gauche : Qu’est-ce que tu veux que je t’écrive ? Qu’après deux décennies, ils ont enfin sorti l’album de la maturité ?

Main droite : Ne sois pas grossière non plus.

Main gauche : OK, OK, j’ai peut-être claqué des doigts une fois ou deux.

Main droite : Tu as du mal à l’écrire, très bien. Je vais t’aider. On aurait trouvé ça nul du temps où l’autre andouille avait les cheveux jusqu’aux genoux. On lui aurait bouché les oreilles pour arrêter le massacre. Mais maintenant que lui et nous on est arrivé là où on est arrivé – les enfant qui n’ont plus besoin de nous pour traverser la rue, les verres de bon vin, les coups de fourchette anti-traces dans des assiettes à vingt balles pièce, les régularisations d’impôts payés en deux clics – on peut bien se le dire : on a toujours autant aimé les mélodies que le boucan. Ce ne sont pas les deux autres, là-haut, cachées par les cheveux blancs, qui diront le contraire.

Main gauche : Tu n’es pas non plus obligée de raconter notre vie.

Main droite : Tu m’as poussée à employer les grands moyens. Viens, on va danser.

Le titre Blacklight Shine passe sur platine. Main gauche et main droite se claquent plusieurs fois à contretemps avec enthousiasme. Si j’avais eu le sens du rythme, je les aurais utilisées plus longtemps pour parfaire ces accords chelous joués dans des garages remplis de berlines, d’objets pour aller au ski et d’outils trop propres.

Main gauche : Je veux bien danser sur ce truc, mais Vigil, c’est vraiment pas possible. J’ai l’impression d’avoir lancé le générique de fin d’une rom’ com’ sous-produite.

Main droite : Ce que tu peux être de mauvaise foi, parfois. T’as écouté le refrain ?

Main gauche : Bah oui, justement.

Main droite : Eh bah passe à la prochaine, madame Je-fais-ma-difficile.

Main droite claque des doigts sur Que Dios Te Maldiga Mi Corazon, tandis que Main gauche joint l’index et le majeur, lève le pouce et vise sa camarade.

Main gauche : T’es devenu complètement conne, je vois pas d’autre explication.

Main droite : Parce que Palm Full of Crux, c’est du poulet au viandox, tant qu’on y est ?

À la fin du morceau, les deux mains essuient quelques larmes. Puis se serrent, vigoureusement. Elles retournent danser n’importe comment sur No Case Gain comme si les eighties n’avaient jamais disparu. Sur Equus 3, elles miment des grimaces du temps d’avant en faisant des signes incompréhensibles, sous le coup de l’émotion.

Main gauche : N’empêche, tu m’enlèveras pas de la tête qu’ils n’étaient pas loin de la bouze, les deux Texans latino.

Main droite : Tais-toi et écris.

The Mars Volta // The Mars Volta // Clouds Hill

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